Le bonheur de danser
Par Alicia Dorey
Les Trois Coups
En une heure et demie, la chorégraphe Eun-me Ahn nous offre un portrait à la fois tendre et brutal du troisième âge coréen.
C’est Eun-me Ahn en personne qui ouvre la danse. Dans un silence de plomb, la plus célèbre des chorégraphes coréennes esquisse des mouvements lents, qui nous paraissent empreints de retenue et de pudeur. Tout en restant fidèle à l’esthétique de la danse coréenne traditionnelle, dont elle débuta la pratique à l’âge de douze ans, on sent chez Eun-me Ahn une certaine impertinence, comme une volonté de nous faire comprendre à travers cette introduction qu’elle est sur le point de nous raconter une histoire : celle des femmes de son pays.
Ce ne sont au départ que de jeunes danseurs qui traversent la scène du Théâtre de la Ville à la vitesse de la lumière, vêtus d’ensembles colorés censés évoquer le style vestimentaire du troisième âge coréen. Pantalons larges aux motifs fleuris, gilets sans manches en grosse laine, sous lesquels on devine des silhouettes, tantôt épaisses, tantôt graciles, mais toujours incroyablement lestes et puissantes. On se demande où sont ces « Dancing Grandmothers », que l’on attendait avec une certaine impatience.
On les découvre d’abord à travers un documentaire silencieux projeté sur grand écran, qui vient rompre le rythme endiablé des morceaux précédents. Elles sont là. Des grand-mères, issues des quatre coins de la Corée du Sud, de l’échoppe séoulienne à l’atelier rural, en passant par des bords de route, des champs ou encore des salles polyvalentes. Il leur a été demandé de danser, de la façon la plus naturelle et spontanée possible. Elles sont parfois timides, souvent hésitantes, mais le bonheur qu’elles affichent efface immédiatement la faiblesse de leur corps marqué par les années. Leurs gestes, imprécis et gauches, nous font d’abord sourire, puis on se laisse gagner par l’émotion : nous sommes face à des femmes qui, à soixante ou à quatre-vingt-dix ans, réalisent avec un plaisir infini qu’elles sont encore capables de se mouvoir, non sans une certaine grâce.
Un décalage éblouissant
Sur des rythmes de pop et de variété coréennes, après quarante minutes de représentation, onze grand-mères et un grand-père entrent enfin en scène. Ils se déhanchent, traversent le plateau en diagonale, dansent un slow, partent puis reviennent, chancelants, d’énormes boules à facettes dans les bras. De jeunes danseurs les entourent, et les guident avec une très grande bienveillance. Le décalage qui s’opère entre eux se creuse et s’atténue par intermittence. Il finit par s’effacer derrière une incroyable dose d’humour et d’autodérision. Comment ne pas éclater de rire à la vue de ces Dancing Grandmothers qui tournoient lentement devant un écran affichant des fonds sous-marins peuplés de tortues de mer géantes ? La ressemblance est frappante, et infiniment drôle. Grâce au talent de cette troupe hors du commun, on assiste à un ballet intergénérationnel qui, s’il n’évite pas l’écueil de provoquer un attendrissement un peu convenu, reste quand même l’un des spectacles les plus enthousiasmants de ce Festival d’automne. ¶
Alicia Dorey
Dancing Grandmothers, de Eun-me Ahn
Mise en scène, chorégraphie, scénographie et costumes : Eun-me Ahn
Avec : Eun-me Ahn,Hyung-kyun Ko, Nam-hyun Woo, Youngmin Jung, Si‑han Park, Hyekyoung Kim, Jihye Ha, Hyo‑sub Bae, Ee‑sul Lee, Kim‑bum Kim, Moon‑seok Choi, Mi‑sook Lee, Lee‑sub Shin, Mi‑kyoung Lee, Sun‑deok Kim, Chang‑nang Ahn, Jung‑hee Yoon, Hee‑sook Choi, Dal‑wha Chung, Jung‑nim Jang, Myunghee Lee, Hong‑bun Son et Sang‑won An
Lumières : Jang Jinyoung
Vidéo : Tae‑suk Lee
Costumes et décors : Yunkwan Design
Photo : © Youngmo Choe
Théâtre de la Ville • 2, place du Châtelet • 75004 Paris
Réservations : 01 42 74 22 77
Site du théâtre : www.theatredelaville-paris.com
Métro : lignes 1, 4, 7, 11 et 14, arrêt Châtelet
Du 27 au 29 septembre 2015 à 20 h 30
Durée : 1 h 30
30 € | 20 € | 18 €
Tournée :
- Espace Michel-Simon de Noisy-le-Grand le 8 octobre 2015
- Théâtre de Saint-Quentin-en-Yvelines le 10 octobre 2015