« Entre », de Vincent Berhault, les Singuliers, Festival Des-Illusions, Théâtre Monfort à Paris

Entre-Vincent Berhault-Les-Singuliers

Lost in translation…

Par Laura Plas
Les Trois Coups

Avec « Entre », de la compagnie Les Singuliers, le festival Des(Illusions) se coltine au réel en abordant la question des frontières. Foisonnant dans ses registres, ses pratiques artistiques ou ses thématiques, le spectacle prend cependant le risque de parfois nous perdre.

Vincent Berhault est un esprit nomade : chercheur et artiste, il métisse les pratiques et lance des ponts entres les rives (algérienne ou turque par exemple). Rien d’étonnant à ce que la notion de frontière fasse pour lui question et que l’histoire de Merhan Karimi Nasseri, apatride malgré lui, l’ait interpelé. Entre s’inspire donc de l’histoire épouvantable de ce jeune iranien resté des années durant à l’aéroport Charles de Gaulle sans solution administrative.

D’une telle histoire, on pourrait tirer un mélodrame pathétique ou une comédie pleine de bons sentiments comme Steven Spielberg nous en a imposé une avec son indigent Terminal. Vincent Berhault et ses interprètes ne cèdent heureusement pas à ces pièges. Ils développent au contraire l’art du contrepoint : les saynètes cocasses de la vie quotidienne d’un aéroport alternent avec de brefs flash-back biographiques où l’émotion pointe. Tortures, violences policières, cimetière marin de la Méditerranée sont évoqués, parfois avec force.

De fait, la pièce multiplie les scènes d’oppression mettant aux prises une sorte de clown blanc sadique avec sa ou ses victimes. Or, on ne sait plus s’il faut rire ou pleurer, en particulier grâce au talent comique de Barthélémy Goutet et Toma Roche. On est tenté de rire, puis le rire reste coincé dans la gorge. La question est alors de savoir si les éclats comiques ne brouillent pas le propos. La rage noire d’Usbek ne serait-elle pas dissimulée par les ricanements de Rica ? À chaque spectateur de trancher.

Le langage du corps

En définitive, c’est comme si la pudeur interdisait ici toute littéralité. On dirait même toute linéarité. Il est difficile, en effet, de reconstituer l’histoire de Nasseri. Fragmentaire, elle nous est livrée dans le désordre, avec d’importantes lacunes. Une scène est à cet égard édifiante : alors qu’on lui demande de conter son histoire, le danseur qui incarne l’apatride dessine sur le sol des circonvolutions qui occupent tout le plateau. C’est sans doute que Vincent Berhault cherche à faire voir ou ressentir, plutôt qu’à raconter. Pour ce faire, les Singuliers emploient donc la danse et la musique. La prestation de Grégory Kamoun est d’ailleurs impressionnante et la partition de Benjamin Colin, pleine de belles surprises et d’intelligence. Ce sont précisément ces éclats qui resteront dans notre mémoire et qui valent le détour. 

Laura Plas


Entre, de Vincent Berhault

Compagnie Les Singuliers

Mise en scène : Vincent Berhault

Avec : Benjamin Colin, Barthélémy Goutet, Gregory Kamoun, Xavier Kim, Toma Roche

Durée : 1 h 10

Photo : © DR

Théâtre Monfort• Parc Georges Brassens, 106, rue  Brancion • 75015 Paris

Site du théâtre

Dans le cadre du festival (Des)Illusions

Du 15 au 18 mars 2018, le jeudi 15 mars et vendredi 16 mars à 19 heures, les samedis 17 mars et le dimanches 18 mars à 15 heures

De 8 € à 18 €

Réservations : 01 56 08 33 88


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