« La Mouette », d’Anton Tchekhov, MC93 – Maison de la Culture de Seine-Saint-Denis à Bobigny

La-Mouette-Tchekhov-Cyril-Teste-collectif-MxM © simon-gosselin

Exploration introspective et mémorielle

Par Léna Martinelli
Les Trois Coups

S’emparant de Tchekhov, Cyril Teste et le collectif MxM éclairent les zones d’intimité contenues dans « la Mouette », l’œuvre la plus autobiographique de l’auteur russe et la plus jouée aussi. Si l’on peut saluer la maîtrise technique et les trouvailles visuelles, la distribution et la direction d’acteurs ne m’ont pas convaincue. Entre autres.

Quelle légitimité ont les artistes ? Que peut dire l’art du monde ? Avec la quête d’absolu, pour transgresser la médiocrité, la pièce aborde le thème de l’art et de l’amour. Après avoir consacré plusieurs spectacles à Falk Richter, qui traite de thématiques contemporaines (déshumanisation, troubles de l’identité, dérives managériales…), le metteur en scène tente de recomposer un classique aux résonances universelles. S’il avait davantage été inspiré par l’écriture au scalpel du dramaturge allemand, Cyril Teste révèle malgré tout la noirceur poétique de Tchekhov.

Désir d’art et désir œdipien

Jeune auteur désœuvré et mal aimé, Konstantin est en quête de reconnaissance. En crise, ses conflits avec sa mère ne reposent pas uniquement sur sa tentative de réforme dramatique. Actrice adulée, Arkadina veut aussi s’épanouir comme femme. Au-delà du conflit de génération et du complexe d’Œdipe, Tchekhov dévide tout un écheveau car, au final, l’instituteur aime Macha qui aime Konstantin qui aime Nina qui aime Trigorine, lequel fait semblant d’aimer Arkadina ! De ces frustrations découlent évidemment trahisons, rivalités, conflits et souffrances. Traversée par le doute, la Mouette exprime la profonde angoisse du manque et de la perte – donc de la mort – symbolisée par cette dépouille emblématique d’oiseau marin, qui est aussi une figure allégorique de la liberté artistique.

La-Mouette-Tchekhov-Cyril-Teste-collectif-MxM © simon-gosselin
© Simon Gosselin

Les recherches, menées depuis longtemps par Cyril Teste et le collectif MxM, sur la grammaire commune du théâtre et de l’image ont abouti à une forme originale : fascinant objet, cette « performance filmique », où s’écrivent deux histoires parallèles, confronte les temporalités théâtrales et cinématographiques, enrichit le sens de la multiplication des points de vue. Mais elle peut aussi envahir tout l’espace.

En écho au vide

Des scènes sont donc filmées et montées en direct, entrecoupées de séquences enregistrées qui permettent de voir ce qui se passe hors champ : confidences, aveux, secrets… Au plateau, les cameramen filment aussi l’histoire en train de se jouer. Le jeu se déploie entre séquences bavardes et images contemplatives, par le biais d’une grande boîte rectangulaire, la datcha donnant sur le lac bordé de sapins. Les parois de cette boîte mobile sont parfois des toiles vierges où sont projetées les images, complètement intégrées au récit.

L’utilisation de la vidéo n’est pas que formelle : elle travaille sur la narration. Les périodes se télescopent. Entre présent représenté et filmé, les ellipses et la variété des lieux, on s’y perd un peu. Mais reconnaissons l’ingéniosité du procédé. De plus, ce va-et-vient entre vivant et artificiel – ou du moins la représentation – est tout à fait juste par rapport à l’obsession d’Arkadina, attachée à son apparence, ainsi qu’aux autres personnages, tous ambitieux et confrontés à leur image dans le dénouement tragique.

L’envers du miroir

En fait, Cyril Teste agit en révélateur (comme un photographe) et en peintre. Les images qui composent cette nouvelle création sont autant de tableaux captant des fragments de vie. Portraits, traitements visuels appropriés… Le plateau est ici organisé comme un atelier où se font et se défont les formes artistiques au gré d’une perspective. La mise en scène s’approche au plus près de Tchekhov, donnant remarquablement à voir sa mélancolie, mais propose aussi une habile confrontation entre « art ancien » et « art nouveau », par l’introduction d’un traitement vintage et d’images évoquant la télé-réalité.

