« Plexus », d’Aurélien Bory, Théâtre des Abbesses à Paris

« Plexus » © Mario Del Curto

« Plexus » : la mémoire d’un corps travaillé

Par Léna Martinelli
Les Trois Coups

Après la danseuse flamenco Stéphanie Fuster dans « Questcequetudeviens ? », Aurélien Bory poursuit sa série de portraits de femmes avec la Japonaise Kaori Ito, elle-même interprète. Une expérience sensorielle à la croisée de la danse et de l’installation, la magie et la marionnette. Du grand art !

Son cœur bat la chamade… Un micro posé sur sa poitrine, Kaori Ito nous fait entendre son pouls, puis tente d’ausculter d’autres parties de son corps. D’emblée, nous voilà immergés dans l’organique. Pour dresser le portrait de cette danseuse, Aurélien Bory a en effet choisi de nous relier directement au plus intime : ses viscères, mais aussi sa passion qui l’a conduite sur les grandes scènes internationales. De l’intérieur à l’extérieur, donc, il retrace son parcours jusqu’à sa disparition. Car, sur le plateau, « de battre, son cœur finit par s’arrêter ». Et il en tire une métaphore : d’avant sa naissance (des origines) à sa dissolution dans l’espace après la mort (à une possible renaissance).

Pour ce poème métaphysique, Aurélien Bory a, une fois de plus, conçu un dispositif scénographique original : il est parti de l’idée de marionnette, dont il n’a gardé que les fils. La danseuse-acrobate évolue donc dans un cube (5 000 fils de Nylon tendus sur un plateau mobile), une aire vibratoire dense et fluctuante qui entrave ses mouvements tout en stimulant sa créativité. Habituellement, le metteur en scène élabore des formes hybrides nées d’un espace scénique sous contraintes, comme Plan B à partir d’un mur, Plus ou moins l’infini à partir de la ligne ou encore Géométrie de caoutchouc à partir d’un chapiteau. Dans Plexus, c’est la personnalité de l’artiste qui a déterminé le processus de création.

Kaori Ito, cœur battant du spectacle ! Plexus n’indique-t-il pas à la fois le mécanisme intérieur du muscle (influx nerveux et sang oxygéné) et la mécanique extérieure de la danse (entrelacements de gestes, de déplacements) ? Kaori Ito est une danseuse qui a travaillé avec de nombreux chorégraphes aux esthétiques variées. Elle a été soumise à des influences contraires, souvent tiraillée entre des choix artistiques. Ces tensions l’ont traversée, et cette expérience sensorielle nous en restitue la teneur.

La danse chevillée au corps

Dans cette cage, la femme-pantin cherche sa liberté. Sous la pluie battante, au cœur d’un cyclone, elle brave les éléments. À la voir ainsi se démener, on devine un chemin semé d’embûches. Pourtant, reconnue comme la danseuse la plus talentueuse de sa génération, celle-ci a eu une carrière fulgurante. Quittant le Japon à 18 ans, la jeune prodige a en effet poursuivi sa formation à New York, puis travaillé pour de grands noms (Angelin Prejlocaj, Philippe Decouflé, James Thierrée, Alain Platel). Beau parcours ! Cependant, il est vrai qu’elle a rompu avec les siens pour vivre totalement son art, au prix de lourds sacrifices.

Surtout, le spectacle raconte, à la façon d’un conte initiatique, la lutte continuelle pour affirmer son identité et préserver ce qui va disparaître. À un moment où Kaori Ito choisit de cesser d’être interprète pour ne plus se consacrer qu’aux chorégraphies, elle s’interroge sur le sens à donner à son existence. Elle avance tout en prenant le temps de regarder en arrière. Peu à peu, surgissent d’ailleurs des motifs récurrents liés aux mythes fondateurs du shintoïsme : le dragon, la présence des morts, le respect de ses ancêtres, l’éphémère beauté…

Un spectacle tissé dans la matière des songes

Bien sûr, la chorégraphie et la prestation de la danseuse jouent un grand rôle dans la réussite du spectacle. Kiro Ito et Aurélien Bory sont en totale osmose. Quel remarquable travail, d’autant que la lumière révèle l’invisible sans jamais dissiper le mystère des ombres. Sous l’effet des éclairages, le corps se fait étoffe, l’organique devient cosmique. Au gré des tableaux, on voit des fils de marionnette, des barreaux de prison, des filets d’eau, une forêt de lianes. Comme une peinture qui se compose en direct. C’est simplement sublime.

