Mort, sexe, boisson et rigolade
Par Trina Mounier
Les Trois Coups
Dernière pièce de l’auteur israélien Hanokh Levin prématurément disparu, « Requiem » passe pour une sorte de testament théâtral. Son titre l’indique en tout cas, c’est de mort qu’il y est question, mais de cette manière loufoque qui est la marque de l’auteur. Ni la farce ni la gravité n’ont pourtant réussi à gagner notre adhésion.
La pièce emprunte, dit-on, à trois nouvelles de Tchekhov et situe son action dans une Russie traditionnelle, dans un misérable village et plus particulièrement dans la modeste isba d’un vieux fabricant de cercueils. Le pauvre homme, personnage central à travers les yeux et les mots duquel toutes les actions nous seront présentées, se plaint que l’on ne meure pas assez dans le coin, ce qui rend ses rentrées d’argent très insuffisantes. Le sort voudra que la prochaine victime de la Faucheuse ne soit autre que sa femme… Il découvre alors qu’il n’a pas été pour elle un bon mari et se pose la question de savoir dans quelle case il rangera ce cercueil-là : s’agit-il d’une dépense ou d’une recette ? Le ton est donné, toute la pièce mêlera ainsi le grotesque et le sensible.
Se succéderont des tableaux : une pauvre femme dont le bébé a été ébouillanté va le voir mourir dans ses bras ; le faiseur de cercueils emmène sa femme chez l’infirmier du hameau voisin, ivrogne et ignorant ; il emprunte la carriole qui fait le trajet entre les deux villages. Conduite par un cocher qui répète comme une litanie qu’il vient de perdre son fils, celle-ci transporte, en plus de notre héros, deux prostituées enjouées qui racontent leurs expériences et leurs compétences en matière d’odeurs, suivies de deux crétins de retour du lupanar qui se plaignent des dites odeurs… Là encore, mort, sexe, boisson et rigolade s’entremêlent. À chaque décès, trois anges chanteront des chansons et accompagner ceux qui partent.
Rit bien qui ne pleure pas encore
Difficile de trouver du Tchekhov là-dedans. Certes, les clichés sur le peuple russe sont bien présents, dans cette ivrognerie, ce goût pour la fange, ces images empreintes de religiosité, mais Tchekhov nous a semblé bien loin, malgré la mélancolie que l’on peut ressentir devant ce monde sans illusion ni espoir, qui affirme lucidement que rit bien qui ne pleure pas encore.
Certes, le décor, jouant sur les transparences, est esthétiquement réussi. Cerné de panneaux de tissus derrière lesquels passent les anges comme la carriole, il met en scène une ronde, celle de la vie qui court, qui fuit, qui disparaît. Les masques aussi sont magnifiques. L’ouverture et la clôture de ce Requiem se fait avec un petit orchestre populaire pour un accordéon, une grosse caisse, un violon, une flûte traversière.
Mais le spectacle nous laisse assez indifférents. Sans doute parce que le texte manque cruellement de subtilité, que les personnages sont si caricaturaux, les situations si invraisemblables et même le jeu des comédiens si outré qu’on reste sur le bord du chemin. ¶
Trina Mounier
Requiem, de Hanokh Levin
Requiem est extrait du recueil Théâtre choisi VI – Pièces mortelles, traduit en 2010 par Laurence Sendrowicz et publié par les éditions Théâtrales
Mise en scène : Cécile Backès
Avec Philippe Fretun, Anne Le Guernec, Pascal Ternisien, Simon Pineau, Maxime Le Gall, Félicien Juttner, François Macherey
Assistanat à la mise en scène : Pauline Jambet, Marie Normand
Scénographe : Thibaut Fack
Créateur lumière : Pierre Peyronnet
Musique, composition : Philippe Miller
Création sonore : Juliette Galamez
Costumes : Camille Pénager
Masques : Judith Dubois
Régie générale ; Martine Staerk
Régie son : Stephan Faerber
Régie plateau : Christian Menauge
Régie lumière : Milos Torbica
Photos du spectacle : © Thomas Faverjon
Production La Comédie de Béthune – C.D.N. Pas-de-Calais
Coproduction : La Comédie de l’Est – C.D.N. d’Alsace, Théâtre Olympia – C.D.R. de Tours, La Manufacture – C.D.N. de Nancy-Lorraine, Cie Les Piétons de la place des Fêtes
Avec le soutien du dispositif DIESE # Rhône-Alpes et de la SPEDIDAM (Société de perception et de distribution des droits des artistes-interprètes)
Construction du décor : l’atelier du Théâtre du Nord
Du 5 au 9 mai 2015 à 20 heures
Durée : 1 h 20
Tarifs : de 9 € à 35 €
Les Célestins • 4, rue Charles-Dullin • 69002 Lyon
Tél. 04 72 77 40 00