Quand rien ne va plus
Par Fatima Miloudi
Les Trois Coups
Ma deuxième dispute de couple depuis le début du Festival. Enfin, pas la mienne. Mais, sur les planches en ce moment, ça chauffe. Des hommes et des femmes qui ne savent plus s’aimer ni comment se séparer sans se saigner. Et ça vole bas : des noms d’oiseaux ! Ça fait pas dans la dentelle. Tempête dans le couple et naufrage imminent. Venez assister à la chute promise par « Occident » de Rémi De Vos.
Ça commence fort. Un décor léché à souhait. Rideau de résille blanc, diffusant un mur d’écrans télévisés. Le monde occidental et toute sa profusion. Sans les trois coups qui annoncent le drame, le rideau s’ouvre sur une chambre, parallélépipède aux murs mobiles et au sol blanc matelassé. Au fond, une ouverture figurant la porte d’entrée. Côté cour, un lit. Voilà pour le décor. Épuré comme il convient à notre temps de l’esthétique. On s’attend à du subtil. On en aura pour notre argent. Fini les illusions. Voici donc la vraie vie.
Il est là, dans l’embrasure de la porte. À vrai dire, il a l’air plutôt charmant. Et elle, tirée à quatre épingles. On sent qu’on entre dans le beau monde. Un couple ordinaire, peut-être. Mais le genre comme il faut, avec le train de vie qu’il faut. Tout irait pour le mieux, sans le premier mot – « p… » – et sans le deuxième – « s… ». On est en terrain miné. Descente dans l’enfer d’une relation toxique. Lui, c’est simple. Il est impuissant, alcoolique et raciste. Vous mettrez bien ces qualités dans l’ordre qu’il vous plaira, car c’est un joyeux bazar dans la tête de celui-là. Soir après soir, il rentre du Palace ou du Flandres. Il picole constamment. Il est bourré tout le temps.
Alors, de quoi peuvent-ils bien discuter ? C’est évident : toujours des mêmes sujets ! De Mohamed, par exemple, l’ami arabe qu’il ne défend pas quand il se fait tabasser par les Yougoslaves. C’est un copain mais « pas au point de me faire casser la gueule pour un Arabe », dit-il…
François Bergoin est à la fois metteur en scène, scénographe et comédien. Avec le vidéaste Fabien Delisle, il crée un début de toute beauté. À l’ouverture du rideau, le film projeté d’un enfant sur fond de décor champêtre se trouve déplié sur l’ensemble du décor – parois, sol, lit. L’image, s’adaptant aux formes, semble se diluer sur tout le volume du huis clos. L’éclairage figure, après les nuits terribles, l’éclosion des matins. Trace permanente, pendant la nuit qui passe, d’une bande rouge fluorescente en bas du lit, signe métaphorique du sang que l’on répand ici.
Quant aux comédiens, ils titubent de concert sur le sol matelassé. L’arrogance insupportable de l’homme est parfaitement campée par François Bergoin, et Catherine Graziani nous procure un véritable plaisir avec son accent épais et chantant. Sa verve, sa légèreté relèvent constamment ce qui pourrait tomber dans le dramatique et le répétitif. Grâce à leur jeu, malgré la forme itérative des scènes, les deux comédiens donnent son épaisseur au texte et laissent apparaître, derrière les mots jetés à la face de l’autre, le désarroi et la perte de soi. ¶
Fatima Miloudi
Occident, de Rémi De Vos
Cie Théâtre Alibi, centre dramatique itinérant de Corse
Mise en scène et scénographie : François Bergoin
Comédiens : Catherine Graziani, François Bergoin
Lumière : El‑Mekki Arrhioui
Vidéo : Fabien Delisle
Chargée de production : Élodie Poignet
La Manufacture • 2, rue des Écoles • 84000 Avignon
Réservations : 04 90 85 12 71
Du 8 au 28 juillet 2009 à 16 h 5, relâche le 20 juillet 2009
Durée : 1 h 35 (navette comprise)
16 € | 12 €