Insolite : « les Visites déguidées » de Bertrand Bossard
Par Léna Martinelli
Les Trois Coups
Bertrand Bossard, artiste associé, invente un nouveau concept de visites du lieu, ni historiques ni diplomatiques, pas vraiment « culturellement correctes ». Originales, ces « Visites déguidées » sont à l’image de ce lieu de création et d’expérimentation unique en son genre qu’est le Centquatre : accueillant et hors du commun. Laissez‑vous donc surprendre…
Dedans, dehors, dessous, dessus… cette visite offre de bien surprenantes perspectives. Édifié en 1874 dans le XIXe arrondissement de Paris, ce joyau de l’architecture industrielle a été magnifiquement réhabilité pour devenir le Centquatre. Inauguré en octobre 2008, cet établissement culturel d’un nouveau genre est devenu l’emblème de l’ère Delanoë (avec 110 millions d’euros investis par la Ville de Paris). Situé au cœur d’un quartier sensible longtemps déserté par la culture, il a su devenir un phare parisien. Un équipement du xxie siècle résolument novateur, en phase avec son époque.
Évidemment, avec notre guide Bertrand Bossard, la halle Aubervilliers, les anciennes écuries, le jardin, apparaissent sous un nouveau jour. Mais c’est aussi la seule visite culturelle où l’on ne voit rien ! Dans les coulisses, les visiteurs, plongés dans le noir, tentent de se mettre dans la peau des comédiens qui doivent maîtriser leur trac avant le feu des projecteurs.
Des situations cocasses comme celles‑ci, Bertrand Bossard adore les mettre en scène. D’ailleurs, il ne rate aucune occasion de nous faire perdre le sens du ridicule. Par exemple, avez‑vous déjà été pesé avant de faire une visite culturelle ?
Qu’à cela ne tienne ! On le suit volontiers, ce guide délirant, tant il est sympathique. On accepte même d’interpréter pour lui un « silence pesant d’ascenseur », voire d’entonner quelques refrains depuis la passerelle qui surplombe l’entrée principale du bâtiment, ou encore de piquer un sprint au milieu de la foule. Tonique, le parcours est en effet exécuté au pas de charge (mieux vaut prévoir des chaussures confortables), histoire de faire rapidement le tour du bâtiment, mais aussi de mettre un peu d’animation. Oui, en une heure – top chrono – on voit autant qu’on est vu !
Visites loufoques, pour ne pas dire déjantées
Courantes dans la plupart des établissements culturels, les visites sont généralement proposées par les services de relations avec les publics. Souvent assurées par des conférenciers, elles guident les touristes amateurs de belles pierres, fournissent des savoirs parfois pointus aux curieux, prolongent un programme pédagogique auprès du jeune public. Précieux outil de médiation culturelle, les visites créent un lien privilégié avec les spectateurs ravis de pouvoir ainsi découvrir l’envers du décor et les secrets d’une création, de monter sur scène, d’aller à la rencontre d’artistes.
Au Centquatre, des visites classiques sont possibles, mais préférez les « déguidées » qui permettent tout cela et bien plus encore. Le comédien et metteur en scène Bertrand Bossard a imaginé une forme insolite qui « déguide », qui déride aussi. S’il nous montre les dessous cachés du lieu, il nous perd tout autant, grâce à son talent d’artiste. Dans cette découverte ludique des espaces, le public ne parvient effectivement pas toujours à distinguer le vrai du faux, car l’histoire intime contamine vite la grande Histoire. Le jeu s’infiltre dans la réalité jusqu’au coup de théâtre final. Et c’est drôlissime ! Un petit spectacle, en fait.
Ce sens inné de l’absurde et du comique, Bertrand Bossard le maîtrise parfaitement. Après son désopilant Incredibily incroyable, un one‑man‑show où il maniait l’art du conte, du mime, de la jonglerie verbale et physique, il prépare, pour janvier prochain, le Jeu des 1000 euros inspiré de l’émission de France Inter, toujours avec le même humour décapant et des surprises inattendues.