La-Mouette-Tchekhov-Cyril-Teste-collectif-MxM © simon-gosselin
© Simon Gosselin

Cyril Teste cherche-t-il à dénoncer ce style décidément fumeux ? Quoi qu’il en soit, les caméras sondent des abîmes existentiels. En plans rapprochés, les visages devraient révéler des tourments intérieurs. Or, les femmes se noient dans l’alcool et disparaissent derrière moult écrans de fumée. Les images filmées et projetées en direct dédoublent artificiellement les angoisses. Résultat : les personnages semblent écrasés par les évènements, d’autant que l’interprétation n’est pas à la hauteur des enjeux. 

Tout feu tout flamme ?

Pour incarner Nina, jeune exaltée aux rêves brisés, Liza Lapert prend des airs détachés, sans doute par crainte d’en faire trop. Macha, jeune femme dépressive, est jouée par Katia Ferreira qui frôle le non-jeu. Pour le fils rebelle, Mathias Labelle est bien monotone, en dehors de quelques accès de fureur. 

Cette présence omniprésente des visages fait de l’ombre, car les comédiens n’incarnent pas les personnages avec leur corps, ne sont pas enracinés dans leur rôle, leur voix est mal placée. Dans ces conditions, comment nous embarquer ? Il y a bien quelques étincelles, mais trop peu de frissons pour des passions inassouvies ! Les larmes ont beau couler en gros plan, nous restons de marbre. Par manque de densité dramatique, cette confusion des sentiments ne nous touche pas. Et cette froideur n’est guère compensée par l’incendie qui ravage la forêt, en images.

L’excès de ces dernières est-il justement en cause ? Tchekhov dit, suggère, mais ne montre pas. Dans une pudeur absolue, il laisse au texte seul le soin de convoquer les souvenirs de chacun et d’enflammer notre imaginaire. Le vague à l’âme tchekhovien est comme le temps qui suspend son vol, une respiration nécessaire. Or, ici, le metteur en scène cherche trop à traduire le texte à vif, et à exhiber ses déchirures, par des images glacées et débordantes. Alors, ici, la forme finit par engloutir le fond. 

Léna Martinelli


La Mouette, de Tchekhov

Site de la compagnie ici

Traduction : Olivier Cadiot

Mise en scène : Cyril Teste

Avec : Vincent Berger, Olivia Corsini, Katia Ferreira, Mathias Labelle, Liza Lapert, Xavier Maly, Pierre Timaitre, Gérald Weingand

Collaboration artistique : Christophe Gaultier et Marion Pellissier

Assistanat à la mise en scène : Céline Gaudier

Dramaturgie : Leila Adham

Scénographie  : Valérie Grall

Création lumière  : Julien Boizard

Création vidéo  : Mehdi Toutain-Lopez

Images originales  : Nicolas Doremus et Christophe Gaultier

Création vidéos en images de synthèse  : Hugo Arcier

Musique originale  : Nihil Bordures

Ingénieur du son  : Thibault Lamy

Costumes  : Katia Ferriera, assistée de Coline Dervieux

Direction technique  : Julien Boizard

Régie générale  : Simon André

Durée : 2 heures


Spectacle conseillé à partir de 15 ans

MC93 — Maison de la Culture de Seine-Saint-Denis • Salle Oleg Efremov • 9, bd Lénine • 93000 Bobigny


Du 25 au 30 juin 2021

De 9 € à 25 €

Tournée ici


À découvrir sur Les Trois Coups :

☛  Nobody, d’après FalkRichter, par Léna Martinelli

À propos de l'auteur

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *

Ce site utilise Akismet pour réduire les indésirables. En savoir plus sur comment les données de vos commentaires sont utilisées.

Du coup, vous aimerez aussi...

Pour en découvrir plus
Catégories