« Boxe boxe », par la compagnie Käfig, Radiant‐Bellevue à Caluire‐et‑Cuire

« Boxe boxe » © Michel Cavalca

Merzouki nous met chaos !

Par Émilie Boughanem
Les Trois Coups

Mourad Merzouki est connu pour ses audacieux dépassements des catégories artistiques. Avec « Boxe boxe », le chorégraphe relève un nouveau défi en invitant les danseurs hip-hop de la compagnie Käfig et le Quatuor Debussy à partager le même plateau ou, devrions-nous dire, le même ring. L’ambivalence opère magistralement, et la scène du Radiant-Bellevue tremble sous l’énergie stupéfiante de ce spectacle.

Si le mélange de la musique classique et de la danse hip-hop semble déjà constituer un parti pris osé, l’union de la danse classique et d’un spectacle de hip-hop sur le thème de la boxe relève du pari fou. Or, le génie de Merzouki se nourrit des apparentes impossibilités artistiques pour nous convier à des moments de beauté saisissante. Boxe boxe ne fait pas exception à la règle. Dès le lever de rideau, la référence au sport de combat prend tout son sens : la lutte fonde les moindres déplacements des danseurs. Mais cette lutte est esquissée avec subtilité et délicatesse. Les corps s’affrontent et se repoussent dans une fluidité caressante. Les gestes ne manquent pas pour autant d’énergie, et nous assistons à des acrobaties spectaculaires dans lesquelles vient s’incarner la radicalité de l’affrontement.

Mourad Merzouki puise notamment ses influences dans le cirque, et ses chorégraphies en gardent l’empreinte. À travers les différents tableaux, c’est une forme de poétique du sport qui se déploie sous nos yeux. En effet, nous avons affaire à la détermination du boxeur jusqu’à l’épuisement, à l’éternel recommencement de l’exercice vers une impossible perfection, à la lutte enfin, respectueuse mais implacable, contre l’autre, contre soi, contre les limites du corps et de la fatigue. Boxe boxe est un hymne inattendu au sport et à l’effort, où la beauté vient remplacer la force, et ce, sur des morceaux du répertoire classique superbement interprétés.

Un art du contrepoint magistral

Le moins que l’on puisse dire, c’est que ce spectacle vous met chaos : percutant et surprenant, sa réussite vous saisit à tous les niveaux. La scénographie séduit par son originalité : le décor dévoile un onirisme inattendu pour une création sur la boxe. Le sol est un vaste damier. Une élégante installation occupe le centre de la scène. Elle semble représenter un portail en fer forgé. Quatre hauts fauteuils sont disposés de part et d’autre du plateau, leurs dossiers aux longues lignes effilées sont également faits de fer. L’univers que nous avons devant les yeux rappelle celui de Tim Burton, ou d’Alice au pays des merveilles, et invite immédiatement au rêve.

Les costumes s’inscrivent également dans un intéressant contrepoint par rapport au monde sportif. Les musiciens arborent des redingotes à queue-de-pie par-dessus des survêtements. Les danseurs portent des tenues contrastées, entre jogging et justaucorps à l’ancienne. Ce choix vestimentaire accentue la part d’imaginaire du spectacle. Le jeu de lumières vient rehausser encore l’ensemble visuel déjà excellent : les zones de combat se dessinent à travers d’harmonieux clairs-obscurs. Et si le cadre est prometteur, la performance qui vient s’y inscrire outrepasse de loin nos attentes.

Cordes et corps sur le ring

Les danseurs enchaînent les figures les plus spectaculaires de la breakdance, telles que des « head spins », « coupoles » ou « envolées », figures qu’ils exécutent selon une grâce vaporeuse évoquant davantage l’univers de la danse classique que celui du hip-hop. Encore une fois, le mélange des genres réussit à Mourad Merzouki. Nous sommes impressionnés et charmés à la fois. Ce style envolé est magnifiquement contrebalancé par des parenthèses plus puissantes durant lesquelles les danseurs miment à la perfection des combats.

La prestation musicale du Quatuor Debussy vient sublimer l’ensemble. Le choix des morceaux est pertinent et l’interprétation des musiciens se révèle magistrale. Il faut souligner ici que ces derniers ne restent pas sur le côté ou en arrière-plan : ils se dressent sur le plateau. Leur présence ainsi que leurs déplacements font partie intégrante de la chorégraphie, et c’est là le coup de maître de Mourad Merzouki : l’espace scénique est aussi bien structuré par les musiciens que par les danseurs, le tout opérant dans une belle originalité.

Coup de cœur enfin pour l’inflexion burlesque apportée au spectacle par l’insertion d’un singulier personnage : un improbable arbitre ventripotent et gesticulant, qui se fait refouler dans de joyeuses bousculades. Nous sortons amusés, touchés, émerveillés par ce florilège de grâce, moins éthéré que musclé, qui nous laisse rêveurs et nous donne envie de danser. 

Émilie Boughanem


Boxe boxe

Cie Käfig • 1, place Salvador-Allende • 94000 Créteil

01 56 71 13 20

www.ccncreteil.com

Direction artistique et chorégraphie : Mourad Merzouki

Conception musicale : Quatuor Debussy et AS’N

Interprétation musicale Quatuor Debussy : Christophe Collette (violon), Vincent Deprecq (alto), Dorian Lamotte (violon), Seok Woo-yoon (violoncelle)

Avec : Rémi Autechaud, Guillaume Chanton, Aurélien Desobry, Magali Duclos, Frédéric Lataste, Mourad Merzouki, David Rodrigues, Steven Valade, Teddy Verardo

Scénographie : Benjamin Lebreton, avec la collaboration de Mourad Merzouki

Lumières : Yoann Tivoli

Assistants lumières : Nicolas Faucheux et Julie-Lola Lanteri

Construction : Patrick Lerat

Costumes : Émilie Carpentier

Assistants costumes : Pierre-Yves Loup-Forest et Mathilde Boulay

Peintures : Camille Courier et Benjamin Lebreton

Régie lumière : Cécile Robin

Régie son : Emmanuel Sauldubois

Régie plateau : François Michaudel

Photo : © Michel Cavalca

Production : C.C.N. de Créteil et du Val-de-Marne / Cie Käfig

Radiant-Bellevue • 1, rue Jean Moulin • 69300 Caluire-et-Cuire

www.radiant-bellevue.fr

Du 19 au 21 mars 2014 à 20 h 30

Durée : 1 heure

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