« La Vie est une fête », Les Chiens de Navarre, La Villette, Paris

La-vie-est-une-fete-Chiens-de-Navarre © Philippe-Lebruman

Jour de fête

Par Léna Martinelli
Les Trois Coups

Comment tourner la déraison en dérision ? Plus enragée que jamais, la meute des Chiens de Navarre s’en prend aux causes de la folie. Encore une fois, elle est mordante. Son humour est féroce mais salutaire. Assister à cette représentation était donc un jour de fête.

La Vie est une fête nous fait déambuler dans les couloirs d’un service des urgences psychiatriques. L’occasion de pointer les responsables des transformations brutales de notre société. Menée par Jean-Christophe Meurisse depuis sa création en 2005, Les Chiens de Navarre ont l’habitude de mordre là où ça fait mal. Après avoir ausculté le thème de l’identité nationale dans Jusque dans vos bras, après avoir assisté à un Noël en famille qui tourne au cauchemar dans Tout le monde ne peut pas être orphelin, ces trublions se demandent comment ce chaos généralisé ne nous rend pas tous dingues. L’amour serait-il la solution ?

© Philippe Lebruman

L’installation du public met d’emblée dans l’ambiance, avec prises de bec entre députés survoltés (joués par des acteurs entre scène et salle, prompts à dégainer aux saillies des uns et des autres, à provoquer le président de séance juché sur son perchoir. C’est croustillant car en prise directe avec notre actualité. Mais nous voilà bientôt à l’hôpital où les patients ne sont pas les seuls fous : les internes débordés pètent aussi les plombs, quand ils ne sont pas à côté de la plaque. Coups de gueule, dérapages explosifs, décalages…Les pulsions sont exploitées comme autant de fusibles prêts à sauter.

Société malade

Malgré les apparences foutraques et un matériau nourri d’improvisations, l’ensemble est savamment construit. On retrouve les personnages d’une séquence à l’autre. Le député RN et le politicien en campagne (excellente caricature de Bruno Lemaire), repérés au début, atterrissent aux urgences. On suit aussi une fanatique du chanteur Christophe ou une célibataire au bout du rouleau dans son parcours de soins : examen gynécologique, séance de coaching en chirurgie esthétique, rencontre à la lueur d’un distributeur de boissons, lui aussi détraqué. C’est désopilant.

© Philippe Lebruman

La mise en scène est très bien orchestrée, avec un rythme mené tambour battant. Les zones sensibles de la société sont converties en terrains de jeu et de bataille. En fond de scène, une rave party d’une start up pseudo écolo se transforme en émeutes. Tandis qu’un chef d’entreprise prend la porte, au sens littéral du terme, une CRS perd plus que ses plumes contre les gilets jaunes. Ce ne seront pas les seules sorties de route !

Plaisir du jeu

S’il y a fête, c’est bien dans le jeu des acteurs, leur sens de la provocation. Sans tabous, ils n’ont peur de rien et surtout pas du politiquement correct. Les Chiens de Navarre n’y vont pas « par le dos de la main morte ! », comme le dit si bien le psychiatre au chevet de la dépressive multi récidiviste, au risque, sur la fin, de tomber dans le Grand Guignol. Malgré ce jubilatoire jeu de massacre, l’hôpital psychiatrique est présenté comme révélateur de notre fragile condition. Un sas d’humanité.

Disséquant les mots à maux existentiels, conjuguant avec bonheur rire et poésie trash, Jean-Christophe Meurisse et sa bande accouchent ainsi d’un spectacle aux nombreuses vertus. Ne vaut-il pas mieux mourir de rire, plutôt que crever de l’absurdité du monde ?! 🔴

Léna Martinelli


La Vie est une fête, Les Chiens de Navarre

Site de la compagnie
Mise en scène Jean-Christophe Meurisse
Avec : Delphine Baril, Lula Hugot, Charlotte Laemmel, Anthony Paliotti, Gaëtan Peau, Ivandros Serodios, Fred Tousch et Bernie
Collaboration artistique : Amélie Philippe
Scénographie, décors et construction : François Gauthier-Lafaye
Création et régie lumière : Stéphane Lebaleur
Création et régie son : Pierre Routin
Régie générale et plateau : Nicolas Guellier
Création et régie costumes : Sophie Rossignol
Machiniste : Augustin Grenier
Durée : 1 h 45
À partir de 15 ans

La Villette • Espace Charlie Parker • 211, av. Jean Jaurès • 75019 Paris
Du 29 novembre au 3 décembre 2022, du mardi au vendredi à 20 heures, samedi à 19 heures
De 12 € à 32 €
Réservations : 01 40 03 75 75

Tournée :
• Les 7 et 8 décembre, Scène Nationale 61, à Alençon
• Du 14 au 18 décembre, MC93, à Bobigny
• Du 5 au 7 janvier 2023, ONYX, scène conventionnée de Saint-Herblain, en coréalisation avec Le Lieu Unique, scène nationale de Nantes
• Les 12 et 13 janvier, L’Onde Théâtre, Centre d’art de Vélizy-Villacoublay en coréalisation avec le Théâtre de Saint-Quentin-en-Yvelines
• Les 18 et 19 janvier, Le Rive Gauche, à Saint-Étienne-du-Rouvray
• Du 26 au 28 janvier, Maison des Arts de Créteil
• Du 2 au 5 février, Le Volcan, scène nationale du Havre
• Les 24 et 25 mars, Le Channel, scène nationale de Calais
• Les 30 et 31 mars, Le Manège, scène nationale de Maubeuge
• Les 5 et 6 avril, Bonlieu, scène nationale d’Annecy
• Les 13 et 14 avril, Condition Publique, Roubaix, dans le cadre de la saison hors les murs de La Rose des Vents, scène nationale de Lille Métropole Villeneuve d’Ascq
• Du 10 mai au 3 juin, Théâtre des Bouffes du Nord, à Paris

À découvrir sur Les Trois Coups :
« Les Armoires Normandes », Les Chiens de Navarre, par Léna Martinelli
☛ « Jusque dans vos bras », de Jean-Christophe Meurisse, Les Chiens de Navarre, par Trina Mounier

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