« Sur les traces du Itfo », de Michel Laubu, les Subsistances à Lyon

« Sur les traces du ITFO » © Les Subsistances

Résistance et renouveau en Turaquie

Par Trina Mounier
Les Trois Coups

Cela faisait quelque temps que la tribu des Turak, ces drôles de marionnettes géantes animées par Michel Laubu, faisait moins parler d’elle. Et la revoilà dans un spectacle tout neuf qui se démarque des précédents et lorgne avec sensibilité du côté de la musique. Quel plaisir de la retrouver !

Au lever de rideau (quoique sans rideau), comme à l’accoutumée, sur un plateau qui tient du no man’s land, un bric-à-brac que l’on discerne mal dans une obscurité qui peine à se dissiper. Puis quelques ombres se meuvent dans le lointain, une lampe éclaire ici et là quelques vieux objets bizarres : un tuba, des pupitres, une grosse caisse, un violoncelle enceint(e) d’un violon, des chaises dépareillées, un, puis deux accordéons, des pancartes avec des slogans tristes et rigolos à la fois : Orchestre en luth, L’avenir, c’est deux mains… Les marionnettes surgissent enfin et s’installent, sortent leurs instruments. Derrière les masques de cet orchestre improvisé, l’humanité transparaît avec la mesquinerie, la méfiance, la susceptibilité : l’autre ne prend-il pas trop de place ? n’a-t-il pas volé ma partition ? L’humour s’insinue, les sourires se répandent dans la salle. C’est alors qu’une voix éraillée sort d’un mégaphone et annonce qu’en raison de la crise une partie des musiciens est licenciée…

Cette sinistre annonce, qui ne fait que précéder la suivante qui prononcera la dissolution pure et simple de l’orchestre et la mise à pied des derniers musiciens, a bien sûr des effets délétères, révélateurs de ce qui couvait : chacun cherche à tirer la couverture à soi, s’accroche au propre comme au figuré à son pupitre et à sa chaise, ce qui donne lieu par exemple à un jeu extrêmement drôle de chaises musicales.

On s’était habitué dans les spectacles de Michel Laubu à ce mélange savamment dosé de poésie et de drôlerie, à cette nostalgie des objets inanimés prenant âme, au charme désuet « des peintures idiotes, dessus de portes, décors, toiles de saltimbanque… », mais aussi de ces personnages venus d’une autre époque, avec leurs trognes taillées à la hache et leurs grandes houppelandes colorées. On y visitait un monde démodé et naïf.

La musique adoucit les mœurs. Vraiment ?

Dans cette recherche, Itfo (Import’nawak turak folkloric orke’stars, s’il vous plaît !) ajoute une intrigue comme dans une vraie pièce de théâtre, avec des personnages qui ont un type, sinon un caractère. Le metteur en scène, ainsi, s’attribue le rôle du chef d’orchestre. Il intègre surtout une véritable dimension musicale, non seulement par la présence de musiciens qui jouent en direct (et l’on sait la difficulté de faire rire par la musique), mais surtout parce que la musique est elle-même un personnage central de l’histoire. C’est elle qu’on déniche dans une vieille malle, sous les traits d’un accordéon dégingandé ou d’une caisse claire qui n’en fait qu’à sa tête… La présence de Laurent Vichard, tout à la fois auteur et interprète au clavecin ou au clavier, avec sa fantaisie, sa maîtrise, son sens de l’improvisation, y est pour beaucoup.

Il est aisé de retrouver la tendresse particulière avec laquelle Michel Laubu anime cette tribu de vieillards rouspéteurs, met en scène une troupe excellente de marionnettistes-musiciens-acteurs. Mais le propos est nouveau : ici, il nous raconte comment des musiciens éparpillés par caprice économique, amenés à se défaire de leurs instruments, puis de leurs membres (ah la jolie scène où bras et jambes perdus se mettent à vivre d’une vie propre et à faire ce qu’ils ont toujours fait : jouer, jouer encore…). Ou cette autre encore où l’une des marionnettistes se révèle aussi contorsionniste et nous offre un numéro formidable de danse sur les mains ! Pour finir, les musiciens, lassés d’interpréter à l’envi le Beau Danube bleu vont puiser en eux-mêmes l’énergie de se battre et refonder l’orchestre disparu… et rénové grâce à l’arrivée d’une guitare électrique avec ses rythmes : leur monde s’ouvre, se rajeunit et le cocktail est tout à fait réussi.

Ainsi assiste-t-on à la renaissance d’un orchestre, mais aussi d’un art très particulier dont on pouvait craindre qu’il ne s’installe dans la routine et qui nous prouve ici avec brio qu’il a plus d’un tour dans son sac ! 

Trina Mounier

Lire aussi les Fenêtres éclairées, de Michel Laubu, Théâtre Gérard‑Philipe à Saint‑Denis

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Sur les traces du Itfo, de Michel Laubu

Auteur, metteur en scène, scénographe : Michel Laubu

Composition musicale et arrangements : Laurent Vichard

Guitare préenregistrée : Rodolphe Burger

Interprètes : Michel Laubu, Marie‑Pierre Pirson, Caroline Cybula, Emili Hufnagel

Musiciens en direct : Laurent Vichard (bouzouki, clarinette basse, clavier), Frédéric Roudet (cuivres)

Lumière : Timothy Marozzi

Son : Hélène Kieffer

Construction décors et personnages : Charly Frénéa, Géraldine Bonneton, Joseph Paillard, Emmeline Beaussier

Trombone préenregistré : Loïc Bachevillier

Production : Cécile Lutz

Regards extérieurs et précieux : Olivia Burton, Philippe Cancel, Vincent Roca

Photo : © Les Subsistances

Merci à Josette Zanetti et Hélène Cancel d’être toujours à nos côtés

Production : Turak Théâtre

Coproduction : Le Bateau-Feu scène nationale de Dunkerque ; Les Subsistances, Lyon ; Le Carreau, scène nationale de Forbach ; La Comédie de Saint-Étienne, centre dramatique national ; Théâtre Anne‑de‑Bretagne, Vannes ; La Passerelle, scène nationale de Gap ; Théâtre Jean‑Renoir, Cran Gevrier

Avec le soutien de l’espace Paul-Jargot, Crolles

Turak Théâtre est une compagnie associée au Bateau-Feu, scène nationale de Dunkerque

Les Subsistances • 8 bis, quai Saint-Vincent • 69001 Lyon

04 78 39 10 02

www.les-subs.com

Du 10 au 21 décembre, les mardi 10, mercredi 11, jeudi 12 et vendredi 13 à 20 heures, samedi 14 à 18 heures, lundi 16, mardi 17, mercredi 18, jeudi 19 et vendredi 20 à 20 heures, samedi 21 à 18 heures

Tarif unique : 8 €

Tournée :

  • Du 8 au 10 janvier 2014 à L’Hexagone, scène nationale à Meylan
  • Du 15 au 17 janvier 2014 à La Comédie de Saint-Étienne
  • Du 28 au 30 janvier 2014 au Bateau-Feu, scène nationale de Dunkerque
  • Le 4 février 2014 au Théâtre Gérard-Philipe, Frouard
  • Les 11 et 12 février 2014 au Carreau, scène nationale de Forbach et de l’Est mosellan
  • Du 8 au 30 mars 2014 au Théâtre Gérard-Philipe de Saint-Denis
  • Le 14 avril 2014 à La Passerelle, scène nationale de Saint-Brieuc
  • Le 11 avril 2014 au Théâtre de Cornouaille, scène nationale de Quimper
  • Les 14 et 15 avril 2014 au Théâtre Anne-de-Bretagne, Vannes

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