La barbe !
Par Michel Dieuaide
Les Trois Coups
S’inspirant librement de « la Barbe bleue », conte de Charles Perrault, l’artiste polyvalente Clara Le Picard construit une minicomédie musicale et chorégraphique à destination des jeunes spectateurs à partir de 10 ans.
Sur le plateau nu, recouvert d’un tapis noir de danse, Clara Le Picard, accueille les spectateurs. Muette et quelque peu fébrile, elle attend de pouvoir ouvrir une grande enveloppe à elle adressée. Quand l’obscurité envahit la salle, après avoir présenté les complices de sa création (pianiste, danseuse, régisseur), elle se décide à décacheter avec des gants blancs le mystérieux courrier. Il contient une lettre sans signature qui « renvoie aux épisodes réels ou lus dans des récits où l’on peut empoisonner des gens par des lettres anonymes » et nous apprend que son auteur, présent dans le théâtre, la surveille.
Ainsi commence une série de variations dramatiques, vocales, dansées et pianistiques autour du personnage de la femme de Barbe‑Bleue. Comme dans le conte originel, il vient de partir pour ses affaires après lui avoir confié la clé du cabinet secret où il enferme les cadavres de ses précédentes épouses, qu’il a assassinées. S’engage alors un jeu théâtral alternant empathie et prise de distance avec le personnage de l’épouse du monstre. Où il sera question de féministe et de féminisme, de terreur et de fascination pour la cruauté, d’histoire de la danse et de la musique, de désir d’abandonner ce récit et de volonté de résoudre l’énigme initiale de la mystérieuse missive.
Manifestement, Clara Le Picard a effectué un important travail de recherche et de réflexion pour tenter de renouveler l’art de représenter les contes traditionnels. À l’évidence, elle a voulu échapper aux clichés archaïques de la narration discursive. Mais le résultat ressemble à une espèce de coïtus interruptus théâtral. L’enfilement des points de vue, des références historiques, des codes de jeu rend le spectacle quelque peu opaque et prive en partie le spectateur de tout plaisir accompli. On en vient vite à se poser naïvement la question de pourquoi faire compliqué quand une certaine simplicité aurait pu régénérer plus sûrement la si riche histoire de Barbe‑Bleue au plan symbolique et poétique. Dommage, car c’est l’insatisfaction et l’ennui qui s’installent progressivement.
Dans le ton et l’attitude choisis pour la représentation, une manière de désinvolture domine. Comme disent les enfants : même pas peur ! Désincarné, le spectacle s’échine à oublier le corps, les sens au profit d’une intellectualité complaisante et à certains moments arrogante. Comme si interpréter des émotions relevait d’une détestable vulgarité. Au sortir du théâtre restent la fluide et malicieuse composition de l’excellent Emmanuel Borghi, la minutieuse exécution des instants chorégraphiques de Maud Pizon, qui est aussi d’une grande justesse dans ses interventions de comédienne. Quant à Clara Le Picard, qui veut nous montrer qu’elle sait tout faire – écrire, jouer, chanter –, elle nous laisse déçus, emportant l’image d’une maîtresse d’école chic, froide et capricieuse. ¶
Michel Dieuaide
De l’imagination, de Clara Le Picard
Mise en scène : Clara Le Picard
Avec : Guilhem Jeanjean, Clara Le Picard, Maud Pizon, Emmanuel Borghi (piano)
Collaboration à la dramaturgie : Laurence Perez
Conseil gestuel : Daniel Larrieu
Musique originale : Or Salomon
Chorégraphie : Maud Pizon
Lumières : Abigail Fowler
Costumes : Marion Poey
Regard extérieur : Ghassan el‑Hakim
Assistanat à la mise en scène : Anne‑Sophie Popon
Photos : © Christophe Raynaud de Lage
Production : Théâtre du Jeu‑de‑Paume (Aix‑en‑Provence)
Coproduction : espace des Arts à Chalon‑sur‑Saône, Cie À table (Marseille)
Avec l’aide de Montevideo, centre de création contemporaine (Marseille), la Ménagerie de verre (Paris), Institut français de Casablanca
Chapelle des Pénitents‑Blancs • 84000 Avignon
Téléphone : 04 90 14 14 14
Le 19 juillet 2016 à 15 heures et du 20 au 23 juillet à 11 heures et 15 heures
Tarifs : de 17 € à 8 €