« Love, Love, Love », de Mike Bartlett, Théâtre Jean Vilar, Suresnes

« Love, Love, Love » de Mike Bartlett © Pierre Nouvel

Questions de génération 

Par Bénédicte Fantin
Les Trois Coups

Nora Granovsky et sa compagnie BVZK s’emparent de « Love, Love, Love », un texte de Mike Bartlett nouvellement publié en France. Le jeune dramaturge dresse le portrait d’une famille à trois moments charnières de l’histoire britannique. Un grand écart décoiffant entre l’enthousiasme du Swinging London et la crise des valeurs contemporaine. Le tout porté par un irrésistible humour britannique !

1967 : deux frères, Kenneth et Henry, vivent à Londres, le centre névralgique de toute une génération, dont le cœur bat au rythme des tubes des Beatles. Kenneth est l’archétype de l’insouciance et des idéaux de la contre-culture. Il trouve son pendant féminin dans le personnage de Sandra, une jeune fille qui entend profiter pleinement du vent de liberté qui souffle enfin sur la vieille Albion.

1990 : nous retrouvons Kenneth et Sandra à la fin des années Thatcher. Mariés et parents de deux adolescents, le couple s’est installé dans une banlieue cossue. Les chantres de la génération Peace & Love ont finalement cédé aux sirènes du libéralisme. L’alcool coule à flots pour oublier le délitement de la cellule familiale.

2011 : le conflit générationnel éclate, nourri par un sentiment d’injustice qu’exprime Rosie, la fille. À l’approche de la quarantaine, sans compagnon ni enfants, sans situation professionnelle stable ni propriété à son nom, Rosie reproche l’insouciance mâtinée d’irresponsabilité dont ont toujours fait preuve ses baby-boomers de parents.

« Love, Love, Love » de Mike Bartlett © Pierre Nouvel
« Love, Love, Love » de Mike Bartlett © Pierre Nouvel

Les sauts temporels qui structurent la pièce sont habilement mis en scène. La musique sert de vecteur pour les transitions : chaque acte commence alors qu’un personnage est absorbé par un air – rock, new-wave ou électro, selon l’époque –, un motif qui permet à la fois de rythmer la pièce et de dater l’action.

Un écran, en fond de scène, expose la situation plus en détail sans appesantir les dialogues. Autre charme de la pièce : la famille évolue sur plusieurs décennies si bien que les personnages acquièrent une épaisseur inhabituelle. Le jeu des quatre comédiens est largement à la hauteur de l’exercice.

Contrastes hilarants

Aussi à l’aise dans les habits des jeunes idéalistes fumeurs d’herbe que des cadres de la City, Bertrand Poncet et Jeanne Lepers parviennent à conserver la dimension décalée de leur personnage, au fil des époques. Ils excellent dans le rôle de jeunes adultes légers, qui s’enivrent de liberté en plein Summer of Love. Leur jeunesse assumée donne, par la suite, une dimension comique à ces post-soixante-huitards qui se comportent comme d’éternels adolescents.

« Love, Love, Love » de Mike Bartlett © Pierre Nouvel
« Love, Love, Love » de Mike Bartlett © Pierre Nouvel

Jeanne Lepers incarne une Sandra hors normes, toujours dans des états extrêmes, le joint ou l’alcool aidant. La comédienne manie l’art de la rupture comique avec un brio déconcertant. Juliette Savary et Émile Falk sont aussi très convaincants dans leur interprétation, en frère et sœur finalement tout aussi perdus : surdoué inadapté pour l’un et musicienne ratée pour l’autre. Leur souffrance offre un contraste hilarant avec la nonchalance de leurs parents.

Enfin, le texte, d’une grande richesse, offre différents niveaux de lecture : l’épopée familiale devient la caisse de résonance des évolutions sociopolitiques du pays. Grâce à des dialogues savoureux, des personnages attachants et bien construits, Love, Love, Love évite ainsi brillamment l’écueil de la simplification historique.

Bénédicte Fantin


Love, Love Love, de Mike Bartlett

Le texte est édité chez Actes-Sud

Traduction : Blandine Pélissier et Kelly Rivière

Mise en scène : Nora Granovsky

Avec : Émile Falk-Blin, Jeanne Lepers, Bertrand Poncet et Juliette Savary

Création vidéo et scénographie : Pierre Nouvel

Création sonore : Antoine Pesle

Lumières : Fabien Sanchez

Costumes : Nora Granovsky

Régisseur général : Benoît André

Administrateur : Flavien Boisson

Site de la compagnie BVZK

Page Facebook de la compagnie

Durée : 2 h 10

Photo : © Pierre Nouvel

Théâtre Jean Vilar • 16, place Stalingrad • 92150 Suresnes

11 et 12 novembre 2017, à 18 h 30 et 15 heures

De 12 € à 23 €

Réservations : 01 46 97 98 10

Tournée

• Les 23, 24, 28 et 29 novembre 2017, Comédie de Picardie, Amiens (80)

• Les 14 et 15 décembre 2017, Centre culturel de Bruay-la-Buissière (62)

• Les 6 et 7 février 2018, Le Cratère – Scène nationale d’Alès (30)

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