Avec trois spectacles en tournée, dont Azimut, la Cie 111 a le vent en poupe. Aurélien Bory est artiste associé au Grand T-Théâtre de Loire-Atlantique à Nantes, invité du T.N.T.-Théâtre national de Toulouse – Midi-Pyrénées et accompagné par le Théâtre de l’Archipel, scène nationale de Perpignan. C’est d’ailleurs grâce aux deux premières résidences que le spectacle a pu être répété, avant d’être créé au Théâtre de Vidy-Lausanne, autre soutien important. Quel succès ! Et on comprend pourquoi. Chaque nouvelle création touche en plein cœur. 

Léna Martinelli


Plexus, d’Aurélien Bory

Cie 111 • 22, rue Bertrand-de-Born • 31000 Toulouse

05 61 47 00 06

Site : www.cie111.com

Courriel : contact@cie111.com

Conception, scénographie et mise en scène : Aurélien Bory

Chorégraphie : Kaori Ito

Avec : Kaori Ito

Composition musicale : Joan Cambon

Création lumière : Arno Veyrat

Plateau et manipulation : Tristan Baudoin

Sonorisation : Stéphane Ley

Costumes : Sylvie Marcucci

Recherche et adaptation : Taïcyr Fadel

Conception technique décor : Pierre Dequivre

Réalisation décor : Atelier de la fiancée du pirate

Construction prototype : Pierre Gosselin

Machinerie : Marc Bizet

Régie générale : Arno Veyrat

Photo : © Mario Del Curto

Théâtre des Abbesses • 31, rue des Abbesses • 75018 Paris

Réservations : 01 42 74 22 77

Site du théâtre : http://www.theatredelaville-paris.com

Du 26 décembre 2014 au 4 janvier 2015, du mardi au samedi à 20 h 30

Durée : 1 heure

30 € | 27 € | 18 €

Tournée :

  • Les 22 et 23 janvier 2015 : London International Mime Festival – Sadler’s Wells, Londres (Grande‑Bretagne)
  • Les 6 et 7 février 2015 : le C.N.D.C. (Centre national de danse contemporaine), Angers (49)
  • Les 6 et 7 mars 2015 : Théâtre de Châtillon (92)
  • Les 10 et 11 mars 2015 : espace Malraux, scène nationale de Chambéry (73)
  • Les 13 et 14 mars 2015 : Hexagone, scène nationale de Meylan (38)
  • Les 18 et 19 mars 2015 : Le Toboggan – centre culturel de Décines, avec la Maison de la danse de Lyon (69)
  • Les 1er et 2 avril 2015 : Les Halles de Schaerbeek (Belgique)
  • Les 9 et 10 avril 2015 : T.J.P., centre dramatique national de Strasbourg (67)
  • Les 15 et 16 avril 2015 : Théâtre d’Orléans, scène nationale d’Orléans (45)
  • Les 21 et 22 avril 2015 : Tandem, scène nationale d’Arras (62)
  • Les 28 et 29 avril 2015 : La Passerelle, scène nationale de Saint‑Brieuc (22)
  • Les 8 et 9 mai 2015 : Le Trafo, Budapest (Hongrie)
  • Les 19 et 20 mai 2015 : Scène nationale de Saint-Quentin-en-Yvelines (78)
  • Les 29 et 30 mai 2015 : Centre des arts d’Enghien-les-Bains (95)

https://www.youtube.com/watch?v=9y_1uwZ7Mz4#t=41

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