Les femmes au cœur de la création
Par Léna Martinelli
Les Trois Coups
À l’occasion de la Journée internationale des droits des femmes, de nombreuses manifestations sont programmées dimanche 8 mars. Heureusement, les programmateurs ne se cantonnent pas à cet événement pour défendre la cause féminine. Depuis quelques années, les propositions affluent : réflexions sur la place de la femme dans la société, luttes contre les discriminations, histoires décalées de la sexualité, violences conjugales… Voici une sélection de spectacles à l’affiche qui ont retenu notre attention.
Officialisée en 1977 par les Nations Unies, cette journée couvre plusieurs événements à travers le monde. Son objectif est de célébrer les avancées des droits des femmes, en terme d’égalité et de justice. Elle puise ses origines dans l’histoire des luttes ouvrières et des manifestations de femmes, au tournant du XXe siècle, en Amérique du Nord et en Europe. C’est en 1982, sous l’impulsion d’Yvette Roudy, ministre déléguée aux droits des femmes, que la France reconnaît le 8 mars comme Journée internationale des droits des femmes.
Chaque année, un thème précis est fixé par l’ONU et donne lieu à de nombreux débats et actions. L’édition 2020 a pour thème « Je suis de la Génération Égalité : levez-vous pour les droits des femmes ! ». De nombreux artistes réfléchissent aussi, avec leurs propres moyens, sur ce qui a été fait et ce qui reste à faire. L’amélioration de l’accès des femmes aux responsabilités dans les structures théâtrales contribuent aussi pour beaucoup à programmer des metteuses en scène et des autrices.
Révolutions ?
La première représentation (le 8 mars) n’a pas été choisie au hasard pour La Folle et Inconvenante Histoire des femmes, qui raconte les soucis quotidiens des femmes pour affirmer leur sexualité, du Néolithique à nos jours. Un spectacle décalé ou plutôt (dé)culotté !
Concernant J’ai rêvé la Révolution, de Catherine Anne, la date de la dernière représentation est-elle une coïncidence ?! Ce quatuor met en relation une prisonnière politique, un soldat à peine sorti de l’enfance, la mère de celui-ci et une jeune femme venue de loin. Il y est question de liberté et de sa privation, de maternité, de mort et de mots. Écriture, mise en scène et jeu, cette création inspirée par la vie et la mort d’Olympe de Gouges est un acte de femme de théâtre entière et engagée. Une plaidoirie féministe mais avant tout humaniste.
Les Sea Girls, au pouvoir ! traverse également les époques. Il y a 2 500 ans, Aristophane abordait bien des sujets, toujours brûlants d’actualité : la subordination des femmes, bien sûr, mais également celle des esclaves ; la mise en commun des biens pour un plus juste partage des richesses ; les aberrations des politiques… Les quatre chanteuses fantaisistes s’inspirent très librement de cette Assemblée, pour en offrir une version inédite et musicale, réécrite par leurs soins, tout en légèreté et en finesse. Mais ces artistes-là ont un goût très prononcé pour le burlesque.
Le corps encore !
Bien que vaudevillesque, Toute nue se veut plus trash : le corps de la femme comme une arme de guerre contre le sexisme devient un irrésistible jeu de massacre. L’histoire ? Clarisse est l’épouse d’un homme politique ambitieux qui n’hésite pas à médiatiser son couple pour arriver à ses fins. Réduite à un outil de communication et privée de toute intimité, elle fait acte de résistance et décide de se promener toute nue, non par inconscience, mais bien pour exister.
Émilie Anna Maillet a convoqué deux écritures séparées par plus d’un siècle : Mais n’te promène donc pas toute nue ! de Georges Feydeau et des extraits de l’œuvre de Lars Norén. « Comment décrypter aujourd’hui les symptômes de domination si génialement mis en jeu par Feydeau puis par Norén ? Qu’est-ce qui, après trois vagues de féminisme, perdure dans les relations de couple et les rapports de pouvoir ? Car, si aujourd’hui l’égalité des sexes est inscrite dans la loi, force est de constater que la répartition des rôles et des tâches demeure fortement clivée. Et plus les enjeux de pouvoirs sont forts, plus l’absence des femmes dans l’espace public est criante », lit-on dans la note d’intentions.
Concernant les questions relatives à la place des femmes dans la sphère publique, Sur / Exposition donne à entendre, cette fois-ci, des témoignages, dans un tout autre registre. La commissaire d’exposition Aurélie Bocage a présenté le travail photographique de Magda, la jeune révolutionnaire égyptienne qui a posé nue pour dénoncer l’hypocrisie autour du corps de la femme dans le monde arabe (une fatwa l’a obligée à fuir son pays). Durant le vernissage, quelque chose s’est passé. Avec difficulté, Aurélie tente de le raconter. Plusieurs voix se mêlent à la sienne. À la croisée du théâtre et de l’installation muséale, nous découvrons les décombres de ces multiples paroles. L’occasion d’ausculter ces destins de femmes d’avant la révolution pour comprendre comment ils résonnent aujourd’hui. Ce texte d’Aurore Jacob a fait l’objet de plusieurs travaux de mise en lecture (dont le Théâtre national de Strasbourg) et est soutenu par Mains d’œuvres, le Jeune Théâtre National, ARTCENA, Label Rue du Conservatoire.
