L’enfance : de toutes les couleurs
Pas facile d’être au collège. Et si, de surcroît, vous êtes scolarisés dans un établissement privé à l’autre bout de la ville, cela risque d’être l’angoisse. Peur de l’échec, sentiment de nullité, Noa, le protagoniste de F.A.I.L a bien tout pour se saborder et donc échouer. À moins que nous ne l’aidions. Nous voici devenus gamers dans la partie que l’élève va jouer contre son destin de looser. Nos armes : des casques pour écouter des consignes et… un matériel de vote. Alléchant, non ?
Tricher ou ne pas tricher ?
On a l’impression d’évoluer dans un jeu vidéo ou un livre dont on est le héros, car il faut en effet faire bifurquer l’histoire en fonction de décisions prises collectivement. De façon ludique, le spectacle permet de sortir de la position passive. L’histoire de Marjorie Fabre est pleine de rebondissements. Son unique interprète, Charly Labourier, est le malicieux maître de la partie. Il vient chercher les spectateurs de son regard qui pétille et les met à l’aise. Son interprétation suffit à faire le spectacle.
« F.A.I.L », de Marjorie Fabre, les Tréteaux de France © Christophe Raynaud de Lage
Ce dernier repose sur le dispositif très léger 4×4 (comme les affectionne le CDN les Tréteaux de France), permettant de jouer F.A.I.L partout : un flight caisse et roulez jeunesse ! La mise en scène de Jonathan Salmon, est alerte. Par ailleurs, parce que la fin reste ouverte, on sort avec une kyrielle de questions qui pourront engendrer un échange avec l’équipe ou la famille. Petit florilège non exhaustif : l’école publique n’est-elle pas un lieu de réussite ? C’est bien de tricher ? Est-ce qu’on échoue vraiment quand on a essayé ? Est-ce que c’est grave de ne pas « réussir » ? Bref, à l’heure où l’angoisse des jeunes est un phénomène social, une séance de F.A.I.L ne fera pas de mal.
Une note d’espoir
Le spectacle de la Compagnie Clandestine (Autour de Marzia) nous fait, lui, entrer dans la tête d’une petite fille dont les problèmes sont intimes. Il est des secrets de famille qui pèsent comme un couvercle sur les enfants, les rendant malades. Marzia grandit avec l’un d’eux. Sa nonna ne cesse de pleurer, son père est souvent triste, et sa mère élude quand l’enfant pose une question gênante sur la petite fille qui pose à côté de son père sur une vieille photographie. Il va falloir déloger l’éléphant clandestin qui squatte la cuisine.
La pièce relate donc une émancipation. Marie Salemi qui l’a écrite en est l’unique et généreuse interprète. Si on a parfois du mal avec ses partis pris de jeu (la copine est très caricaturale, comme d’ailleurs la mère), l’accompagnement musical de Fabrizio Cenci est pertinent et fin. Il exprime sans souligner.
« Autour de Marzia », cie Clandestine © Pierre Morales © Lena Fillet
De même la scénographie est un petit bijou. Sur de grands panneaux sont en effet projetés des dessins colorés qui viennent non seulement illustrer le propos de la petite Marzia, mais faire surgir un décor ou faire un zoom sur un détail. Ces interventions sont très jolies, bien trouvées. Grâce à elles, nous nous promenons dans un livre d’images dont les couleurs compensent les moments tristes. Nous éprouvons à nouveau le plaisir des albums feuilletés au moment du coucher. Un joli moment.
Comme de petits personnages de Sempé
Joyeux, bien écrit et bien mené, Je suis trop vert est aussi plein de couleurs. D’abord, comme l’exprime le titre, on va décliner tout un éventail de sujets verts : modèle agricole, angoisse écologique des jeunes, classe verte, rages vertes. Mais qu’on se rassure, ils sont bien traités grâce à une intrigue qui tient en haleine. Les dialogues sont vifs et faciles à suivre. L’humour fait mouche. David Lescot sait écrire.
