Festival Spring 2024, Normandie

epiphytes-cie-les-chaussons-rouges © manon-kleynjans

Oh ! Les beaux jours avec Spring

Léna Martinelli
Les Trois Coups

Portée par La Plateforme 2 Pôles Cirque en Normandie, ce festival international des nouvelles formes de cirque se déploie sur toute la région. Ses 70 spectacles, dont 13 créations, misent sur le bouquet des styles. Avec pour thématique un « Retour aux sources », le cirque se réinvente tout en fouillant son passé, histoire de ne pas perdre ses re-pères ! C’est en tout cas une 15édition foisonnante, avec de beaux parcours !

Dans 60 lieux, ce festival est fondé sur une étroite synergie entre La Brèche et le Cirque-Théâtre d’Elbeuf, coréalisé par la Métropole (32 communes, dont la plupart sont des petites communes de moins de 4.500 habitants). Sa directrice artistique, Yveline Rapeau, a conçu sa dernière édition avec le même état d’esprit qui l’anime depuis ses débuts : privilégier la création tout en tissant des liens féconds avec les « anciens ».

Avant de faire valoir ses droits à la retraite, la thématique « Retour aux sources » est un malicieux clin d’œil : « Déclarons l’amour, pas la guerre ! C’est la bannière sous laquelle semblent aujourd’hui se rallier les artistes circassiens, toutes générations confondues », écrit-elle dans son édito. « Après quatre décennies durant lesquelles le cirque s’est construit par opposition à la tradition du cirque, il se pourrait bien qu’il sorte de son adolescence, sûr de son émancipation réussie, et revienne aux fondamentaux ».

Explorer l’histoire, la petite et la grande

Conjuguer passé et présent : la boucle est bouclée, en quelque sorte ! Cette programmation est l’occasion de se pencher sur l’évolution du cirque, notamment l’histoire particulière d’artistes. En complicité avec son binôme Fragan Gehlker, Anna Tauber se définit comme une circassienne hors-piste, mais interroge dans Suzanne : une histoire (du cirque), ce qui fait une vie, et notamment une vie d’acrobate, à partir de l’histoire de sa grand-mère : quel est le sens de ce que nous faisons, et quoi faire du cirque en particulier ?

Retour sur images, également, avec (Dé)formation professionnelle, où la contorsionniste Élodie Guézou parle, sous forme de solo documentaire, de sa relation au travail à travers ses fragments d’existence : pourquoi et comment elle s’est pliée en quatre (littéralement et métaphoriquement) ? Quant au Repos du guerrier, c’est le regard intime d’Édouard Peurichard, lanceur de couteau, qui tente de rejouer son parcours professionnel (projet lauréat Circus next 2023).

Concernant le retour aux sources de l’humanité, Matias Pilet réfléchit sur la trace : avec Olivier Meyrou, il rend compte, dans Huellas (cie Hold-up & co), de la mémoire du mouvement en établissant un lien entre le plateau d’un théâtre et le site du Rozel (dans La Manche) où ont été retrouvées 90% des traces humaines de Néandertal. Radio Maniok (Cirquons Flex) traite d’une histoire oubliée, pendant la seconde guerre mondiale, durant laquelle l’Île de la Réunion fut coupée du monde. Les incursions historiques se poursuivent avec Homo Sapiens (L’Apprentie compagnie) qui convoque « l’être clown » à son état primitif : « sept clowns mus par une force poétique et sauvage, font rejaillir les premières étincelles, celles d’où naquirent assurément les premiers éclats de rire ».

Danny Ronaldo et Alain Reynaud

Voilà des clowns qui ont marqué l’histoire, justement ! Consacrer un portrait à Danny Ronaldo, « l’incarnation vivante de l’histoire et du patrimoine circassiens », « une institution », c’est l’accomplissement d’un rêve, pour Yveline Rapeau, qui avait dû renoncer à plusieurs projets ces dernières années. Celui-ci rend hommage à ses racines, puisant son inspiration dans la commedia dell’arte et le réalisme magique. Donc, ne pas manquer la reprise du savoureux Cucina dell’arte, sur les jeux de pouvoir aux fourneaux (programmé par Yveline Rapeau à La Villette il y a vingt ans), et Da Capo, dernière création (première en France), la chronique d’une famille circassienne, la sienne, depuis la fugue d’un garçon en 1842, alors qu’il a 15 ans, afin de rejoindre un cirque, jusqu’à nos jours, alors que la 7génération entre en scène. Justement, Sono Io (lire notre critique) relate la confrontation du père et du fils, ou plutôt la tentative de se (re)trouver entre « vieilles gloires » et « nouvelles possibilités ».

