« Les Comètes » : décollage réussi !
Par Laura Plas
Les Trois Coups
Écrites sur mesure par Métie Navajo et Marylin Mattéi, mises en scène par les compagnies chevronnées du Dagor et d’Aurélie Van Den Daele, « Les Comètes » propulsent huit jeunes comédiens sortis de l’École de L’Union dans les espaces vertigineux d’une création ambitieuse. Une belle surprise.
C’est déjà un parcours de combattants que de rentrer dans l’une des huit écoles nationales de théâtre qui émaillent le pays. Mais passées les années de formation en leur sein, le plus compliqué reste à venir. Comment se lancer ? Les Comètes offrent une réponse qui donnerait presque envie de réinventer leur étymologie en le reliant au latin : comes : le compagnon.
À l’œuvre dans le dispositif, d’abord des autrices désormais renommées : Métie Navajo et Marlyn Mattéi. Pour accompagner ensuite les huit jeunes comédiens depuis la découverte de leurs textes à la scène : deux compagnies. Celle du Dagor est ancrée dans le territoire limousin et reconnue pour la qualité de son travail sur les écritures contemporaines. Quant à Aurélie Van Den Daele, la directrice de l’ESTU et du CDN de Limoges, on ne la présente plus. Tous ces artistes ont accepté de créer sous contraintes : à l’écoute des jeunes interprètes, dans un temps court, et conformément à des esthétiques qu’ils n’avaient pas totalement choisies. Une sacrée générosité. Alors, qu’en résulte-t-il ?
« Dans les ténèbres tout s’élance », ou l’œuvre sphinge
L’écriture de Métie Navajo présente des fragments comme des météorites fascinantes tombées en forêt. Ces sortes de monologues poétiques et existentiels cohabitent avec des dialogues qui esquissent l’échec de la communication humaine. La nuit est ainsi peuplée de solitudes ; l’être humain y est confronté au mystère d’une forêt profonde pleine de loups. Les monologues ménagent de vraies partitions aux comédiens. On retiendra l’aveu sensible et interdit de Luka Mavaetau, par exemple. La compagnie du Dagor prend au mot ce texte exigeant, le met en scène de façon stylisée. Musique, jeux de lumière très précis, scénographie épurée nous font entrer en étrangeté. La proposition déconcertera peut-être, mais elle ne cesse de monter en puissance jusqu’à une scène onirique superbe. Dans une sorte de tribunal des animaux qui rejoue l’énigme posée par la sphinge à Œdipe, l’humain prédateur comparait. Certes, le refrain est dans l’air du temps, mais la mise en scène lui donne une force renouvelée.
Et puis, dans ces ténèbres, s’élance Roxane Coursault-Defrance, incarnation saisissante de Sylvana, guide d’une réserve forestière. Nourri plus que les autres de la mythologie centre-américaine chère à l’auteure, ce personnage étrange vibre et porte littéralement la pièce. La jeune comédienne l’interprète avec une présence qui n’exclut pas l’humour.
Si la forêt et la thématique des retrouvailles forment un lien entre les deux Comètes, leurs esthétiques divergent profondément. Dans Comme si, de Marylin Mattéi, sous une apparence anodine, l’écriture nous enveloppe pour instiller peu à peu mystère et mélancolie. Tchekhov y rôde comme les fantômes de Hurlevent. On ne nous parlera jamais directement de déforestation, d’avenir saccagé. C’est dans l’air, c’est dans le repli d’une réplique jetée dans le vent, comme l’avenir déjà passé à vingt-cinq ans, comme les rendez-vous manqués. La pièce, ainsi tchekhovienne en diable, trouve son originalité dans des échappées fantastiques, un suspense digne du thriller, une pertinence sociologique qui fait penser, par exemple, au roman de Nicolas Mathieu Leurs Enfants après eux. Le texte émeut et ensorcelle comme un revenant.
Jouer contre le temps qui passe
De fantômes, il ne cessera d’être question. Une sorte de prompteur rappelle d’ailleurs l’éminence d’une catastrophe que le spectateur redoute et appelle en même temps pour, enfin, avoir le fin mot d’une histoire qui lui échappe. C’est l’histoire de quatre amis qui se sont jurés le soir de leur bac de se retrouver à leur cabane, l’histoire d’une promesse qui ne fut pas d’abord tenue, une histoire de retrouvailles et de deuil aussi. Ces quatre-là sont comme les grands frères de fiction des comédiens qui les incarnent. Nourrie de ce que sont ces derniers, l’écriture ne manque pas de force, ce qui n’exclut pas un travail de composition dans le jeu. On avait découvert ces acteurs dans Les Sorcières de Salem, on les retrouve ici grandis, mûris, par leur formation, sans doute, par le temps aussi et le cadeau d’un texte et d’une direction de grande qualité.
On commence par une polyphonie joyeuse et tapageuse. Toutefois, la pièce ne perd pas son rythme. Le texte de Marylin Mattéi est particulièrement exigeant sur ce point : à l’image du tourne-disque que seule Tyto peut toucher, il crée un étrange ressassement. Les quatre amis ne cessent de rejouer la scène d’une mort : réelle, fantasmée, décalée ? Il fallait une direction d’acteurs aboutie pour concilier cette répétition avec le sentiment d’une progression. La tension monte ainsi, la pièce nous tient en haleine.
La complicité des quatre comédiens y est pour boucoup. Les écoles permettent de créer des amitiés qui dureront, parfois une vie durant. Ils jouent à quatre et aucun ne tire la couverture à soi. Célestin Allain-Launay, au regard tragique et brûlant, marque par sa présence absence, la délicatesse de son jeu, comme Robinson Courtois (déjà remarquable sous la direction de Paul Golub) qui décline toute une palette d’émotions. Mais les distributions des deux créations sont globalement réussies.
Si on ajoute, la scénographie, mélange de naturalisme et d’exhibition de la théâtralité et les interludes musicaux qui nous tirent, comme le travail de la lumière, vers la dimension fantastique, on en conclura que cette comète – ode au jeu – mériterait de poursuivre son chemin sur d’autres cieux théâtraux. 🔴
Laura Plas
Dans les ténèbres tout s’élance, de Métie Navajo, par la Cie du Dagor
Site de la compagnie
Mise en scène : Julien Bonnet
Assistante à la mise en scène : Alexandra Courquet
Avec : Roxane Coursault-Defrance, Marianne Doucet, Siméon Ferlin, Luka Mavaetau
Durée : 1 h 15
Dès 14 ans
Comme si, de Marylin Mattéi, mis en scène par Aurélie Van Den Daele
Site de la compagnie
Collaboration à la mise en scène : Aurélie Van Den Daele
Assistante à la mise en scène : Joris Rodriguez
Avec : Célestin Allain-Launay, Robinson Courtois, Richard Dumy, Youness Polastron
Durée : 1 h 35
Dès 14 ans
Théâtre de l’Union, CDN du Limousin • 20, rue des Coopérateurs • 86000 Limoges
Du 2 au 7 février 2023
De 6 € à 22 €
Réservations : 05 55 79 90 00 ou en ligne
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