Radicaux libres
Quant à Cédric Gourmelon (tiens, un homme !), il se saisit de Liberté à Brême, brûlot rêche contre le machisme. Geesche Gottfried, issue de la petite bourgeoisie conservatrice allemande du XIXe siècle, semble souffrir d’une malédiction : ses proches qui la font tant souffrir meurent tous, les uns après les autres. En dix-sept courts tableaux qui s’enchaînent, la pièce de Fassbinder raconte l’histoire de sa lutte pour une impossible émancipation. Il livre une critique sans concession de nos sociétés patriarcales, avec une victime sacrifiée sur l’autel de la misogynie incarnée par l’incandescente Valérie Dréville.
Christophe Rauck vient de créer la Faculté des rêves au Théâtre du Nord. Il se saisit de la radicalité du propos de Valerie Solanas, cette icône féministe dans l’Amérique des années 60, homosexuelle et intellectuelle en colère, dont l’histoire a surtout retenu sa tentative d’assassinat sur Andy Warhol. Partant du texte originel de Sara Stridsberg, oscillant entre récit, poésie et théâtre, il explore la personnalité complexe et tourmentée d’une femme à la croisée des chemins féministes et artistiques, celle qui se rêva la « première pute intellectuelle de l’Amérique » et qui appela à l’éradication des mâles.
En attendant de découvrir ce spectacle au printemps, au TG2 et au Monfort, allons au Théâtre de Belleville qui a décidément une programmation très intéressante. Serait-ce une femme aux mannettes ? Dans Mon Olympe, cinq jeunes femmes, féministes et fières de l’être, se retrouvent enfermées le soir dans un jardin public sans moyen de communication. Cette nuit blanche va très vite se transformer en un parcours initiatique mouvementé. Quant à Hedda, c’est une histoire d’amour comme il y en a tant, l’histoire ordinaire de l’une de celles dont on dit qu’elles sont restées, malgré le premier coup et ce qui a suivi.
Seules en scène
Parmi les one woman shows qui fleurissent sur nos scènes, voici un choix drastique parmi les jeunes pousses, dont les punchlines font mouche immédiatement. Inconnue il y a encore un an, Marina Rollman, jeune humoriste suisse de 30 ans, s’est fait connaître sur France Inter. Elle est passée par Montreux ou le Djamel Comedy Club, a assuré les premières parties de Gad Elmaleh. Avec son premier stand-up, elle fait un tabac (à voir au Théâtre de l’Œuvre). Quand elle ne parle pas de l’ignorance des hommes en matière de plaisir féminin, elle pointe le sexisme des pubs. Entre autres ! Et c’est désopilant (lire notre critique ici).
Humoriste, comédienne et chroniqueuse française, Nora Hamzawi s’est lancée sur scène en 2009, et, depuis, alterne les spectacles, les chroniques radio (elle aussi sur France Inter), ainsi que les rôles d’actrice. Elle épingle l’époque et exacerbe, avec la même lucidité qu’elle s’inflige à elle-même, les interrogations d’une jeune femme surprise d’être déjà trentenaire. Maternité, crises de couple, épanouissement social et sexuel… elle dissèque ses névroses avec autodérision et amusement pour finalement mieux nous aider à accepter les nôtres.
