Réinventer le mythe
Par Salomé Baumgartner
Les Trois Coups
À peine un an après son diptyque constitué du « Dernier Jour du jeûne » et de « l’Envol des cigognes », Simon Abkarian est de retour au Théâtre du Soleil avec sa nouvelle création : « Électre des bas-fonds ». Retour sur la réécriture de l’un des plus vieux mythes de l’Antiquité.
Clytemnestre a tué son mari Agamemnon pour mettre son amant Égisthe sur le trône. Électre et Oreste, les enfants du roi mort sont bannis du palais. La première survit dans un bordel, tandis que l’héritier est contraint à l’exil. Quand la pièce commence, c’est la fête des morts. Tous, du couple royal aux prostitués des bas-fonds, se préparent pour la soirée. Un évènement couronnera les festivités : Oreste retourne à Argos afin de venger son père et de sauver sa sœur. L’heure est à la revanche.
Avec Électre des bas-fonds, Simon Abkarian nous plonge dans un carnaval macabre. La scène est éclairée par des bougies, qui confèrent un aspect sombre à la pièce. Nous entrons d’emblée dans le quartier le plus pauvres de la cité et l’auteur donne la parole aux marginaux et aux délaissés – prostitués, servantes, ivrognes –, dans un geste politique fort qui actualise le mythe.
Mettre le passé au service du présent
Délaissant les textes originaux d’Eschyle, d’Euripide et de Sophocle, Simon Abkarian propose ici sa propre version d’Électre. Il compose une tragédie oscillant entre tradition et innovation. Chants et danses, éléments constitutifs de la tragédie grecque, sont bien présents dans sa mise en scène. Cependant, au chant se substitue le groupe rock des Howlin’Jaws (dont fait partie le fils de Simon Abkarian) et la danse est du kathakali (théâtre dansé du sud de l’Inde). Un vrai mélange entre passé et présent, mais aussi entre Occident et Orient !
Et puis, il y a le chœur. On le retrouve ici sur scène, comme dans les tragédies antiques, mais constitué des prostituées du bordel dans lequel vit Électre. Troyennes, elles ont été faites prisonnières après la victoire de la Grèce pendant la guerre. Pour une fois, elles occupent le devant de la scène, au même titre qu’Électre, Clytemnestre et Chrysothémis (la dernière sœur). On compte d’ailleurs très peu d’hommes dans cette pièce : même Oreste, personnage masculin principal, est travesti. Une manière pour le metteur en scène d’évoquer la place des femmes lorsque la société les écrase, de souligner un patriarcat toujours de mise.
Électre des bas-fonds, c’est donc à la fois un mythe, de la musique, des corps, de la poésie, du politique : un véritable « melting pot » qui caractérise l’esthétique de Simon Abkarian, mais aussi le Théâtre du Soleil, dont il est si proche. ¶
Salomé Baumgartner
Électre des bas-fonds, de Simon Abkarian
Le texte est édité chez Actes-Sud Papiers
Mise en scène : Simon Abkarian
Avec : Maral Abkarian, Chouchane Agoudjian, Anaïs Ancel, Maude Berthenoux, Aurore Frémont, Christina Galstian Agoudjian (en alternance), Rafaela Jirkovsky, Nathalie Le Boucher, Nedjma Merahi, Manon Pélissier, Annie Rumani, Catherine Schaub Abkarian, Suzana Thomaz, Frédérique Voruz, Simon Abkarian, Assaad Bouab, Laurent Clauwaert, Victor Fradet, Éliot Maurel, Olivier Mansard
Durée : 2 h 25
Théâtre du Soleil • La Cartoucherie • 2, Route du Champ de Manœuvre • 75012 Paris
Du 25 septembre au 3 novembre 2019, du mercredi au vendredi à 19 h 30, le samedi à 15 heures, le dimanche à 13 h 30
De 15 € à 25 €
Réservations : 01 43 74 24 08 ou en ligne
À découvrir sur Les Trois Coups :
☛ Une Chambre en Inde, d’Ariane Mnouchkine, Théâtre du Soleil
Une réponse
Ceci n’est pas une critique mais, simplement un synopsis de la pièce présentée par Simon Abkarian. Je ne suis pas critique de théâtre et j’attend beaucoup mieux. Il y a bien d’autres choses à dire. C’est un très beau spectacle et il faut dire pourquoi ;La vision de la pièce depuis les bas fonds a été aussi donnée à la comédie française la saison dernière. Ce qu’il faudrait dire aussi concerne la diction des comédiens qui est parfaite dans le style de ce que l’on attend du théâtre antique. Il faudrait parler des doutes de chacun. Se cantonner au fait qu’il y a peu d’homme et Du’Oreste est travesti c’est ramener la pièce au modes du moments. Les dictions en slam au moment des passages musicaux font un bien fou. Je pense quand même que Simon Abkarian a fait un gros travail sans dénaturer le propos. Je pourrai continuer ainsi mais, moi, je ne suis pas critique….