Quant à Alain Reynaud, dont on retrouve ici plusieurs facettes, c’est aussi une longue histoire d’amitié. Actuellement à la tête de La Cascade, pôle National Cirque Auvergne-Rhône-Alpes, et du festival d’Alba-la-Romaine, le cofondateur de la Cie des Nouveaux Nez est clown, musicien, metteur en scène et pédagogue. Il inaugure une résidence artistique en milieu rural dans la Communauté de communes de Lyons Andelle (avec le soutien de la Région Normandie et de la DRAC Normandie, dans le cadre de la Permanence artistique), propose un cabaret circassien et burlesque, le Cabarêve des Établissements Félix Tampon et Juxebox Cirque, « trois pièces courtes reliées en une sonate de cirque » : un jongleur et une clarinettiste ; un violoncelliste et un acrobate ; un pianiste et une spécialiste de la roue allemande, trois univers différents, trois couleurs, trois duos qui jaillissent de cette drôle de machine (lire notre article).

70 rendez-vous sur 5 semaines

Ces trajectoires n’empêchent pas de s’intéresser à l’émergence. Le Néo-trad côtoie les formes les plus innovantes : Foreshadow, d’Alexander Vantournhout (qui a été choisi pour l’affiche) en fait partie, avec sa recherche, sans narration ou construction linéaire, et avec une contrainte de taille : évoluer contre et avec le mur du fond. Un travail millimétré et maîtrisé aux motifs chorégraphiques et acrobatiques constitués d’engrenages humains impossibles et d’équilibres improbables.

Attentive aux évolutions, fine connaisseuse du secteur, Yveline Rapeau laisse une large place aux jeunes, mais on retrouve également la trublionne Phia Ménard, avec Maison Mère, 1er volet de ses Contes Immoraux. Son combat avec son Carthénon en kit évoque la construction européenne en péril, l’effondrement civilisationnel annoncé. Une performance époustouflante qui représente notre monde pré-apocalyptique.

Annonciatrice d’un été olympique, la thématique du sportétait incontournable. Basketteuses de Bamako (cie TG) ont d’ailleurs fait l’ouverture de Spring en grande pompe ! Le jongleur Thomas Guérineau joue avec les qualités des artistes et basketteuses maliennes et leur sens de la musique, du chant et de la danse pour créer une pièce de jonglage musical.

Dans Derby, la cie una Valia Beauvieux et Emmanuelle Hiron fait du roller quad un agrès acrobatique. L’occasion de creuser la notion d’« empowerment » : comment représenter la ferveur et l’engagement d’un sport collectif de contact féminin ? Armour (Arno Ferrera et Gilles Polet) explore les pratiques qui nécessitent un équipement particulier afin de se protéger de l’adversaire. Un beau titre pour évoquer la confrontation des corps, au-delà de la violence. « Une représentation d’un amour libre et généreux, universel et pluriel, un threesome franc du collier ».

Le cirque s’acoquine avec toutes les disciplines, comme l’atteste Ombres portées, de Raphaëlle Boitel, qui développe un cirque très visuel, à la croisée du théâtre et de la danse. En outre, cette partition physique est inspirée par les polars des années 50, la science-fiction et le graphisme de la bande dessinée. C’est une merveille. Les amateurs de cirque et de musique seront comblés par Formule, un dialogue entre le batteur Pierre Pollet, véritable métaphore de l’orchestre de cirque, et le jongleur Julien Clément, qui rayonne dans une architecture visuelle et sonore unique.

Lu et Clo (Nos Circollections, cie La Relative – Chloé Duvauchel) racontent, avec leurs mots et une truculente collection d’objets, le quotidien d’artistes de cirque et finalement le nôtre, car nous sommes nous aussi acrobates de notre existence : marcher sur le fil, nous plier en quatre, jongler avec notre emploi du temps… Avec beaucoup de malice, ces expressions prennent vie par des jeux de manipulation, de mots et d’acrobatie.

Enfin, concernant les spectacles en extérieur, nous nous réjouissons de retrouver la cie Basinga (Soka Tira Osoa) qui poursuit son interrogation vertigineuse sur le sens de l’être, de l’être ensemble et de l’importance du rôle de chacun (lire notre critique de sa traversée du Parvis de l’Opéra de Marseille). Quant à Épiphytes (cie les chaussons rouges), interprété par quatre danseuses-acrobates sur une structure métallique à grande hauteur, il est nourri d’arts martiaux, de danse et d’art contemporain (sculpture, installation). Dans cette forêt vivante, imprégnée de mystère, les agrès de cirque se métamorphosent en éléments naturels délicats et sensibles.

Auteurs en tandem et Mini Spring

Avec sa 4e édition, ce dispositif s’affirme comme un incontournable. Auteurs en tandem a pour objectif de contribuer à la vitalité des écritures contemporaines en provoquant un nouveau contexte de rencontre et de travail qui permet de faire résonner théâtralité, parole et langage circassien. Initié en collaboration avec Artcena, il est désormais soutenu par la Chartreuse de Villeneuve- lès-Avignon, le CDN de Caen, ainsi que L’Azimut – Pôle national cirque d’Antony Châtenay-Malabry. Les partenaires apportent informations et conseils aux artistes dans la recherche de leur tandem et cherchent également à sensibiliser les réseaux labellisés théâtre et cirque aux hybridations et aux dramaturgies plurielles. Cette année, ce sont Julie Aminthe et Eleonora Gimenez, Eva Doumbia et Edward Aleman Neisa qui présenteront une maquette finale.

