« Audimat », de Tancrède et Fabrice Lehman, le Trianon à Paris

rideau-rouge

Audimat, mon amour

Par Céline Doukhan
Les Trois Coups

« Audimat » © François Rousseau
« Audimat » © François Rousseau

Voilà une comédie musicale qui décoiffe ! Le directeur de la chaîne Téléslige est au bord de la crise de nerfs : l’audience est au plus bas. La faute à un présentateur catastrophe nommé Étienne Poule : avec ses idées d’émissions saugrenues, celui-ci n’est pas dans l’air du temps, contrairement à la très populaire Violette. Grâce à cette présentatrice, la chaîne concurrente, Show 7 (dirigée par M. Chaussette !), cartonne et écrase ses rivales. M. Slige va donc tenter de débaucher Violette pour sauver sa chaîne. Tout cela sous l’égide de Christiane Serpenti, la grande prêtresse des sondages, et des fameuses ménagères de moins de cinquante ans, qui ne manquent pas une occasion de zapper !

On redoutait que les auteurs ne se prennent à leur propre piège : pour critiquer la démagogie et la bêtise à l’œuvre sur le petit écran, encore fallait-il le faire sans y avoir soi-même recours ! Et, de ce point de vue, le spectacle est très réussi. Pour dénoncer ces dérives, les auteurs choisissent de faire rire, et, pour faire rire, de caricaturer à outrance. Le ton est satirique, et les scènes cocasses s’enchaînent sans répit, depuis l’ouverture par le chœur des ménagères, zappeuses sexy et impitoyables, jusqu’au duo impromptu des deux producteurs ennemis, en passant par la complainte nostalgique de M. Slige, dépressif depuis l’arrivée du numérique ! Tous les comédiens-chanteurs-danseurs s’en donnent à cœur joie, chacun tirant son épingle du jeu grâce à des personnages forts, qui dévoilent progressivement les multiples facettes de leur caractère. Tous ont une diction impeccable, ce qui participe à la lisibilité et à la fluidité de ce spectacle, au cours duquel on ne s’ennuie pas une seconde.

Même les moments plus calmes, véritables peaux de banane sur la route de la comédie, sont sujets à dérision. Par exemple, quand la présentatrice vedette commence à se lamenter sur son statut de star jamais aimée pour elle-même, façon Julia Roberts dans Notting Hill. Mais c’est pour mieux se faire railler par l’inénarrable Christiane Serpentin, directrice de l’institut de sondage Médiatrop, dite « la castratrice du P.A.F. » ! On saluera ici l’abattage de Valérie Zaccomer, très en forme. De même, le joli duo entre Étienne et Violette est mis en valeur par la reprise grotesque qu’en font les deux producteurs enfin réconciliés ! Ces deux-là composent des figures impayables, médiocres dans leur soif de pouvoir et ridiculement imbus d’eux-mêmes. Les plus jeunes, eux, conservent une certaine innocence, comme Étienne Poule, joué par le fringant Sinan Bertrand, dont le physique de jeune premier fait merveille dans cet emploi. Toujours en retard d’un train, Étienne ne propose que des idées totalement anticommerciales. Son nouveau projet consiste à parler des « métiers oubliés » : il s’agirait ainsi de rencontrer un horloger, lui poser des questions « subversives » ( !) et faire intervenir rien moins qu’un anthropologue. Pas assez glamour pour le P.A.F., c’est sûr ! Associé à la très « tendance » Violette, ils finiront pourtant par créer, au nez et à la barbe des producteurs, cette chaîne utopique aux contenus pour le moins décalés ! Enfin, Alice Decelle campe une impayable assistante de production qui ne rêve que de passer devant la caméra. Elle reste en retrait pour mieux se révéler vers la fin du spectacle, notamment dans une scène très réussie au cours de laquelle elle dévoile enfin ses ambitions, tandis que, comme un double, la comédienne et chorégraphe Alma de Villalobos offre un numéro de claquettes très sexy de l’autre côté du plateau.

Mais l’âme de cette comédie, sa colonne vertébrale, c’est la musique de Tancrède. Ce jeune auteur-compositeur a réussi à créer une excellente musique de scène, avec des textes pleins de drôlerie, voire de poésie, souvent mordants, et portés par des mélodies et des orchestrations emballantes. Les différents airs sont de style très variés : jazz, motif de piano et claquettes façon Broadway, ou bien duo plus romantique au piano… De quoi donner envie de découvrir plus avant la musique du monsieur.

Au milieu de la beauté fanée de ce théâtre froid et vétuste, toute cette équipe a vraiment fait passer au public un très bon moment. À recommander sans hésitation ! 

Céline Doukhan


Audimat, de Tancrède et Fabrice Lehman

Paroles et musique : Tancrède

Livret : Tancrède et Fabrice Lehman

Mise en scène : Stéphan Druet

Chorégraphie : Alma de Villalobos

Avec : Frédéric Norbert, Valérie Zaccomer, Sinan Bertrand, François Briault, Amala André, Alice Decelle, Alma de Villalobos, Laurie May, Cécile Nodie

Costumes : Élisabeth de Sauverzac

Décors : Gilles Jauffret

Lumière : Nicolas Dailler

Photo : © François Rousseau

Le Trianon • 80, boulevard Rochechouart • 75018 Paris

Métro : Anvers

www.theatreletrianon.com

Réservations : 01 44 92 78 04

Du 11 au 29 novembre 2008 à 20 h 30 et du 23 au 30 décembre 2008 à 20 h 30, le dimanche à 17 heures

Durée : 2 heures, dont un entracte de 15 minutes

49 € | 40 € | 27 € | 24 € | 12 €

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