Au milieu des ténèbres
Par Maud Sérusclat-Natale
Les Trois Coups
La compagnie bisontine « Ka », dirigée par Catherine Hugot, revient au Granit de Belfort pour dévoiler sa dernière création « Je suis d’ailleurs », un diptyque adapté des œuvres de l’écrivain américain Howard Phillips Lovecraft, à glacer le sang.
Le mystère commence d’emblée : nous n’irons pas occuper notre siège habituel dans l’orchestre. Nous sommes conduits sur la scène, derrière un lourd rideau noir à peine entr’ouvert et conviés dans un premier temps à nous asseoir sur un gradin miniature caché, au milieu du noir. On aperçoit un gros arbre en laine épaisse et dense, qui meuble le petit plateau. Et l’histoire débute, en voix off. On nous plonge dans l’étrange généalogie d’une famille anglaise maudite, au nom prédestiné, les « De la Peor ». Le dernier vivant de cette lignée, peu appréciée par ses voisins, entreprend de restaurer le prieuré familial, et n’est pas au bout de ses surprises… Après son récit glaçant, nous prenons quelques minutes de répit, et rejoignons un second plateau. Le comédien en scène est le même, le noir est à nouveau de mise, l’espace est lugubre à souhait : cette fois, place aux troubles intérieurs d’une âme tourmentée.
Les ingrédients de la réussite
Les textes choisis par Catherine Hugot ont fait leurs preuves, Lovecraft étant l’un des écrivains américains fantastiques les plus connus et les plus appréciés. Si l’idée de la voix off surprend un peu au départ, la version proposée est de très bonne qualité, rythmée, éloquente, juste. Le comédien, seul en scène, la complète, l’illustre ou y réagit, il dialogue avec elle. Par ailleurs, il manipule diverses marionnettes, notamment son chat favori, à l’expressivité et au regard plus que déroutants.
Comme dans tous les spectacles de la Cie Ka que j’ai pu voir, le travail sur l’objet et sa manipulation est exceptionnel. Dans ce diptyque, les apparitions sont aussi soignées que spectaculaires et les marionnettes plus vraies que nature. Manié par deux professionnels, l’un seulement étant à vue, l’objet prend toute sa place et devient un réel personnage. Il s’anime, participe, existe à part entière sur le plateau, souligné par une recherche sur la lumière absolument remarquable. C’est à mon sens la très grande force de ce travail. Tout est réuni pour que nous frissonnions d’effroi. Et cela marche. Un temps.
Un travail inégal
Si la mise en scène, la scénographie et le travail sur l’objet sont très pertinents et de grande qualité, il m’a semblé que l’interprétation du comédien ce soir était un peu en dessous. On peut le comprendre : interagir avec une bande sonore n’est pas des plus simples, surtout lorsqu’on doit aussi faire exister l’objet, son autre partenaire de jeu. La tâche et donc ardue et les talents de Guillaume Clausse sont là, mais ils sont irréguliers : des moments de fulgurance tragique presque sublimes, extrêmement bien joués, et d’autres passages plus plats, essentiellement composés de mimiques un brin répétitives. Le fait que le comédien soit le même pour les deux textes n’aide pas beaucoup à varier l’interprétation, d’autant que la scénographie de The Outsider est moins dynamique que la précédente. C’est dommage, car on aurait voulu être tenu en haleine plus intensément. Heureusement, le final est plus qu’à la hauteur mais, chut… ¶
Maud Sérusclat‑Natale
Je suis d’ailleurs, d’après H.P. Lovecraft
Mise en scène et adaptation : Catherine Hugot
Assistanat à la mise en scène : Nicole Diemer
Avec : Guillaume Clausse et Baptiste Relat
Construction des marionnettes : Catherine Hugot, Chloé Ratte, Violaine Fimbel
Conception scénographique : Ana Kozelka
Création musicale : Uriel Barthélémi
Création lumière : Bastien Hennaut
Régie : Samuel Gamet
Le Granit • 1, faubourg de Montbéliard • 90000 Belfort
Réservations : 03 84 58 67 67
Site du théâtre : http://www.legranit.org
Du 3 novembre au 6 novembre 2015, à 19 heures ou 19 h 45
20 € | 18 € | 9 €
En 2016
18-23 janvier : Les 2 Scènes, scène nationale de Besançon