« La Rose en céramique » et « L’Invocation à la muse », dans le cadre des « Sujets à vif » du Festival d’Avignon

« L'invocation à la muse » © Christophe Raynaud de Lage

L’amour est dans le jardin

Par Cédric Enjalbert
Les Trois Coups 

Depuis plus de vingt ans, le Festival d’Avignon et la Société des auteurs et compositeurs dramatiques (SACD) invitent danseurs et auteurs à créer conjointement de brefs spectacles. Huit, cette année, répartis en quatre programmes.

Chaque programme des Sujets à vif compte deux spectacles, en un peu plus d’une heure au total. Ce matin, à onze heures tapante, dans le merveilleux enclos de verdure au cœur d’Avignon – le Jardin de la Vierge –, un homme las (Scali Delpeyrat), s’interroge sur le sens de son existence. Il est proprement « agi » par un corps étranger, celui du danseur Alexander Vantournhout, son double bienveillant. Le corps musculeux de l’athlète articule l’homme abattu comme une marionnette. Seul, depuis que l’amour a fui, il évoque ses accommodements pour affronter l’immensité de l’absence.

Que se passe-t-il lorsque l’aimé(e) nous a quitté ? Comment distinguer ce qui a encore de l’importance ? Et pourquoi d’ailleurs avons-nous besoin d’être aimé ? Scali Delpeyrat brosse placidement les affres du quotidien. Il se livre à une phénoménologie de la vie ordinaire. La perception des sensations et des sons, lorsqu’il vide une machine à laver la vaisselle ; les divagations sur la mort, du point de vue de Sirius ; la sensation d’une serviette brodée du nom de l’être aimé, passée sur le corps. Essayant tantôt d’échapper à soi en se concentrant sur les perceptions présentes, tantôt rattrapé par la mélancolie et les pensées vagues, passés ou futures, il appréhende la part du feu de l’amour, ce que la séparation nous ôte. Alors ? Une certaine certitude d’exister, peut-être, la possibilité de devenir soi au seul contact de l’autre.

« La rose en céramique » © Christophe Raynaud de Lage
« La Tose en céramique » © Christophe Raynaud de Lage

« Le vent ne revient jamais sur ses pas »

Le second volet de ce « sujet à vif » a été confié à Carita Abell, une performeuse, et au comédien Vanasay Khamphommala, la muse et son poète. Une muse BDSM qui, à force d’excitations variées – coup de ceinture, shibari, cire… –, invite le poète à improviser sous la contrainte, littéralement avec « enthousiasme », soit avec ce souffle d’inspiration divine qui s’empare de l’âme. Il se dévêt, à mesure que le spectacle avance, brouillant progressivement les identités, ôtant un costume pour des talons, détachant ses cheveux, trouvant lentement les mots. Carita Abell et Vanasay Khamphommala mentionnent la théorie de l’inspiration de nature divine, érotique et poétique que Platon expose dans Phèdre, un dialogue qui porte notamment sur la rhétorique et l’écriture. « Allons, Muses ! […] aidez-moi m’engager dans ce discours » déclare Socrate. Il montre ailleurs dans le Banquet que l’érotisme mène vers l’expérience intellectuelle et la vérité, car il nous rend sensible à la beauté.

D’abord impressionniste, fait d’actions successives et d’aphorismes – dont, ce matin-là, le beau « The wind never goes back » [le vent ne revient jamais sur ses pas] – le spectacle prend corps à la toute fin, à la faveur d’une image, lorsqu’enfin le souffle est venu et qu’il traverse le poète, qui peut alors entonner Music for a while.

Perdre sa moitié et trouver son âme sœur, fût-elle poétique, les deux volets de ce « Sujet à vif » se complètent, comme deux versants d’une même question : comment trouver l’identité dans un autre, devenir soi grâce à une altérité, sans s’y perdre ?  

Cédric Enjalbert


La Rose en céramique, de Scali Delpeyrat et Alexander Vantournhout

L’Invocation à la muse, de Caritia Abell et Vanasay Khamphommala

 Sujets à vif, dans le cadre du Festival d’Avignon

Jardin de la Vierge du lycée Saint-Joseph • 84000 Avignon

Programme A, du 7 au 13 juillet, à 11 heures, relâche le 10 juillet

Durée : 1 h 20

Photo ©  Christophe Raynaud de Lage

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