« le Premier », d’Israël Horovitz, Théâtre Essaïon à Paris

le Premier © Mélanie Foucault

Une belle énergie

Par Fabrice Chêne
Les Trois Coups

Avec une œuvre riche de plus d’une cinquantaine de titres, Israël Horovitz est aujourd’hui le dramaturge américain le plus joué en France. Il perpétue de façon très heureuse la tradition du théâtre de l’absurde, en lui ajoutant une touche de réalisme à l’américaine, et un humour féroce et incisif qui croque les vices et les bassesses de l’humanité. « Le Premier », l’une de ses pièces les plus connues, a d’ailleurs déjà été monté à Paris cette année par la Cie des Aléas. La nouvelle proposition de Stéphane Rugraff, qui réunit une belle brochette de comédiens, lorgne du côté du théâtre musical.

Cinq personnages font la queue sans savoir pourquoi : est‑ce un match de foot que l’on va voir ? un film ? On ne le saura jamais. Seul compte ce désir fou d’être le premier de la file, de passer devant les autres, obsession qui va contaminer l’un après l’autre tous les protagonistes. Pour y parvenir, ils seront prêts à toutes les séductions et à toutes les violences. Petit à petit, toutes les règles du savoir-vivre seront transgressées.

Le début du spectacle est aussi amusant que réussi. Qu’attend‑il, cet homme solitaire qui a tellement l’air de s’ennuyer, assis sur sa glacière depuis ce qui semble être une éternité ? Que le spectacle commence ? Ça tombe bien, nous aussi. Ce n’est qu’après dix bonnes minutes de ce face-à‑face silencieux qu’il sera rejoint par un second personnage, Stephen, un jeune compositeur. Celui‑ci s’avère aussi brillant discoureur que son interlocuteur, Flemming, est fruste. Il parviendra d’ailleurs bien vite à lui chiper sa place. Stéphane Rugraff, le metteur en scène, a choisi (prénom oblige ?) d’assumer lui-même le rôle difficile de Stephen. S’il s’en sort plutôt honorablement, on peut tout de même regretter qu’un excès de précipitation le fasse parfois buter sur certains mots.

On comprend bien vite, lorsque arrivent les autres, que chacun possède sa propre personnalité, sa propre philosophie de la vie. Dollan est celui qui fait « comme si de rien n’était », et progressera « mine de rien » vers le premier rang. Arnall, lui, résigné aux infidélités de sa femme, est résolu à toujours s’attendre au pire : « Pas de surprises, pas de bobos ». La qualité des comédiens fait le reste, et permet de restituer au texte toute sa portée comique : Pierre Benoist campe un Flemming convaincant, et Jean Selesko interprète Dollan avec finesse et intelligence. Quant à Lionel Robert dans le rôle d’Arnall, le mari cocu, c’est un vrai plaisir de voir jouer ce comédien de grand talent. À lui seul, il mérite le déplacement.

L’unique rôle féminin est sans doute le plus délicat de la distribution. Comme le dit son mari, Molly est « un personnage d’une seule pièce : tout à fait salope ». Cette femme sans morale est une véritable mangeuse d’hommes, qui fera succomber l’un après l’autre les protagonistes masculins (sans d’ailleurs en tirer grand avantage). Cette vision assez inquiétante de la féminité est incarnée par Claire Faurot, qui signe également les chorégraphies du spectacle.

J’en viens à ce qui fait la véritable originalité de la mise en scène, mais qui se révèle un parti pris discutable. Sans doute pour mettre en avant les qualités de chanteuse de Claire Faurot, Stéphane Rugraff a imaginé de multiplier les passages chantés et chorégraphiés. Le texte précise que, lors des scènes d’« accouplement », les comédiens dansent et simulent l’acte sexuel. Soit, mais il y a de multiples façons de le faire. Systématiquement chantées par les comédiens, ces scènes produisent un effet trop répétitif (même si le comique de répétition est bel et bien présent dans le texte). Les airs retenus – parfois de simples « la la la… » –, outre qu’ils se ressemblent trop, donnent au spectacle un côté « music-hall » que j’ai trouvé superflu. Plus de variété – de langueur ? de sensualité ? – dans ces passages aurait introduit des ruptures de rythme et de ton qui manquent ici.

En revanche, le choix et l’utilisation des morceaux enregistrés m’ont davantage convaincu. L’idée de faire entendre du Mozart s’imposait, puisque le plus jeune des protagonistes est obsédé par la précocité du musicien viennois (derrière qui il n’y a que des seconds). Quoi qu’il en soit, après une heure d’alliances, de trahisons, de règlements de comptes et de scènes de ménage, le paroxysme du spectacle est atteint dans une scène de bagarre générale très bien menée. Le plus étrange de l’affaire est que le spectateur se laisse bel et bien gagner par la folie contagieuse des personnages. Peut-être n’attendrez-vous plus jamais votre tour dans une file de la même façon. 

Fabrice Chêne


le Premier, d’Israël Horovitz

Éditions Théâtrales, 2002

Mise en scène : Stéphane Rugraff

Avec : Pierre Benoist, Stéphane Rugraff, Claire Faurot, Jean Selesko et Lionel Robert

Photo : © Mélanie Foucault

Affiche : Olivier Thévin

Théâtre Essaïon • 6, rue Pierre‑au‑Lard • 75014 Paris

Métro : Hôtel‑de‑Ville ou Rambuteau

Réservations : 01 42 78 46 42

www.essaion.com

Du 28 septembre 2009 au 19 janvier 2010, les lundi et mardi à 21 h 30

Durée : 1 h 15

20 € | 15 €

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