« Dans la peau d’un magicien », Thierry Collet, théâtre du Rond-Point, Paris

Dans-la-peau-d'un-magicien © Baptiste-Le-Quiniou

Tout est mystère, parole de magicien !

Par Florence Douroux
Les Trois Coups

C’est une vie fascinée par le mystère que vient conter, en mots et en tours, le magicien Thierry Collet, avec la complicité du metteur en scène Éric Didry. Comment le mystère est-il vécu ? Repéré ? Quelle en est sa résonnance ?« Dans la peau d’un magicien » nous glisse dans les émotions de Thierry Collet et, en écho, convoque les nôtres. Un spectacle rare, à voir au Théâtre du Rond-Point.

La magie de Thierry Collet a déjà entraîné le public dans des réflexions autour de la manipulation mentale, en l’incitant à exercer son esprit critique sur des thématiques actuelles, comme les pouvoirs démesurés du numérique et leurs dérapages vers la captation des données personnelles.

Rien de tel avec Dans la peau d’un magicien : le rendez-vous proposé est personnel. Il prend la forme d’un récit, dans lequel s’entrecroisent en permanence évocations de vie et tours de magie. Thierry Collet y raconte des évènements fondateurs de sa vie d’artiste, les coulisses de ce monde inconnu, avec ses salons, ses achats et ventes de tours, ses foires aux trucs, les cessions de close-up : le décor et l’envers du décor de l’univers de l’impossible. Ce faisant, il revisite des tours de légende, et nous bluffe. Cet entrelac du réel et de l’imaginaire, du vécu et de la pratique, révèle, de toute évidence, que la magie est pierre angulaire de sa construction identitaire, et atteste que le mystère est invité permanent de la vie.

« Qu’est-ce que ça fait mal ! » Ce sont les premiers mots du spectacle. Rarement (jamais peut-être !), le public n’aura entendu pareil aveu d’un maître de l’illusion : il vient généralement admirer la façon dont celui-ci se joue de tous les dangers, s’affranchit de toutes les craintes, sans états d’âme ; il vient applaudir le brio, le tour, qui, en le bernant, le dépasse. D’une stupéfaction à l’autre : ainsi va son attente, il n’attend pas de réalité.

Ici, est introduit un rapport d’un autre ton : la voix un peu étouffée qui sort de la caisse aux épées est une promesse de sincérité. Et si le magicien était aussi un Monsieur Tout le monde ? S’il acceptait d’écarter le masque ? C’est l’un des défis de Thierry Collet : déplacer la posture du magicien, passer de l’autorité à une position plus abandonnée de franchise. Du coup, les expériences évoquées, porteuses d’écho et de résonnances, signent l’échange possible autour de l’émotion magique : c’est rare !

Comme un parcours initiatique

D’un bout à l’autre du spectacle, Thierry Collet entraîne le public dans les péripéties d’un parcours comparé à l’initiation évoquée par les arcanes du tarot : l’apprenti magicien, ou Bateleur, ne peut opérer sans accessoires, tandis que le Fou, aguerri par l’expérience, peut s’en délester : « c’est le magicien que je rêve de devenir ».

© Baptiste Le Quiniou

Le tour inaugural du spectacle est celui de « la caisse aux épées », vue autrement, puisque Thierry Collet nous invite à l’intérieur même, dans les entrailles de cette boite mystère, d’où, semble-t-il, il parle avec caméra et micro. Son assistant perce la boîte de part en part d’une vingtaine de longs pics, et en creuse le centre, qui laisse apparaître un grand vide. Où donc est notre homme ? Ici ou …là ? En tout cas, en moins de temps qu’il ne faut pour le dire, il surgit de la boîte vêtu des habits choisis sur portants par une spectatrice invitée sur scène. Bon. Notre esprit est déjà à la peine. « Vous avez toujours cru qu’il y avait quelqu’un dans la caisse ? » demande-t-il en s’extirpant, « vous n’avez jamais douté ? ». On n’en saura pas plus, même lorsqu’il déplie la boîte, dont le fond devient partie du décor, sans rien nous révéler.

