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« Moby Dick », d’après Herman Melville, Théâtre du Voyageur, à Asnières-sur-Seine

Achat (François Louis) et Starbuck (Ariane Lacement) dans « Moby Dick » mis en scène par Chantal Melior © DR

Tout est bon dans le harpon

Par Élisabeth Hennebert
Les Trois Coups

À la tête d’un équipage expérimenté, Chantal Melior adapte « Moby Dick » au Théâtre du Voyageur, à Asnières. Elle dégraisse le mastodonte marin pour en faire un monstre sacré.

 

Porter Moby Dick à la scène, c’est comme introduire une baleine dans un aquarium. Pour tenter l’entreprise, il faut être un peu cinglé et Chantal Melior l’est tout à fait. Depuis une décennie, elle pilote une compagnie indépendante dans l’improbable décor d’un hangar S.N.C.F. reconverti en salle de spectacle sur un quai de banlieue. Ses spectacles créent la poésie entre deux express interurbains : en lui-même, le lieu vaut le détour. Inutile de préciser que la traversée n’a pas toujours été sans tempête. Il est donc tout naturel que le Capitaine Fracasse du 92 se sente des affinités avec le Capitaine Achab. Même cœur au ventre, même rage contre les prédateurs qui vous bouffent la jambe.

Depuis qu’il a perdu la moitié d’un membre inférieur dans la gueule d’un ogre des abysses, Achab n’a qu’une idée en tête : retrouver Moby Dick, le cétacé qui a fait le coup, et le harponner à mort. Autant qu’une histoire de marins, c’est un récit de vengeance. Le roman est long, touffu, indigeste ; il décourage depuis 150 ans les élèves anglicistes et les adultes de bonne volonté. Le Théâtre du Voyageur a pris le parti rare de tout garder et de découper la bestiole en quatre morceaux, soit quatre spectacles successifs au cours de l’année 2017. Chacun peut être vu indépendamment des autres. Le rythme sera celui d’une traversée transocéanique, lent donc, mais pas monotone pour autant.

Ishmaël (Mathieu Mottet) et Queequeg (Fabrice Tanguy) dans « Moby Dick » mis en scène par Chantal Melior © DR
Ishmaël (Mathieu Mottet) et Queequeg (Fabrice Tanguy) dans « Moby Dick » mis en scène par Chantal Melior © DR

Une saisissante série de tableaux vivants

Sous les lumières magnifiquement réglées par Michel Chauvot, onze comédiens composent des instantanés de la vie en mer, évoquant tantôt Géricault tantôt Jacques Tardi et Didier Daeninckx. Le tangage permanent entre l’esthétique de la B.D. et celle de la haute école picturale française n’a d’égal que le roulis d’une voix à l’autre, d’une dégaine à la suivante : on est emporté par la déferlante de ces onze trognes de loups de mer, plus vraies que nature.

Les Matelots du « gaillard d'avant » dans « Moby Dick » mis en scène par Chantal Melior © DR
Les Matelots du « gaillard d’avant » dans « Moby Dick » mis en scène par Chantal Melior © DR

Impossible de tous les nommer. Pourtant le talent est constant et le travail, méticuleux et précis. François Louis, d’abord, est un Achab terrifiant, doté d’une autorité scénique impeccable. Matthieu Motet est un Ishmaël délicieusement dans la lune et un bras cassé de première catégorie. Enluminé de tattoos maoris, Mathieu Tanguy campe un Queequeg à croquer. La conférence-performance d’Ariane Lagneau, encyclopédiste mi-savante, mi-loufoque, nous rend incollables sur le règne cétacé. Thibault Duval, plus Haddock que d’Alembert, braille une jolie contre-conférence sur la conjugaison du verbe « rire » à tous les temps de tous les modes. Nabila Attmane, cantatrice polyvalente, compose un cuistot trouillard tout à fait drôle. Et le visage de la pianiste Carol Lipkind, buriné et taillé à la serpe par la magie du maquillage, parvient à incarner toute la rudesse d’une vie de route.

Pendant près de deux heures, le vaisseau des mots vogue, parfois rattrapé par le tonnerre d’un train ne marquant pas l’arrêt en gare d’Asnières : étonnante installation mobile, flottant entre deux univers, le vrai et le fantastique, le prosaïque et le métaphorique, le ferroviaire et l’ultramarin. Oh, l’incroyable voyage !

Élisabeth Hennebert


Moby Dick 2 : baleine à plume, d’après Herman Melville

Cie le Théâtre du Voyageur

Adaptation et mise en scène : Chantal Melior et François Louis

Avec : Nabila Attmane, Véronique Blasek, Sophie Bonnet, Olivier Courtemanche, Thibault Duval, Ariane Lacquement, Ariane Lagneau, Carol Lipkind, François Louis, Mathieu Mottet, Fabrice Tanguy

Lumière : Michel Chauvot

Scénographie : Zette Cazalas

Peinture, décors : Marine Porque assistée d’Élodie Bianconi

Collaboration littéraire, musicale, piano : Carol Lipkind

Chant : Nabila Attmane

Théâtre du Voyageur • Gare S.N.C.F. – Quai D ou 34 bis, Avenue de la Marne • 92600 Asnières-sur-Seine

Réservations : 06 61 56 97 60 et 01 45 35 78 37

http://www.theatre-du-voyageur.com

Jusqu’au 14 mai 2017, du mercredi au vendredi à 20 h 30, le samedi à 19 heures et le dimanche à 17 heures

Durée : 1 h 50

De 11 € à 24 € 

Et prochainement Moby Dick 3 : Pippin tombe à l’eau  et Moby Dick 4 : Lignes de Fuite 

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