Melville, la vie
Par Cédric Enjalbert
Les Trois Coups
La traversée continue. Le Théâtre du Voyageur, à Asnières-sur-Seine, nous mène dans le sillage de « Moby Dick ». Il est encore temps de prendre le bateau en marche, le troisième épisode se joue jusqu’en décembre. Quelle pêche !
J’allais voir l’adaptation sûre d’un classique intimidant, j’ai découvert un poète. Car ce troisième volet de la mise en scène de Moby Dick – le premier relatait la mise à l’eau du vaisseau ; le second, la vie de l’équipage balloté par les flots – est plus littéraire que jamais. Dans cette section du roman, Melville, au grand large de l’écriture, développe des trésors d’images. Il convoque son goût pour la philosophie et réfère aux classiques, et pourtant, rien qui ne soit dans un rapport immédiat à la vie. Toutes ses métaphores servent un prosaïsme lyrique, manié avec humour et sans déférence, qui fait plaisir à entendre… et donc à voir, avec Chantal Melior, qui signe la mise en scène !
Elle brosse de merveilleux tableaux, avec les moyens du bord. C’est-à-dire, d’abord, beaucoup d’amour – pour le texte, pour les idées et pour les comédiens –, mais aussi une ingéniosité scénographique de tous les instants. Le théâtre est là. Elle donne vie à ce navire qui n’en manque pas et corps à cette langue tempétueuse. Des cordages, un pont reconstitué, des lumières d’atmosphères et des gueules qui vont avec : nous voici à la poursuite d’un monstre métaphorique, au milieu du vaste océan, pris dans ce que Melville nomme « les pires ouragans de l’Atlantique de [notre] être ».
Mais Chantal Melior ne force pas la ligne tragique. Elle invite plutôt, comme Melville, poète vitaliste, à goûter « les douceurs et la suavité d’une joie éternelle », « tandis que les lourdes planètes d’un inévitable malheur gravitent tout autour de nous ».
Cramponnez-vous aux rames !
De la description des besognes les plus triviales des baleiniers – tailler dans une bête, harponner, dériver – surgit une beauté qui nous raccroche à l’existence, qui en fait tâter l’épaisseur et la rigueur aussi, suivant un merveilleux adage, qui vaut pour le marin comme pour l’écrivain : « J’essaie tout, je réalise ce que je peux ».
Sur scène, une fine équipe fait le sel de cette traversée littéraire. Ainsi, François Louis, interprète un ténébreux Achab ; Mathieu Mottet, un Ismaël rêveur, qui ne se défait jamais de sa sagesse par gros temps ; Véronique Blasek en narratrice au visage lumineux maquillé d’or, rattrape les ellipses en quelques mots, un peu sceptique quant à cette folle aventure. Enfin, Nabila Attmane donne souffle au chant de la baleine, avec une voix qui charme.
Voyageurs, laissez-vous séduire par cette sirène, arrêtez-vous sur les quais de la Gare d’Asnières et rejoignez le théâtre. Un dernier conseil avant d’embarquer ? Il est de Melville, notez bien. Dans la tempête, « cramponnez-vous aux rames et à votre âme » ! ¶
Cédric Enjalbert
Pippin tombe à l’eau, troisième volet de la tétralogie Moby Dick, d’après Herman Melville
Mise en scène : Chantal Melior
Assistant à la mise en scène : François Louis
Interprètes : Nabila Attmane, Véronique Blasek, Olivier Courtemanche, Marc Dumontier, Thibault Duval, Ariane Lacquement, François Louis, Mathieu Mottet, Fabrice Tanguy
Chant : Nabila Attmane
Collaboration musicale et littéraire, piano : Carol Lipkind
Collaboration artistique : Zette Cazalas
Lumières : Michel Chauvot
Décors : Marine Porque assistée d’Élodie Bianconi
Photos : Bernard Quérard
Vidéo : Aurélien Melior
Durée : 2 h 10
Photo : © Bernard Quérard
Théâtre du Voyageur • Gare S.N.C.F. / Quai D, 34 bis, rue de la Marne • 92600 Asnières‑sur‑Seine
Du 15 novembre au 10 décembre 2017, du mercredi au vendredi à 20 h 30, samedi à 19 heures et dimanche à 17 heures
De 11 € à 24 €
Réservations : 01 45 35 78 37
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