Ses personnages forment d’ailleurs une galerie haute en couleurs : la petite sœur éco-anxieuse, le copain hypocondriaque, le rival beau gosse, la monitrice agricole despotique qui dissimule sa tendresse… L’auteur s’amuse à croquer des personnages dignes de bandes dessinées, évidemment un peu outrés, mais attendrissants et drôles.
« Je suis trop vert », de David Lescot © Christophe Raynaud de Lage
Se glissent dans leurs peaux trois actrices qui jouent donc tous les rôles, changeant de personnages comme de costumes. On est effarouché au début par la manière de les diriger, les voix suraigües avec lesquelles les adultes jouent les enfants, quitte à employer de manière ridicule un ballon d’hélium, font craindre le pire.
Belle bande de comédiennes
Mais, ouf, l’histoire nous prend et les comédiennes s’imposent peu à peu – en dépit de cette bande son – par la qualité de leur travail de corps. Sarah Brannens est plus que convaincante. Belle bande de filles ! La scénographie modulable est pleine de ressources.
Et puis, sous les dehors d’un bon divertissement conjuguant histoires d’amour et micro roman de formation, la pièce sème des graines de réflexion. On ne pourra pas éviter de discuter avec les enfants de l’état du monde, des choix qu’il faut faire. Je suis vert le fait sans pontifier ni angoisser. Spectacle plaisant et instructif : c’est réussi.
Laura Plas
F.A.I.L, de Marjorie Fabre
Le texte est édité aux Éditions Koinè
Site des Tréteaux de France CDN
Mise en scène : Jonathan Salmon
Avec : Charly Labourier
Durée : 55 minutes
Dès 8 ans
Le Totem scène conventionnée d’intérêt national
Art Enfance Jeunesse • 20, avenue Monclar • 84000 Avignon
Du 8 au 23 juillet 2025 (sauf les 13 et 20), à 10 h 30
De 7 € à 10 €
Réservations : 04 90 85 59 55
Dans le cadre du Festival Off Avignon, 59e édition du 5 au 26 juillet 2025
Plus d’infos ici
Autour de Marzia, de Marie Salemi
Site de la Compagnie clandestine
Texte, conception, mise en scène, jeu : Marie Salemi
Conception, mise en scène, jeu : Fabrizio Cenci
Durée : 55 minutes
Dès 8 ans
Le Totem scène conventionnée d’intérêt national
Art Enfance Jeunesse • 20, avenue Monclar • 84000 Avignon
Du 8 au 23 juillet 2025 (sauf les 13 et 20), à 14 h 10
De 7 € à 10 €
Réservations : 04 90 85 59 55
Dans le cadre du Festival Off Avignon, 59e édition du 5 au 26 juillet 2025
Plus d’infos ici
Je suis trop vert, de David Lescot
Le texte est édité aux Solitaires Intempestifs
Site de la Cie du Kaïros
Texte et mise en scène : David Lescot
Avec (en alternance) : Camille Bernon, Sarah Brannens, Lia Khizioua-Ibanez, Élise Marie, Lyn Thibault, Marion VerstraetenDurée : 1 heure
Dès 8 ans
La Manufacture • 2, rue des Écoles • 84000 Avignon
Du 5 au 22 juillet 2025 (sauf les 10 et 17), à 9 h 50
De 14 € à 20 €
Réservations : en ligne
Dans le cadre du Festival Off Avignon, 59e édition du 5 au 26 juillet 2025
Plus d’infos ici
À découvrir sur Les Trois Coups :
☛ Le Royaume de Kensuké, Tréteaux de France, Villeneuve en scène 2024, par Léna Martinelli
☛ KiLLT, Les Règles du jeu, Yann Verburgh, Olivier Letellier, Théâtre de la Ville, Paris
Photos ou de une : « Je suis trop vert », de David Lescot © Christophe Raynaud de Lage
