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«  les Trois Sœurs  », de  Simon Stone d’après Anton Tchekhov, Théâtre national populaire, à Villeurbanne

« Les Trois Sœurs » dans une mise en scène de Simon Stone © Thierry Depagne

Tchekhov, le monde est Stone

Par  Cédric Enjalbert
Les  Trois  Coups 

En s’emparant des « Trois Sœurs » de Tchekhov, le metteur en scène Simon Stone réalise un remarquable travail d’adaptation. Un modèle du genre, en tournée en France et dans le monde.

« Où est donc Tchekhov ? ». Le spectateur sourcilleux se posera d’abord la question, car l’adaptation des Trois Sœurs par Simon Stone décape. Aucune déférence pour le texte, mais quel respect pour l’auteur ! Paradoxalement, Tchekhov est partout chez lui sur ce plateau et à travers l’incarnation de ces acteurs. L’artiste australien, en s’emparant d’une des pièces maîtresses du dramaturge russe, ne se contente pas d’une simple mise en scène. Il adapte, au sens plein, en s’éloignant de la lettre pour une plus grande fidélité à l’esprit.

L’ensemble des échanges a été revu ; les personnages et les lieux ont été transposés dans un présent proche ; seule la situation demeure : une famille plus ou moins déchirée, réunie dans une maison de campagne, remâchant une certaine mélancolie au fil des saisons.

Du texte des Trois Sœurs, il ne reste rien, ou presque ; mais de l’atmosphère, tout. « Tchekhov fait commencer toutes ses pièces en indiquant qu’elles se déroulent dans le temps présent, et à cet égard je le prends au mot », déclare Simon Stone. Mieux, l’artiste, en gommant le détail de l’action, confère à la pièce de Tchekhov la nervosité que lui ôtent souvent les mises en scène, certaines que son théâtre reposerait sur l’étirement du temps. Lui prend le contrepied. Il rend d’autant mieux compréhensibles les heurts, les anicroches et les affrontements dûs à l’échauffement général. Bref, il donne raison au drame.

« Les Trois Sœurs » dans une mise en scène de Simon Stone © Thierry Depagne
« Les Trois Sœurs » dans une mise en scène de Simon Stone © Thierry Depagne

Pour gagner en vivacité, le metteur en scène s’inspire des codes du cinéma. Sur le vaste plateau, une tournette supporte la néo-datcha familiale. Elle opère une rotation régulière sur elle-même, présentant successivement ses différentes faces ouvertes ou vitrées. Elle met simplement en avant les comédiens, lesquels n’ont pas à trouver de prétexte pour se trouver en front de scène. Plusieurs situations s’y déroulent simultanément, voire plusieurs dialogues et bribes de conversations. Un jeu techniquement remarquable avec la sonorisation des comédiens qui fait entendre tantôt l’un ou l’autre, depuis une pièce ou l’autre.

L’ardeur des sentiments

La maison s’agite ainsi de toutes parts, notamment de l’activité des trois sœurs. L’interprétation remarquable d’Amira Casar (Olga), Céline Sallette (Macha) et Eloïse Mignon (Irina) manifeste enfin avec clarté le caractère qui les oppose, comme le lien familial qui les unit, donnant du sens à cet écheveau de sentiments. Visuellement très belle, cette architecture déjà éprouvée dans sa mise en scène d’Ibsen Huis, évolue et se transforme au rythme des saisons, jusqu’à se vider de ses meubles, de ses locataires et de sa vie. À mesure que le drame s’approfondit, la maison s’éteint. Devenu un quasi-personnage, elle disparaît avec le temps et le dépérissement intérieur de ses habitants, comme un reflet de leurs états d’âme.

La distribution inégale n’occulte en rien l’exemplaire travail d’adaptation de Simon Stone, jouant avec la matière tchékhovienne comme un peintre joue des couleurs, pour rendre un sentiment atmosphérique. Il manie les motifs entrés dans l’imaginaire des spectateurs avec un art inégalé de la composition. Il ajoute par exemple à ces Trois Sœurs des images empruntées à Oncle Vania, la Mouette ou à la Cerisaie, traduisant sur scène le sentiment trouble que suscite le corpus de Tchekhov, dont les situations se recoupent parfois au point de se brouiller… Il donne le sentiment étrange et ambitieux de monter tout Tchekhov en un spectacle. La perfection de son adaptation et la technicité de sa mise en œuvre pourraient refroidir l’ardeur des sentiments, mais elles forcent le respect. « Que le public se reconnaisse, voilà l’essence de la philosophie tchékhovienne », Simon Stone en est convaincu. Alors, Tchekhov, y es-tu ? Assurément, et avec quelle extraordinaire présence !  

Cédric Enjalbert


Les Trois Sœurs, de  Simon Stone d’après Anton Tchekhov

Mise en scène : Simon Stone

Traduction française de Robin Ormond

Avec : Jean-Baptiste Anoumon, Assaad Bouab, Éric Caravaca, Amira Casar, Servane Ducorps, Eloïse Mignon, Laurent Papot, Frédéric Pierrot, Céline Sallette, Assane Timbo, Thibault Vinçon

Décors : Lizzie Clachan

Costumes : Mel Page

Musique : Stefan Gregory

Lumière : Cornelius Hunziker

Durée : 2 h 35

Photo ©  Thierry Depagne

Odéon-Théâtre de l’Europe •  Place de l’Odéon  • 75006  Paris 

Du 10 novembre au  22  décembre  2017, du mardi au samedi à 20 heures et le dimanche à 15 heures, puis en tournée :

  • du 8 au 17 janvier 2018 au TNP – Villeurbanne
  • du 23 au 26 janvier au Teatro Stabile – Turin
  • du 1er au 3 fevrier au DeSingel – Anvers
  • les 16 et 17 février au théâtre Le Quai – Angers

De  6 € à 40 € 

Réservations  : 01 44 85 40 40


À découvrir sur Les Trois Coups : 

☛ « Ibsen Huis », d’après Henrik Ibsen, cour du lycée Saint-Joseph à Avignon, par Lorène de Bonnay

☛ « What If They Went to Moscow », d’après « les Trois Sœurs » d’Anton Tchekhov, Théâtre de la Colline à Paris, par Frédéric Nau

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