Entretien avec Léonore Chaix à propos de « La Femme à qui rien n’arrive », Artéphile, Festival Off Avignon

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« Faire du suspens avec rien »

Par Bénédicte Fantin
Les Trois Coups

« Dans quelle mesure pouvons-nous faire confiance aux événements ? », se demande la Narratrice de « La Femme à qui rien n’arrive ». Un prologue tout en dérision qui annonce la couleur du papier peint de cette fable domestique. Rencontre avec l’auteur et comédienne Léonore Chaix, avant qu’elle ne reprenne le spectacle au Festival off d’Avignon (lire la critique).

Comment s’est passée l’écriture de ce texte, une partition très précise ?

Ce texte s’est construit à partir d’une phrase jetée sur le papier en écriture automatique : l’histoire d’une femme à qui rien n’arrive et qui attend que sa chose lui arrive. Je vais souvent renifler dans mes poubelles et je suis retombée sur cette phrase. L’écriture automatique peut être une méthode qui décomplexe et qui laisse émerger des choses qu’on ne contrôle pas. C’est en cela que la pratique de l’écriture rejoint celle du yoga (ndlr : passionnée de yoga, Léonore Chaix obtient en 2016 un diplôme de professeure et enseigne notamment à l’ESCA (École Supérieure de Comédien.ne.s par Alternance), où elle donne également des cours d’écriture aux apprentis-comédiens).

J’ai commencé par faire un plan très serré, puis il y avait des phrases qui me venaient. J’ai laissé affleurer les choses, plus que je ne suis allée les chercher. C’est d’ailleurs pour ça que ça m’a pris autant de temps. D’autant que j’ai un rapport à l’écriture un peu compliqué ; je ne peux pas faire que ça. Moi j’aime jouer, être avec des gens, rire. Écrire, je trouve que c’est ce qu’il y a de plus difficile.

Le rapport ludique à la langue m’a frappé dans votre texte. Les mots deviennent matière à jouer. Le monologue fourmille de jeux de mots, de phrases polysémiques et de jeux rythmiques…

J’ai beaucoup produit pour trouver l’histoire de cette femme. C’était labyrinthique, mais j’ai finalement trouvé un axe et me suis fixé des contraintes. J’ai commencé en utilisant le pronom « Elle ». Quand j’ai essayé de retourner au « Je », ça ne fonctionnait pas, alors j’ai conservé la troisième personne. Je me suis aussi amusé à faire du suspens avec rien. Du coup, ça penche du côté de l’absurde.

Et j’ai été sûrement influencée par le travail de mon beau-père qui faisait partie de l’Oulipo (ndlr : Ouvroir de Littérature Potentielle : mouvement littéraire né au milieu du XXe siècle visant à découvrir de nouvelles potentialités du langage à travers des jeux d’écriture). Toute mon enfance, j’ai baigné dans cet univers fait de palindromes et de contrepèteries.

Pourquoi ne pas avoir donné de nom à cette femme ?

Sans doute un héritage du théâtre de l’absurde ? C’est une figure métaphorique, dénuée de psychologie, une sorte d’archétype. Quand j’essayais de la nommer, ça ne fonctionnait pas. Cela renforce la déshumanisation, cette dépersonnalisation de l’individu qui émerge au fil du récit.

« Chaque mot est pesé, soupesé, interrogé, exploité »

Êtes-vous arrivée en répétition avec une version définitive du texte ?

J’ai écrit le texte presque intégralement et, pour statuer sur la fin, Anne Le Guernec a beaucoup travaillé avec moi. Chaque mot est pesé, soupesé, interrogé, exploité. C’est le contraire de la spontanéité ! J’ai 17 versions !

Une de ces versions a-t-elle été éditée ?

Il a bien fallu rendre une version définitive ! Et j’ai adoré être éditée. Je crois que ça m’a fait encore plus plaisir que de jouer le texte, d’autant que ça s’est fait facilement, ce qui est plutôt rare dans nos métiers.

La-femme-a-qui-rien-arrive © Philippe Delacroix
© Philippe Delacroix

Votre jeu m’a semblé très physique malgré l’immobilité du personnage. Sans doute grâce au yoga ?

Le fait de ne pas bouger me demande d’aller chercher très loin. On a l’habitude de se camoufler derrière des gestes et, là, je dois, non pas tout surveiller, mais travailler sur mon axe. Il faut juste que je raconte mon histoire sans bouger. Il ne se passe rien dans l’espace mais tout à l’intérieur.

