« Les Trois Coups » signalent les parutions récentes consacrées au théâtre à ne pas manquer [12]

Estuaires de Daniel Mesguich, Gallimard

Bulletin n°12 : en librairie…

Par Rodolphe Fouano
Les Trois Coups

Monographies, biographies, essais, mémoires, rééditions de classiques…

Estuaires de Daniel Mesguich, GallimardEstuaires

de Daniel Mesguich

Gallimard, Hors série Littérature, 2017
Annotations et postface de Stella Spriet
600 p. / 32 €

« Donner à lire le théâtre d’avant le théâtre »

L’intérêt que les artistes, et tout particulièrement les metteurs en scène, accordent à leurs archives est en soi un objet de réflexion. Beaucoup les conservent avec un soin jaloux, tandis que des institutions spécialisées (BnF, IMEC, etc.) s’adonnent à une chasse au trésor concurrentielle pour parvenir à récupérer ces fonds mémoriels de la création artistique.

Daniel Mesguich, pour sa part, les a longtemps négligées tout en les conservant. L’avant-propos qu’il signe commence comme un conte. On y voit surgir Stella Spriet, universitaire canadienne, remonter de la cave du metteur en scène où elle a passé des mois à classer des papiers, les bras encombrés de « mille feuilles de toutes dimensions », en affirmant voir dans « ce drôle de tas, matière à un véritable livre, et à un enseignement ». La détermination de la chercheuse dut pourtant venir à bout des réticences de Daniel Mesguich qui pensait que « ces textes, si disparates, avaient vécu » et que l’on « ne replante pas une fleur déjà cueillie ».

Mais relecture faite, une ligne semble se dessiner et peut-être même une cohérence apparaître. On sait Daniel Mesguich passionné de psychanalyse. Aussi ne sera-t-on pas surpris de le voir estimer que de ces éléments « quelque chose s’écrivait là, et non pas seulement dans leur simple addition mais, par l’ensemble qu’ils formaient, le rebond de l’un sur l’autre, leur étoilement. Quelque chose que je ne savais pas que j’avais écrit. Et qui malgré moi, presque sans moi, restait de moi. »

Ce livre épais de 600 pages ravira les mesguichiens et désespérera les autres. La volubilité et la prolixité de Daniel Mesguich sont telles qu’il ne pouvait être question de tout publier. Ce qui est rassemblé ici n’est donc qu’un choix de textes « cueillis et recueillis », dans tous les sens du terme. Pas de schémas, de relevés de mises en scène ou de multiples annotations de pièces, mais un recueil de textes (programmes, postfaces, articles, entretiens…) écrit sur une période de 40 ans, titrés « à propos de… », comme si, chez Mesguich, tout n’était que commentaires, prétextes à analyse, pour ne pas dire à exégèse…

Réunir chronologiquement ces matériaux eût sans doute été trop simple. Ne soyons donc pas surpris de découvrir Hamlet, dès l’incipit, dans une analyse de 1996 et de retrouver la pièce de Shakespeare 450 pages plus loin, dans une approche datée de 1977, à l’occasion de la première mise en scène qu’il en a proposé (il l’a remonté trois fois depuis).

L’ordre de mise en page est ainsi le fruit d’une savante « déconstruction », selon une méthodologie derridienne à laquelle on le sait attaché, où l’on se laisse bercer et parfois engloutir par les flots, pour filer la métaphore du (beau) titre retenu : Estuaires

Dans cette forme même, se dégage une espèce d’autoportrait, où résonnent et se font échos toutes les obsessions d’un intellectuel autodidacte qui ne semble jamais rassasié. Homme pressé et insatiable, hyperactif, Daniel Mesguich reste un artiste « à venir », comme le « livre à venir » dont il parlait en 1977, qu’il définissait déjà « peut-être » comme « un théâtre ».

Rien n’interdit au lecteur de procéder à sa propre « mise en pièces », comme aurait dit Planchon, tant l’ouvrage invite à une libre promenade artistique, intellectuelle, idéologique, historique, etc. fort stimulante, où Mesguich, tour à tour, explique son intérêt pour la traduction, dénonce l’inculture contemporaine qualifiée de « terroriste », défend un théâtre assumé comme une pratique essentiellement « élitaire » quand tant de populistes le voudraient « populaire », traite de l’humour au théâtre, évoque les pères de la décentralisation ou aborde la question de l’antisémitisme…

On trouvera un intérêt renouvelé, avec quelques années de recul, à relire les textes consacrés à ses années de direction d’un Centre dramatique national (la Métaphore à Lille). Idem pour l’interminable lettre écrite, en tant que directeur du Conservatoire national supérieur d’art dramatique, aux élèves qui avaient alerté directement le ministre de la Culture de soi disant « dysfonctionnements ». La rupture était consommée et le directeur ne fut pas reconduit pour un troisième mandat.

Loin de raccrocher les gants, comme on le dit en boxe, le metteur en scène se devait, dès lors, d’inventer la suite de sa carrière, ailleurs. Il a proposé cet été au festival de Grignan un époustouflant Lorenzaccio, avec Marie-Claude Pietragalla et Julien Derouaut, et connut, pendant le mois de juillet, à Avignon, au Théâtre du Chêne Noir, un vif succès avec Au Bout du monde d’Olivier Rolin qu’il a joué aux côtés de Sterenn Guirriec. Quant à l’enseignement, il ne saurait jamais y renoncer, le considérant consubstantiel à l’acte théâtral. Aussi ouvrira-t-il un cours privé de théâtre à la rentrée 2017, proposant une formation de l’acteur et des ateliers pour amateurs.

Stella Spiet a joliment intitulé sa postface « Un passeur des arts ». Les précisions qu’elle y apporte contextualisent utilement les morceaux de cette belle anthologie. On trouve en outre, dans les annexes, une utile bibliographie, ainsi que la liste des mises en scène et des rôles de Daniel Mesguich. Un seul regret : l’absence d’index des noms de personnes citées et des œuvres. Une lacune incompréhensible dans un ouvrage aussi dense et aussi épais.

Présentation de l’ouvrage par l’éditeur ici.

À découvrir sur Les Trois Coups

Brève rencontre avec Daniel Mesguich, par Rodophe Fouano

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