Le Centquatre, un lieu de vie où l’art côtoie le quotidien
Artiste associé connaissant bien le lieu, un regard décalé sur la réalité, une belle générosité… Ces atouts ont convaincu José‑Manuel Gonçalvès, directeur du Centquatre depuis 2010, que Bertrand Bossard était l’homme de la situation, celui qui pourrait contribuer, avec lui, avec son équipe, avec les autres artistes, à changer l’image de ce lieu jusque‑là mal identifié et plombé par une gestion précédente déficitaire.
De plus, José‑Manuel Gonçalvès souhaitait que l’ancien service des pompes funèbres municipales soit moins présenté comme du patrimoine que comme un lieu de vie. Objectif : éviter un rapport trop révérencieux dû au lourd passé du Centquatre et à la programmation élitiste imaginée jusqu’en 2010 par Robert Cantarella et Frédéric Fisbach.
Aujourd’hui, tous les arts sont représentés (arts visuels, danse, théâtre, magie, performances, concerts, défilés, etc.), avec des propositions exigeantes et d’autres plus accessibles. Pensé comme une plate-forme artistique collaborative, le Centquatre est ouvert aux expressions spontanées. Ainsi, l’établissement accueille l’ensemble de ces propositions dans un vaste bâtiment de 39 000 m² composé de places publiques, d’ateliers de recherche et d’espaces de représentation. Traversé par des milliers de personnes, le Centquatre se veut une institution culturelle différente : « Une autre cité dans la cité qui s’attache à inventer inlassablement de nouveaux agencements, autant qu’à proposer de nouveaux contenus artistiques », précise José‑Manuel Gonçalvès.
Une programmation foisonnante, un lieu de vie, donc, guère hanté par les fantômes. Le Centquatre a été une usine à deuil d’où sortaient quotidiennement 150 convois mortuaires. Mais pas un cimetière ! Sans pour autant renier son histoire, Bertrand Bossard raconte des anecdotes croustillantes. Et pas seulement sur les croque-morts ! Au cœur de la nef centrale, là où gravitent les amateurs, nombreux le dimanche après‑midi à pratiquer leurs activités, le comédien nous rend l’énergie palpable, nous emmenant même serrer la main des pompiers de service !
Après cette heure passée en sa compagnie, cette rue intérieure couverte d’une verrière monumentale paraît tout de suite moins impressionnante. Grâce à la proximité – pour ne pas dire la complicité – notre guide très spécial a réussi à amener les gens à percevoir une autre réalité. Derrière les apparences. Bien que déguidée, cette visite nous livre finalement tous les repères utiles pour se faire une idée plus juste de ce qu’est un des établissements culturels les plus innovants du moment. ¶
Léna Martinelli
Les Visites déguidées, de Bertrand Bossard
http://www.bertrand-bossard.com/
Mise en scène : Bertrand Bossard
Collaboration artistique : Pierre Hiessler
Avec : Bertrand Bossard
Le Centquatre • 5, rue Curial • 75019 Paris
Métro : Riquet (ligne 7) ou Stalingrad (lignes 2, 5 et 7)
Réservations : 01 53 35 50 00
Photo de Bertrand Bossard : © Marco Castro
Photo : © D.R.
Visite programmée généralement deux dimanches par mois à 15 heures
Prochaines visites : dimanche 23 décembre 2012, vendredi 1er février 2013, samedi 2 février 2013
Durée : 1 heure
8 € | 5 € | 3 €
Dès 12 ans
Traversée du site gratuite
Des visites guidées plus classiques (individuelles et de groupe) sont aussi proposées chaque semaine, autour de thématiques comme le 1 %, le projet, l’histoire du lieu. Se renseigner auprès du service des relations avec les publics : 01 53 35 50 01