Quelles formations physiques avez-vous suivi ?

Petite, j’ai fait beaucoup de danse classique, de la natation en compétition et, longtemps, des arts martiaux. J’ai dû arrêter après une blessure et j’ai remplacé cette pratique par le yoga. J’ai fait pas mal de théâtre physique, même si je ne sais pas vraiment ce que ça veut dire. J’ai rarement été dans une veine de théâtre psychologique, en tout cas. J’ai été formée à la Shakespeare and Company, une école d’art dramatique aux États-Unis. J’y ai appris à travailler la respiration. On nous enseignait des méthodes incroyables pour revenir à ses émotions par le corps, sans psychologie. D’ailleurs, selon moi, Shakespeare n’est pas psychologique !

La précision du jeu permet d’entendre le texte à la perfection.

J’adore ce type de jeu. Ça peut devenir un défaut, d’ailleurs. L’écueil du maniérisme n’est jamais loin. Je cisèle beaucoup mes rôles, peut-être trop, mais c’est ma manière de travailler. Le comique demande une précision d’orfèvre. Il faut avoir une horloge dans la tête, car ce n’est pas que de la spontanéité et une bonne nature. Ça peut, mais ce n’est pas mon cas.

« Le plaisir de raconter cette histoire absurde où, a priori, rien ne se passe et où, pourtant, tout se passe à chaque seconde »

J’ai vraiment été impressionnée par la juste distance dans l’interprétation. Comment s’est déroulée la direction d’actrice ?

Anne Le Guernec tenait avant tout à ce qu’on raconte une histoire. Trouver le plaisir de raconter cette histoire absurde où, a priori, rien ne se passe et où, pourtant, tout se passe à chaque seconde. On a essayé beaucoup de choses : débout, dans l’espace, plus réaliste, etc. Finalement, on est revenu au parti pris de l’immobilité sur la chaise.

De toute façon, c’était un de mes fantasmes. J’aime ce vertige de rester statique sur scène, quand il n’est pas rasoir bien sûr ! J’aime quand, de cette immobilité, naît tout un monde. Et cette sobriété était nécessaire pour laisser la place au texte assez foisonnant. Donner à voir mon visage face public était également un paramètre important car il y a beaucoup de grimaces et de métamorphoses durant la pièce.

Anne me parlait beaucoup de sincérité et de générosité dans ses indications de jeu. « Elle » devait être neutre, innocente, en aucun cas triste, terne, acide. « C’est une pomme de terre », me disait-elle !

Par ailleurs, Anne cherchait la beauté, elle voulait que ça soit esthétique. Durant les répétitions, pour irriguer nos imaginaires, elle brassait des références picturales et cinématographiques, depuis la Jeune Fille à la perle de Vermeer jusqu’à Brazil de Terry Gilliam.

Un autre axe de création était de faire un spectacle artisanal. Anne tenait à ce que cette histoire hyper connectée soit restituée dans un cadre totalement artisanal. J’essayais de négocier pour avoir de la vidéo, du son… Mais non. Enfin, j’ai quand même pu intégrer la création sonore de Guy-Pierre Couleau à la mise en scène.

Y compris dans l’interprétation, elle voulait de l’artisanal. Par exemple, on me voit passer progressivement d’un rôle à un autre, pour montrer les coutures, à la différence des codes du stand-up. L’idée d’artisanat se retrouve donc aussi dans le fait de donner à voir la comédienne au travail. 🔴

Propos recueillis par
Bénédicte Fantin


La Femme à qui rien n’arrive , de et avec Léonore Chaix

Le texte est édité à L’avant-scène théâtre, Collection les quatre-vents
Équanime Compagnie
Mise en scène : Anne Le Guernec
Avec : Léonore Chaix
Durée : 1 heure

Théâtre Artéphile • 7, rue Bourgneuf • 84000 Avignon
Du 7 au 26 juillet 2022, à 11 h 40 (relâche les mercredis 13 et 20 juillet)
Tarifs : de 10 € à 17 €
Réservations : 04 90 03 01 90 ou en ligne

Dans le cadre du Festival Off Avignon
Plus d’infos ici

Spectacle vu en juin au Studio d’Asnières

À découvrir sur Les Trois Coups :

Déshabillez mots, de Léonore Chaix et Flor Lurienne, par Sheila Louinet
Roméo et Juliette, de William Shakespeare, par Bénédicte Fantin

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