Les constellations colorées du système scolaire
Par Laura Plas
Les Trois Coups
Bouillonnant, coloré, le nouveau spectacle des Entiché.e.s ressemble au système scolaire qu’il dépeint dans « Qu’il fait beau, cela vous suffit ». Un tableau animé, un peu caricatural sur les élèves de REP, mais kaléidoscopique et incarné. Une belle machine à émotions.
Il y a trois ans, les Entiché.e.s nous faisaient entendre les problématiques des campagnes dans Echos ruraux. Qu’il fait beau cela vous suffit est de la même veine. La proposition articule intime et collectif. Un professeur, poussé à bout, a pris en otage sa classe. À la suite de ce fait divers, une commission parlementaire pérore et le ministère envoie une de ses zélotes dans un collège REP. Avec elle, nous découvrons les microcosmes des salles de profs, des salles de classe, et un élève en particulier : Aleksander, sorte de cancre à la Prévert.
Disons plutôt « à la Aragon ». D’ailleurs, le titre de la pièce est tiré du Fou d’Elsa. Aleksander dit bien non avec la tête (avec la bouche, avec les objets qu’il fracasse aussi) mais il ne dit pas, lui, « oui, avec le cœur ». Il ne dit pas du tout. Car il est empêché de le faire : il a un secret.
En s’intéressant à cet adolescent, Mélany Charvy et Millie Duyé parviennent à échapper aux caricatures qui affleurent parfois dans leurs scènes en classes. Non que les anecdotes rapportées ne soient pas avérées, mais leur collectage crée un effet de condensation grossissant. Aleksander, c’est un gosse en prise avec une myriade d’interlocuteurs du système scolaire, mais aussi avec les attentes de sa mère à la vie trop compliquée.
Le collège comme dans une série
Le cas Aleksander permet donc d’envisager la complexité d’un processus éducatif, et nous fait entrer en empathie. Car les autrices et metteuses en scène sont de très bonnes faiseuses, comme Alexis Michalik. Elles savent mêler moments comiques et émotion, temps collectifs et duels, ménager des surprises, faire monter la tension jusqu’au dénouement. Un cours de français prendra ainsi une importance particulière. Certes, on devine parfois les ficelles, on peut anticiper des situations ou des répliques, mais globalement la dramaturgie est efficace. On se dirait souvent dans une bonne série, même si l’écriture n’est pas révolutionnaire.
Par ailleurs, la proposition est portée par une troupe dont les interprètes déploient beaucoup de dynamisme collectif. Ils sont tour à tour élèves, profs, parlementaires et font des vignettes vives, contrastées. On retiendra en particulier Etienne Toqué qui incarne notamment Aleksander, Virginie Ruth Joseph (la mère) et Paul Delbreil qui peut prêter un accent du Sud à un député RN, mais aussi une forme de douce nonchalance au CPE du collège. En outre, le spectacle est mis en valeur par l’ingénieuse scénographie d’Irène Vignaud, les lumières d’Orazio Trotta et des ponctuations musicales pleines d’énergie.
Si le spectacle ne renouvelle ni l’écriture ni les formes théâtrales, il joue de ses ressorts avec beaucoup de savoir-faire. On ne voit pas le temps passer. Généreux par sa satire du pouvoir, le regard tendre qu’il pose sur le système scolaire, il est magnifié par le poème d’Aragon qui brille comme un phare dans la représentation. 🔴
Laura Plas
Qu’il fait beau, cela vous suffit, de la cie Les Entiché.e.s
Site de la compagnie
Écriture et mise en scène : Mélany Charvy et Millie Duyé
Avec : Aurore Bourgeois Demachy, Thomas Bouyou, Émilie Crubezy, Paul Delbreil, Virginie Ruth Joseph, Clémentine Lamothe, Loris Reynaert, Étienne Toqué
Création lumière : Orazio Trotta
Création sonore : Timothée Langlois
Costumes : Carole Nobiron
Scénographie : Irène Vignaud
Durée : 1 h 40
Dès 13 ans
Théâtre du Train Bleu TBB• 40, rue Paul Saïn • 84000 Avignon
Du 7 au 25 juillet 2023 (les jours impairs) à 12 h 40
De 14 € à 20 €
Réservations sur place ou en ligne
Dans le cadre du Festival Off Avignon, du 7 au 29 juillet 2023
Plus d’infos ici
Tournée :
• Du 13 au 26 novembre 2023, L’Étoile du Nord, scène conventionnée, à Paris
À découvrir sur Les Trois Coups :
☛ Focus « Dans la boue, mais debout », le Off d’Avignon, par Laura Plas