À l’autre bout du spectacle, comme au terme de l’initiation annoncée, une manipulation de cartes hors normes subjugue le public. Complètement dévêtu, Thierry Collet ne dispose, et pour cause, d’aucune planque pour réaliser les apparitions et disparitions. « Je m’étais bien moqué des autres, que je voyais maigrir au fur et à mesure qu’ils faisaient apparaître des cartes ou des colombes, alors je me suis donné le défi de faire autrement ». Aucune cachette possible, aucun topit, à moins qu’il ne soit niché dans le creux de la peau, et pourtant mille cartes surgissent dans ses mains, de nulle part. Un engagement total du corps au service de l’effet magique, démultiplié par une apparente simplicité. Si cette version ahurissante du « Back and front» n’est pas l’œuvre du Fou, ce doit être celle de son frère.

Le parfum du mystère

Au-delà de prouesses magiques stupéfiantes, Dans la peau d’un magicien a l’attrait d’une véritable visite guidée, dans laquelle Thierry Collet, à la fois guide et performeur, invite le public à éprouver le mystère au plus près. Une personne est invitée à fermer les yeux pour « ressentir » la magie. Il passe et repasse un cintre (qu’elle pense fermé) sous ses bras. Le public qui a vu « le truc » se met à la place de l’autre, au cœur du mystère. Un tour emblématique qui permet au regard d’embrasser plusieurs angles de vue, puisqu’il y a celui qui sait et celui qui ne sait pas. La perception, l’image, la croyance, toutes ces notions sont au cœur du spectacle. Que croyons-nous ? Quelle est notre réalité ?

© Baptiste Le Quiniou

Le tour du « Barman du Diable », grand classique de l’illusion, expérience sensorielle s’il en est, de la magie, semble l’œuvre d’un sorcier. « J’ai fait beaucoup de recherches historiques et techniques sur ce tour, c’est une quête qui m’accompagne depuis très longtemps mais qui est toujours restée secrète, dans mon laboratoire de fabricant de miracles » : Thierry Collet présente une canette de jus d’orange à l’auditoire et demande aux gens ce qu’ils désirent boire. Il y en aura pour tout le monde, et pour tous les goûts : un choix du roi inexplicable. Changer l’eau en vin, le miracle ne date pas d’hier, mais une telle revisite du scénario rebat les cartes de toute croyance…Et si c’était possible ? La magie joue aussi ses tours au Tout-puissant. 🔴

Florence Douroux


Dans la peau d’un magicien, de Thierry Collet

Site de la compagnie Le Phalène
Conception et interprétation : Thierry Collet
Mise en scène : Éric Didry
Scénographie : Élise Capdenat
Création lumières : Sylvie Garot, assistée de Luc Jenny
Création sonore : Manuel Coursin
Régie générale et construction : Patrick Muzard
Construction magique : Christian Cécile
Collaboration artistique et technique : Rémy Berthier
Collaboration au développement du projet : Clara Rousseau
Conseil chorégraphique : Nathalie Pernette
Régie lumière et son : Yann Struillou
Assistanat magie : Dylan Foldrin
Durée : 1 heure

Théâtre du Rond-Point • 2 bis, av.Franklin D.Roosevelt • 75008 Paris
Du 11 au 27 mai 2023 (relâche les lundis et le 18 mai) à 20 h 30, dimanche à 15 h 30
De 12 € à 31 €
Réservations : 01 44 95 98 21 ou en ligne

Tournée :
• Les 21 et 22 novembre, Scènes Vosges, à Épinal (88)
• Le 9 décembre, La Garance, Cavaillon (84)
• Les 19 et 20 décembre, Théâtre des deux rives, Rouen (76)
• les 9 et 10 janvier 2024, La Rose des vents, scène nationale de Villeneuve d’Ascq, Lille (59)
• Le 16 janvier, Théâtre de Chelles (77)
• Du 9 au 13 avril, Théâtre des Bernardines, Marseille (13)

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« Que du bonheur (avec vos capteurs) », de Thierry Collet, par Florence Douroux
Entretien avec Thierry Collet, à propos de Magic Wip Saison#2, par Léna Martinelli

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