Cour toujours !
Laura Plas
Les Trois Coups
Bien composé, bien interprété, souvent enlevé, « À la barre » joue des analogies et ruptures entre théâtre et tribunal et parvient à renouveler l’approche sur le sujet des violences viriles. Si on ne sort pas touché, on a en a beaucoup appris et on a plein de questions.
Encore un spectacle sur les violences viriles ! On pourrait simplement répondre à cette crainte de l’antienne par des chiffres : « encore 79 féminicides au 1er juillet de cette année ! Encore un viol, ou une tentative de viol, toute les deux minutes trente ! ». Comme le dit une chanson de Chloé Delaume, « on ne sait plus comment arrêter les hommes de violer »…
À la barre adopte un angle original : celui du traitement pénal des violences masculines. D’où un dispositif scénographique particulier : après avoir passé des portiques de sécurité, nous nous trouvons dans la salle d’un tribunal ! Aucun élément de décor, aucun accessoire ne vient modifier le lieu. Plongé dans cet espace de non fiction, le spectateur ne cesse ainsi jamais d’être citoyen. Extrêmement pédagogique par moment, le spectacle nous éclaire sur les rôles et le fonctionnement de la justice. Nous voici d’abord côté cour. Pourtant, si l’espace compartimenté de la salle, l’élévation de la table des magistrats, les robes noires bordées de blanc évoquent la réalité, tout fait aussi… théâtre.
Oreste : de l’antique à aujourd’hui
Tout commence par une référence au matricide qui marque la naissance mythique de la justice : Oreste tue sa mère Clytemnestre. Et cette histoire tragique est aussi une pièce d’Eschyle, reprise encore et encore. Théâtre, violence, justice sont liés depuis les origines, on le sait. Les deux pratiques mettent non seulement la parole conflictuelle au centre (agôn et plaidoirie), mais jouent d’un rituel (espace et échanges codifiés), du décorum. À La Barre s’amuse proprement de ces ressemblances. Le réel devient matière documentaire au sens où on en joue par des échappées vers des interrogations générales, des contrepoints, des ponctuations.
Malgré la gravité assumée du sujet, il y a donc quelque chose de ludique dans la proposition. Le spectacle est véritablement composé comme un puzzle. On contrebalance des moments durs avec des chants humoristiques, on casse le jeu par des adresses au public où le personnage redevient alors comédien. On virevolte d’une audience à une citation de Virginie Despentes, à une statistique, à un nouveau procès. On sourit et puis pas du tout, on est étonné (sans doute à dessein) par une formule à l’emporte-pièce que l’on comprend mieux plus tard. D’ailleurs, on a parfois l’impression que le spectacle embrasse trop de sujets, sans toujours les approfondir. Toutefois, on est souvent impressionné par la maîtrise dramaturgique.
Le ballet des robes
Cette dimension de jeu (ludique et théâtrale) fonctionne avant tout par la qualité des interprètes. Ils passent d’une parole très dépouillée (quand ils se confient avec probité sur leurs doutes ou leurs colères), à un jeu très théâtral. Changeant sans cesse de rôles, devenant tour à tour prévenu, plaignant·e, magistrat·e, ils nous entraînent dans un ballet qui exprime puissamment la charge démentielle des fonctionnaires de justice tout autant que la maestria des comédiens. Sans doute, s’agit-il aussi d’éviter une forme de stigmatisation ?
Cette année, nombreuses sont les pièces qui ont porté sur scène la grandeur et les misères quotidiennes de la justice : Léviathan de Guillaume Poix et Lorraine de Sagazan (lire notre critique), Affaires familiales d’Émilie Rousset, etc. Le spectacle de la compagnie du P’tit Ballon se clôt sur une série de questions adressées au public pour mettre fin aux violences viriles (viols sur conjoint.e.s, viols d’enfants, violences en général). Il met en évidence la différence entre notre conscience du problème et l’implication insuffisante des décideurs. On aurait envie d’ajouter cette question : à quand des moyens pour que justice puisse être faite ?
Laura Plas
À La Barre, Cie du P’tit Ballon
Site du CDN de Normandie
Texte : Ronan Chéneau
Mise en scène : Steeve Brunet assisté de Remi Dessenoix
Avec : Steeve Brunet, Marion Casabianca, Anne Cosmao, Valérie Diome, Adrien Vada
Durée : 1 h 15 (et 45 minutes de débat)
Dès 15 ans
La Manufacture • 2, rue des écoles • 84000 Avignon
Du 8 au 18 juillet 2025 (sauf les 12, 13 14), à 11 heures et 15 heures (trajet compris)
De 14 € à 20 €
Réservations : en ligne et au 04 90 85 12 71
Dans le cadre du Festival Off Avignon, 59e édition du 5 au 26 juillet 2025
Plus d’infos ici
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☛ Nous qui avons encore 25 ans, par Fabrice Chêne
Photos : © Arnaud Bertereau