Et pour finir par l’une de celles qui défend le mieux la cause, avec humour : Florence Foresti jouera son spectacle Épilogue au profit de Women Safe, qui agit au quotidien pour les femmes et les enfants victimes ou témoins de violences, une association que l’artiste soutient activement. Une représentation unique, dimanche 8 mars à l’Olympia, où elle sera accompagnée de quelques amis. ¶
Léna Martinelli
La Folle et Inconvenante Histoire des femmes, de et avec Laura Leoni, d’après une idée originale de Diane Prost
Mise en scène : Laetitia Gonzalbes
Funambule Montmartre • Réservations ici
J’ai rêvé la Révolution, de Catherine Anne
Compagnie À brûle – pourpoint
Texte et mise en scène : Catherine Anne
Avec :
Catherine Anne, Luce Mouchel, Morgane Real, Pol Tronco
Théâtre de l’épée de bois, du 27 février au 8 mars 2020 • Réservations ici
Les Sea Girls, au pouvoir !, de et avec Lise Laffont, Judith Rémy, Prunella Rivière, Delphine Simon
Mise en scène : Johanny Bert
Centre Cyrano de Bergerac de Sannois, le 13 mars 2020 • Réservations ici • Tournée ici
Toute nue !, d’après Georges Feydeau et inspiré de Lars Norén
Cie Ex Voto à la lune
Conception : d’Émilie Anna Maillet
Avec : Sébastien Lalanne, Denis Lejeune, Marion Suzanne, Simon Terrenoire (ou Mathieu Perotto) et François Merville (batterie)
Théâtre Paris-Villette, jusqu’au 21 mars 2020 • Réservations ici
Sur / Exposition, d’Aurore Jacob
Compagnie Theatrum Mundi et les Chants égarés
Mise en scène : Anissa Daaou et Marceau Deschamps-Ségura
Avec : Anissa Daaou, Salomé Diénis-Meulien ou Asja Nadjar (en alternance), Marceau Deschamps-Ségura, Lucile Jégou, Romaric Olarte et Cécile Elma Roger
Théâtre La Reine Blanche, du 8 au 19 avril 2020 • Réservations ici
Liberté à Brême, de Rainer Werner Fassbinder
Mise en scène : Cédric Gourmelon
Avec : Valérie Dréville, Gaël Baron, Guillaume Cantillon, Christian Drillaud, Nathalie Kousnetzoff, Adrien Michaux, François Tizon, Gérard Watkins
Théâtre national de Strasbourg, jusqu’au 11 mars 2020 • Réservations ici • Tournée ici, dont T2G – Centre dramatique de Gennevilliers du 20 au 30 mars 2020, réservations ici
La Faculté des rêves, de Sara Stridsberg
Mise en scène : Christophe Rauck
Avec : Anne Caillère, Cécile Garcia Fogel, Mélanie Menu, Christèle Tual, David Houri, Pierre-Henri Puente
Tournée, dont TG2 Gennevilliers du 23 avril au 6 mai 2020, réservations ici, et Monfort (avec le Théâtre de la Ville) du 12 au 19 mai 2020, réservations ici
Hedda, de Lena Paugam, Sigrid Carré Lecoindre, Lucas Lelièvre
Site de la cie
Mise en scène et interprétation : Lena Paugam
Théâtre de Belleville, jusqu’au 29 mars 2020 • Réservations ici
Mon Olympe, de Gabrielle Chalmont et Marie-Pierre Nalbandian
Cie Les Mille printempsAvec : Claire Bouanich, Sarah Coulaud, Louise Fafa, Maud Martel, Jeanne Ruff
Théâtre de Belleville, jusqu’au 28 mars • Réservations ici • Tournée ici
Marina Rollman
Théâtre de l’Œuvre, jusqu’au 30 avril 2020 • Réservations ici • Tournée ici
Nora Hamzawi, nouveau spectacle
Théâtre Le République, jusqu’au 28 mars • Réservations iciTournée ici, dont Les Folies Bergère, du 23 au 26 avril, réservations ici
Épilogue, de Florence Foresti
Site iciL’Olympia, le 8 mars • Réservations ici • Tournée ici
À découvrir sur Les Trois Coups :
☛ De Midi à Minuit », 58 autrices des Écrivains Associés du Théâtre, Théâtre 14 Jean-Marie Serreau à Paris, par Léna Martinelli
☛ Regards de femmes, dans le cadre de la Journée internationale des droits des femmes, Le Kremlin-Bicêtre, par Léna Martinelli
2 réponses
Bonjour.
« Quand tout se fait petit, femmes vous restez grandes. » a écrit Victor Hugo.
La femme… Pauvre créature, née pour aimer et toujours empêchée de remplir cette fonction sainte ! Vouée par ce monde corrompu, aveugle, à une existence tourmentée, cherchant toujours ce bonheur promis et légitime, et n’y arrivant jamais. Etrangère, comme égarée, dans un monde indigne d’elle, qui a commencé par la méconnaître ou par en abuser, et qui ne cherche plus de satisfactions, aujourd’hui, que dans la licence dégradante, le luxe ridicule, l’ambition absurde ou la domination féroce.
Que tout cela est loin des joies pures que la jeune fille rêve encore, dans son ignorance de la corruption qui l’entoure !
Lien : https://livresdefemmeslivresdeverites.blogspot.com/2017/07/plus-un-enfant-connait-sa-mere-plus-il.html
Cordialement.
Merci pour votre article. L’art doit oeuvrer pour faire reculer les violences. Plasticienne, J’ai réalisé pour la Journée des Femmes 2018 et 2019 une installation dans un centre d’art sur le violences faites aux femmes. Intitulée « Loi n°2010-769 », elle rend tristement hommage aux 130 femmes décédées en 2018 et 141 en 2019 en France et à toutes les autres décédées dans le monde, victimes de leur partenaire ou ex-partenaire.
A découvrir : https://1011-art.blogspot.com/p/loi-n2010-769_2.html
Et aussi « This is not consent » sur la culture du viol : https://1011-art.blogspot.com/p/thisisnotconsent.html
Ces séries ont été présentées à des lycéens. Quand l’art contemporain ouvre le débat ?