Leçon de morale européenne
Par Bénédicte Fantin
Les Trois Coups
Le Birgit Ensemble signe un projet ambitieux avec sa tétralogie Europe mon amour, dont les deux derniers volets sont présentés au Festival d’Avignon. Dommage que le final de cette relecture de l’histoire européenne contemporaine se perde dans des dérives formelles, au détriment du jeu théâtral.
Les deux metteures en scène Julie Bertin et Jade Herbulot sont nées dans une Europe aux frontières redessinées, suite à la chute du mur de Berlin. Le duo, désireux de proposer sa vision de l’histoire européenne à la charnière du XXe et du XXIe siècle, mûrit, depuis ses années de Conservatoire, un projet baptisé Europe mon amour. Une déclaration d’amour conçue comme un pied de nez au discours ambiant sur le déclin des valeurs européennes et la prétendue dépolitisation des jeunes générations.
Le premier spectacle de la tétralogie, Berliner Mauer vestiges, revenait sur la chute du mur de Berlin. Puis, a suivi Pour un Prélude, un diagnostic idéologique de l’Europe occidentale au moment du passage à l’an 2000. C’est à Avignon que le Birgit Ensemble clôt sa tétralogie avec Memories of Sarajevo et Dans les ruines d’Athènes. Le premier spectacle revient sur la signature du traité de Maastricht, un texte constitutif de l’Union européenne, rapidement mis à l’épreuve par le siège de Sarajevo. Le conflit devient le révélateur des défaillances des institutions européennes, paralysées face à la guerre civile qui sévit. Dernier volet de cette fresque européenne, Dans les ruines d’Athènes s’attache à l’histoire récente de la dette grecque.
Une construction originale qui masque un propos manichéen
Attention, il ne s’agit pas ici de délivrer un cours d’histoire contemporaine. Pour repousser les accusations de didactisme, le Birgit Ensemble a créé un spectacle sous forme d’émission de téléréalité : Parthenon Story. Effets de lumières, jingles, voix survitaminées, écran géant sur le plateau, interactivité avec le public… tout y est. Le jeu télévisé suit six candidats grecs surendettés, enfermés dans une maison pendant six semaines. Les spectateurs sont plongés au cœur d’un procédé immersif qui les invite à voter pour le candidat sortant, à l’aide de leur smartphone. L’enjeu est de taille pour les candidats : le vainqueur verra sa dette personnelle effacée. Deux présentateurs survoltés nous présentent donc les participants : ils empruntent tous des prénoms étrangement familiers (Ulysse, Antigone, Médée, etc.), et leurs histoires personnelles sont nourries de clins d’œil à la mythologie.
Ce récit-cadre de Parthenon Story se trouve entrecoupé par trois reconstitutions de réunions de l’Eurogroupe, qui correspondent aux trois plans d’aide successifs accordés par les institutions européennes à la Grèce en 2010, 2012, et 2015. La figure mythologique d’Europe, qui embrasse la fonction de coryphée, sert de lien entre les deux trames narratives, lesquelles finissent par se confondre en une même réalité médiatique. Référendums politiques, votes du public, interview de dirigeants et confessions des candidats finissent par être tournés en dérision.
Un propos trop simpliste
Malgré une dramaturgie originale, Dans les ruines d’Athènes se perd dans une surenchère formelle, sûrement par peur d’ennuyer le public. L’omniprésence de l’écran vidéo agace et l’ennui tant redouté surgit, comme devant une émission de téléréalité réelle. Les comédiens censés représentés la « Grèce d’en bas » prennent le masque de personnages creux, ne suscitant aucune empathie. Sous couvert de reproduire les dialogues anecdotiques typiques de la téléréalité, l’interprétation perd en générosité.
Par ailleurs, la scénographie vient appuyer un propos trop souvent réducteur. Les réunions de l’Eurogroupe, qui figurent la « Grèce d’en haut », se jouent au-dessus de l’écran géant. Ce dernier retransmet l’émission de téléréalité dans laquelle les candidats se démènent pour avoir accès à l’eau et l’électricité.
Cela dit, les intermèdes de satire politique sont plutôt réussis, notamment grâce au jeu facétieux de toute une galerie de hauts dirigeants, allant des directeurs successifs du F.M.I. aux différents premiers ministres grecs ou présidents français. La comédienne qui interprète Angela Merkel donne le tempo comique.
Dommage, en revanche, que le portrait des hommes et femmes politiques finissent par tomber dans l’écueil du manichéisme (à l’image d’une fausse interview de Christine Lagarde, dans laquelle elle brasse les clichés du « col blanc », incapable de se servir de ses mains pour changer quoi que ce soit à la marche du monde). Le face-à-face entre les candidats, enfin libérés de l’émission, et les politiques, pris au piège de l’écran géant, ressemble à une révolution stérile où les propositions idéologiques font défaut. Malgré le moment de communion finale où la déesse Europe entonne un chant qui se veut fédérateur, le spectacle nous laisse sur une note défaitiste. On est loin de la déclaration d’amour désirée. ¶
Bénédicte Fantin
Dans les ruines d’Athènes, de et par le Birgit Ensemble
Compagnie : Le Birgit Ensemble
Mise en scène : Julie Bertin et Jade Herbulot / Le Birgit Ensemble
Musique : Grégoire Letouvet, Romain Maron
Scénographie : Camille Duchemin
Son : Antoine Richard
Lumières : Grégoire de Lafond
Vidéo : Pierre Nouvel
Son : Lucas Lelièvre
Costumes : Camille Aït-Allouache
Assistanat à la mise en scène : Margaux Eskenazi
Avec : Eléonore Arnaud, Julie Bertin, Lou Chauvain, Pauline Deshons, Pierre Duprat, Anna Fournier, Kevin Garnichat, Jade Herbulot, Lazare Herson-Macarel, Timothée Lepeltier, Élise Lhomeau, Antoine Louvard, Estelle Meyer, Morgane Nairaud, Loïc Riewer, Marie Sambourg
Photo : © Christophe Raynaud de Lage
Durée : 2 h 20
Gymnase Paul Giéra • 55, avenue Eisenhower • 84000 Avignon
Dans le cadre du Festival d’Avignon
Du 9 au 15 juillet 2017, à 20 h 30, relâche le 12 juillet
De à 10 € à 29 €
Billetterie : 04 90 14 14 14
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