Parmi les autres lignes de force du festival qui se sont affirmées au fil des éditions, le Mini Spring entérine l’émergence et l’affirmation d’un cirque jeune public d’auteurs, avec le Family Fun Days, un moment convivial à partager en famille le 24 mars et, par ailleurs, une programmation dédiée de 7 spectacles. Les Flamands de Grensgeval font un travail exemplaire en la matière.Après Plock ! et Murmur (lire notre critique), Korrol est le 3volet d’un triptyque parlant d’art et de création. Dans la confrontation de l’acrobatie avec l’art sonore et l’architecture, Jonas rêve d’une œuvre qui brisera le caractère statique et pétrifié des bâtiments et les mettra en mouvement.

Relevons la présence de MIR (cie Barks), qui nous projette dans le quotidien d’une astronaute. Entre voyage initiatique et conte acrobatique, un récit en suspension plein de fantaisies (lire notre critique). Nous retenons aussi Sahasa, un spectacle jeune public courageux et créatif, mêlant danse hip-hop et free-style football, afin d’inspirer les enfants à trouver leur propre voie. Une pièce colorée de Jill Crovisier.

Si l’on embrasse une certaine familiarité, en retrouvant les codes du genre, dont les figures emblématiques ou des prouesses, on aura encore donc de quoi découvrir des numéros revisités, des nouveaux agrès, des formes originales. Yveline Rapeau est fière de présenter « la création circassienne des origines et celle en train de s’inventer, dans sa radicalité la plus absolue. S’y côtoient des artistes qui revendiquent leur relation avec le cirque de toujours, son histoire et son essence, et ceux qui se situent ailleurs, au-delà ».

Ici et là, on y sera. Et vous ? Il y a forcément une petite place dans votre agenda pour cette programmation XXL qui fleurit la Normandie. 🔴

Léna Martinelli


Festival Spring

15e édition, du 13 mars jusqu’au 21 avril 2024
Partout en Normandie
Festival porté par La Plateforme 2 Pôles Cirque en Normandie / La Brèche à Cherbourg et le Cirque-Théâtre d’Elbeuf
Site du festival
La programmation ici
Tous les lieux ici
Tarifs : de gratuit à 52 €
Réservations : 02 35 52 93 93 ou en ligne ou par mail
Abonnement Cotentin 3 spectacles : 27 € (en vente uniquement au 02 33 88 33 99 ou par mail)

Spectacles déjà vus et chroniqués :
Ombres portées, Cie L’Oublié(e) Raphaëlle Boitel : lire la critique de Léna Martinelli
L’Empreinte, L’Attraction Céleste : lire la critique de Léna Martinelli
À tout rompre, Le Was Group : lire la critique de Laura Plas
MIR, cie Barks, lire la critique de Léna Martinelli
Yé ! (l’eau), Circus Baobab, lire la critique de Florence Douroux
Parce qu’on a toustes besoin d’un peu d’espoir, 33promotion du CNAC et Sophia Perez, lire l’entretien, propos recueillis par Laura Plas
Nos matins intérieurs, Collectif Petit Travers et Quatuor Debussy : lire la critique de Léna Martinelli

À découvrir sur Les Trois Coups :
Festival Spring 2024, Normandie, par Léna Martinelli

Photos :
• Une : « Épiphytes », cie La Relative – Chloé Duvauchel Les Chaussons rouges © Manon Kleynjans
• Mosaïque 1 : « Radio Maniok », Cirquons Flex © Romain Philippon ; « Huellas », cie Hold-up & co © Didier Delmas ; « Homo Sapiens », Caroline Obin © Vincent Arbelet
• Mosaïque 2 : « Cucina dell’arte », Circus Ronaldo © Frauke Verreyde, Jean Philipse ; « Le Cabarêve des Établissements Félix Tampon » © Reynald Valleron
• Mosaïque 3 : « Maison Mère », Cie Non Nova © Christophe Raynaud De Lage / Jean-Luc Beaujault; « Foreshadow », Alexander Vantournhout © Bart Grietens
• Mosaïque 4 : « Basketteuses de Bamako », cie TG © Metlili ; « Armour », Arno Ferrara et Gilles Polet © Mathieu Vattan
• Photo 1 : « Ombres portées », Raphaëlle Boitel © Christophe Raynaud De Lage
• Mosaïque 5 : « Sahasa », Jill Crovisier © Noah Bach ; « Nos Circollections », cie La Relative – Chloé Duvauchel © Ian Grandjean

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