Comédie fatale sur le climat
Par Léna Martinelli
Les Trois Coups
« Ils reviennent, ils sont déterminés et ils ont deux heures pour sauver le monde. » Un pitch digne d’une superproduction ! Plutôt qu’un scénario catastrophe, Frédéric Ferrer nous propose une comédie… fatale diablement efficace.
Alors que s’ouvre aujourd’hui la COP 21 (Conférence Paris Climat 2015) annoncée comme « la conférence du siècle », Frédéric Ferrer anticipe celle de 2022. Le mammouth accouchera-t-il d’une souris ? Relever le défi climatique est de taille puisqu’il s’agit de l’avenir de l’humanité. Rien que ça ! Pourtant ces tentatives onusiennes semblent vaines.
C’est en tout cas ce que pense ce metteur en scène qui a déjà consacré une pièce au sujet. Scientifique de formation, très engagé sur les questions environnementales, Frédéric Ferrer signe ici le cinquième volet de son cycle artistique les Chroniques du réchauffement, dans lequel il démontre, avec brio, combien la recherche d’un accord international contraignant, visant à limiter la hausse des températures sur le globe terrestre, est longue et difficile, burlesque et dramatique, compliquée et… improbable.
Réalisé avec une équipe de huit comédiens internationaux, ce spectacle s’inspire toujours des conférences tenues après l’échec de Copenhague en 2009. En effet, la compagnie Vertical Détour a pour particularité de nourrir ses fictions de matériaux documentaires (rapports, documents scientifiques, discours officiels, entretiens, infographie). Frédéric Ferrer a même obtenu une accréditation pour accompagner la délégation française à la conférence préparatoire de Lima. Résultat : une immersion dans le concret au plus près des enjeux.
Accords de la dernière chance tournés en dérision
Dans Kyoto Forever, des représentants réunis autour d’une table de négociation, forcément bancale, tentent donc de trouver une solution pour les générations futures. Dans la première pièce, ils essayaient d’élaborer une « feuille de route permettant de se mettre d’accord sur le procédé à mettre en œuvre pour se mettre d’accord ». Cette fois-ci, la réunion a lieu à Maurice, menacée de disparaître sous les eaux ; les questions restent les mêmes, mais elles sont plus urgentes. Or, les conférenciers s’éternisent dans des contributions liminaires interminables, ils pinaillent sur des virgules dans un texte parsemé de crochets, ils pèsent chaque mot. C’est que le moindre détail prend ici une importance démesurée : effacer « potentiellement » dans « le réchauffement climatique représente une menace immédiate et potentiellement irréversible » ne change-t-il pas tout le sens ? Sans parler des objectifs chiffrés qui feraient mieux de ne pas figurer dans le texte…
Au dernier round des négociations, l’atmosphère se tend. Avec l’emballement, les tics s’accentuent, les langues fourchent. Car tous, nations riches ou émergentes, pays en voie de développement, tous sont là avant tout pour défendre leurs intérêts. Et pour ceux qui sont perdus, Frédéric Ferrer, lui-même, intervient à plusieurs reprises pour apporter des éléments de contexte. C’est aussi désopilant que le reste. Il parle pour ne rien dire, s’embrouille, malgré les graphiques à l’appui. Pendant ce temps, d’accords en désaccords, de compromissions en résistances, de tractations en blocages, les avancées sont minimes : « Il manque le thème du développement durable dans le préambule », clame un des experts. En effet, l’essentiel est occulté. Déjà, comment trouver des solutions à des problèmes mal posés ?!
« Le futur, c’est maintenant »
Dans la réalité, l’heure est grave. Les enjeux cruciaux. Pourtant, en pointant ainsi les dérives de nos modes de gouvernance, Vertical Détour choisit d’en rire. Bon moyen de captiver l’attention sur des échanges hypertechniques. Ce spectacle n’est toutefois pas un divertissement. Il cherche juste à nous convaincre de l’absurdité de la situation, sans didactisme. Dans cette vaste comédie du monde, Frédéric Ferrer donne à voir le ballet des experts, la valse des textes, les problématiques erronées, les rapports de force internationaux. Il évoque des solutions, avec des métaphores parlantes, incite à une insurrection des consciences face aux puissances qui nous enchaînent dans un bocal en surchauffe.
Éminemment théâtrales, ces vraies-fausses conférences, où l’intensité dramatique est souvent à son comble, réunissent les trois unités (lieu, temps, action) faisant ainsi théâtre de cette diplomatie du climat. La mise en scène regorge de trouvailles amusantes grâce à un dispositif vidéo utilisé à bon escient, des effets sonores à propos, des apartés loufoques. La direction d’acteur, précise, met en valeur le jeu remarquable des interprètes, tous plus vrais que nature.
Bref, comme toutes les initiatives réjouissantes organisées par la société civile pour construire un vaste mouvement (débats, rencontres, mobilisations, actions concrètes, inventions majeures…), ce spectacle intelligent et drôle contribue au sursaut des sensibilités et donne envie de relever ses manches pour refonder notre civilisation, créer une société plus juste où vivre mieux avec moins. Qui a dit que le théâtre ne pouvait pas sauver le monde en une heure vingt top chrono ? ¶
Léna Martinelli
Kyoto Forever 2, de Frédéric Ferrer
Cie Vertical Détour • les Anciennes Cuisines • hôpital psychiatrique de Ville-Évrard • 202, avenue Jean-Jaurès • 93330 Neuilly-sur-Marne
01 43 09 35 58
Avec : Behi Djanati Atai, Karina Beuthe, Chrysogone Diangouaya, Guarani Feitosa, Max Hayter, Charlotte Marquardt, Délia Roubtsova, Haini Wang
Lumières, construction, accessoires et régie générale : Olivier Crochet
Création son : Pascal Bricard
Dispositif vidéo : Pascal Bricard, José‑Miguel Carmona
Costumes : Anne Buguet
Assistante : Claire Gras
Photo : © Samuel Serandour
Maison des métallos • 94, rue Jean-Pierre Timbaud • 75011 Paris
Réservations : 01 48 05 88 27
Site du théâtre : http://www.maisondesmetallos.org/
Du 17 novembre au 6 décembre 2015, du mardi au vendredi à 20 heures, le samedi à 19 heures, le dimanche à 16 heures
Durée : 1 h 20
14 € | 5 €
En anglais (surtitré) et en français
Tournée :
- le 24 novembre 2015, La Ferme du buisson, dans le cadre du festival Les Enfants du désordre, scène nationale de Marne-la-Vallée (77)
- Le 8 décembre 2015, Théâtre de l’Agora, scène nationale d’Évry (91)
- Les 11 et 12 décembre 2015, Théâtre-Sénart, scène nationale (77)
- Les 9 et 10 mars 2016, Théâtre la Vignette – université Paul-Valéry, Montpellier (34)
- Les 10 et 12 juin 2016, Le Grand T, scène conventionnée de Loire-Atlantique, Nantes (44)
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