« Tu la veux, mon âme ? »
Par Fabrice Chêne
Les Trois Coups
Pour sa nouvelle création, Ludovic Lagarde a choisi d’adapter un livret d’opéra de Gertrude Stein, librement inspiré de la légende de Faust. Olivier Cadiot s’est chargé de l’adaptation en français, et le musicien Rodolphe Burger, ancien compagnon de route de l’écrivain, de la partition de ce spectacle baptisé « opéra rock ». Pas mal de musique pour pas grand-chose ?
À l’aube du vingtième siècle, l’écrivain américain Gertrude Stein, exilée à Paris et icône de l’avant-garde, a eu l’idée de ce conte en forme de parabole : l’homme moderne avide de progrès technologique serait un Faust qui aurait vendu son âme au diable en échange de l’électricité (« La lumière électrique, c’est la vérité, vraiment la vérité » dit le texte…). Et la femme ? Elle se montre surtout préoccupée par la vipère qui vient de la mordre – comprendre par son corps et sa sexualité, autre révolution en marche. Pas très sûre de ce qui lui arrive, elle va consulter cet avatar moderne du Dr Faustus pour établir un diagnostic : « Est-ce que j’ai été mordue ? ».
D’une avant-garde à l’autre, on voit ce qui a plu à Olivier Cadiot dans ce texte surprenant saturé de références. Au Faust de Goethe se superposent en effet des allusions à la Bible, à Freud ou encore à Lewis Carroll, puisque les deux compagnons du Dr Faustus, un petit garçon et un chien (interprétés par deux jeunes comédiennes), ne sont pas sans rappeler Alice et le fameux chat. Ce plaisir ludique du collage, du clin d’œil, est très caractéristique de la démarche de Cadiot lui-même comme écrivain. On a pu le constater par exemple durant le dernier Festival d’Avignon avec les deux textes mis en scène, c’est désormais une habitude, par Ludovic Lagarde : Un nid pour quoi faire et Un mage en été.
Des répétitions qui finissent par lasser
On retrouve dans Doctor Faustus le choix des tableaux successifs et le goût des changements d’ambiance qui sont la marque de l’association Cadiot-Lagarde. Le problème, c’est que le livret de Gertrude Stein est plutôt mince, et parfois obscur. Il est aussi truffé de répétitions qui finissent par lasser. Un peu comme celle du Finnegans Wake de Joyce, l’héroïne de Gertrude Stein possède de multiples prénoms : Marguerite, Ida, Helena, Annabel, et ceux-ci sont répétés jusqu’à plus soif par les comédiens tout au long du spectacle. Par ailleurs, soucieux de mettre le texte au goût du jour, Cadiot a utilisé pour son adaptation un langage familier (« Barrez-vous », « Foutez-moi la paix ») qui se veut d’aujourd’hui, mais sonne déjà dépassé. À d’autres moments, il choisit de ne pas traduire du tout (« boy and dog ») ou opte pour un franglais poseur et carrément agaçant (« Pas besoin de light pour me dire que c’est bright »).
Fumigènes et jeux de lumière
Pour sa mise en scène, Ludovic Lagarde s’est contenté de transformer le plateau arrondi des Bouffes-du‑Nord en scène de concert de rock, avec fumigènes et jeux de lumière. Dans cette ambiance chère à Rodolphe Burger, Faustus reçoit des mains de Méphisto une guitare électrique le métamorphosant en rocker satanique et solitaire (image plutôt éculée). La musique elle-même, forcément électrique – et moyennement inspirée – est tantôt jouée en direct (les meilleurs moments), tantôt préenregistrée. Samuel Réhault, dans le rôle-titre, a une vraie présence, et Juan Cocho est un Méphisto aussi fougueux que bondissant. À leurs côtés, Valérie Dashwood, dans le rôle féminin, paraît par comparaison bien figée et presque empruntée.
Ce spectacle est une curiosité qui montre une fois de plus que le théâtre musical a le vent en poupe, et que l’imagerie du rock ne cesse d’inspirer nos metteurs en scène. Le geste artistique de Gertrude Stein était celui d’une avant-garde joueuse et provocatrice. Avec le temps, le texte a évidemment perdu de son audace. Reste une fable bizarre et assez creuse, transformée par notre trio d’artistes en un spectacle distrayant et quelque peu complaisant. ¶
Fabrice Chêne
Doctor Faustus Lights the Lights, de Gertrude Stein
Adaptation : Olivier Cadiot
Avec le concours de : Dominique Glynn
Mise en scène : Ludovic Lagarde
Avec : Valérie Dashwood, Samuel Réhault, Juan Cocho, Stéfany Ganachaud, Elsa Grzeszczak, Annabelle Garcia, David Bichindaritz
Musique : Rudolphe Burger
Scénographie : Antoine Vasseur
Lumières : Sébastien Michaud
Costumes : Fanny Brouste
Collaboration musicale : Darin Bichindaritz, Antoine Reibre, Julien Perraudeau, Joël Theux
Photo : © Guillaume Gellert
Théâtre des Bouffes-du-Nord • 37 bis, boulevard de la Chapelle • 75010 Paris
Métro : La Chapelle
Réservations : 01 46 07 34 50
Du 17 au 22 mai 2011, du mardi au samedi à 21 heures, le dimanche à 16 heures
Durée : 1 h 30
28 € | 23 € | 18 €
En tournée :
- Jeudi 26 mai 2011 : la Cartonnerie-Reims
- Mardi 27 septembre 2011 : Festival Musica-Strasbourg
- Jeudi 3 novembre 2011 : Scène nationale d’Orléans
- Novembre 2011 : Comédie de Reims