« Il faudrait enculer Bush »
Par Éric Demey
Les Trois Coups
« Das System » est un ensemble original, construit à partir de textes du dramaturge allemand Falk Richter. Pouvoirs médiatique, économique et politique ont maillé un système, que Nordey s’emploie à détricoter pendant plus de quatre heures. Un travail pédagogique doublé d’une réflexion stimulante sur la place du théâtre dans la société.
Sur le fond, les analyses de Falk Richter n’apportent pas d’éclairage nouveau sur le fonctionnement des sociétés occidentales. Connivences des pouvoirs médiatiques, économiques et politiques. Abêtissement télévisuel des masses. Cynisme économique des entreprises. Logique financière des fonds de pension. Duplicité des dirigeants, etc. L’homme occidental est aspiré par l’égoïsme, le superficiel, la quête du plaisir et ne parvient plus à exister. Déshumanisation de la société. Le propos de Richter flirte parfois avec la théorie du complot et la nostalgie d’un âge d’or légendaire. Il a la force et les limites de la radicalité.
Spectacle sur l’homme face au système, qui débute avec Sept secondes, que Nordey avait monté à Rennes cet hiver. Sept élèves du T.N.B. partent au front avec des pantalons treillis et des tee-shirts floqués de héros de B.D. C’est l’Amérique en guerre, et l’Allemagne dans son sillage. Sept secondes, c’est le temps que mettent les bombes américaines larguées à 12 000 m d’altitude pour atteindre leur cible. Le point de vue de l’aviateur kaléïdoscopé entre le ciel irakien et l’Amérique natale – religieuse et nationaliste – n’apprend pas grand-chose. Lui succède une tribune ouverte contre la politique impérialiste yankee. Le propos devient de plus en plus frontal, vindicatif, brutal, et outrageusement insultant sur la fin. « Gros connard corrompu Helmut putain Kohl » et « il faudrait enculer Georges Bush » s’enchaînent face à un public que le dramaturge propose finalement de gazer. L’humour à ce point noir mélange farce et rage, il porte en germe le scandale, et la polémique agite les spectateurs à l’entracte.
« Faible, tu nous tues »
Les deuxième et troisième parties sont plus légères et plus graves à la fois. Le système exclut ceux qui n’y prennent plus de plaisir, ceux qui ne s’y retrouvent plus. « Faible, tu nous tues » explique une femme à son mari. Soumis à un interrogatoire, un homme tente de convaincre de son amour du système, « avec de gentils Chinois, de gentils Syriens, de gentils Polonais » qui cultivent leur jardin et lavent leur voiture. L’ironie d’une dystopie voltairienne cède enfin la place à trois consultants, dont Jean Personne, qui ne cesse de s’écrier « qui m’entend ici ? », tel un héros camusien face au silence du monde. Sous la glace ressemble à un film d’anticipation où la créativité du marketing aurait tout dévoré.
Au système dénoncé, Nordey tente d’opposer un système théâtral. « Il n’y a pas de pièce, désolé » annonce-t-il en ouverture. Refus du divertissement si souvent dévoyant, passage au second plan de la fiction, des histoires, la tentation d’un théâtre didactique affleure sans cesse. Das System porte « l’utopie d’un théâtre indépendant ». Face spectateurs, la tension canalisée dans une gestuelle minimale, les comédiens se métamorphosent en porte-parole transpirants, fragiles, dépouillés de la possibilité du jeu, en prise avec un texte ensevelissant, qu’ils s’échinent à faire entendre. Irréprochables jusque dans leurs accrocs, leurs maladresses, ils portent la douleur de la communauté des vivants et ravivent la solidarité. Sur scène entre les générations toutes représentées, avec les spectateurs debout dans la salle lorsqu’ils sont tous tombés. ¶
Éric Demey
Das System, de Falk Richter, à partir des textes suivants : Unter Eis, État d’urgence, Under Attack, le Système / Introduction, Sept secondes
Traduction de Danielle De Boeck, Anne Monfort
Mise en scène et scénographie : Stanislas Nordey
Collaboratrice artistique : Claire Ingrid Cottanceau
Avec : Mohand Azzoug, Moanda Daddy Kamono, Olivier Dupuy, Vanille Fiaux, Damien Gabriac, Frédéric Leidgens, Julie Moreau, Véronique Nordey, Laurent Sauvage, Margot Segreto, Anne‑Sophie Sterck, avec en alternance Félicien Girault, Adrien Sauvage
Lumières : Philippe Berthomé
Son : Michel Zurcher
Photo : © Christophe Raynaud de Lage / Festival d’Avignon
Régie générale : Antoine Guilloux
Régie lumière : Stéphane Colin
Régie son : Michel Zurcher
Avec l’aide de toute l’équipe du T.N.B.
Salle Benoît-XII les 13, 14, 15, 16, 18, 19 et 20 juillet 2008 à 15 heures
Location : 04 90 14 14 14