Richard on the rock
Par Léna Martinelli
Les Trois Coups
Thomas Jolly, la nouvelle coqueluche du théâtre, n’a pas fini de faire parler de lui ! Après son entrée fracassante, par la grande porte, avec « Henri VI », le voilà programmé à l’Odéon où il met en scène un « Richard III » dont il incarne lui-même le rôle-titre. Bluffant !
Sacré défi de camper Richard III, l’un des tyrans les plus sanguinaires du théâtre ! Après avoir interprété le duc de Gloucester (futur Richard III), à la fin de son feuilleton de dix‑huit heures qui avait embrasé Avignon, Thomas Jolly endosse le rôle monstre dans quatre heures de spectacle. Un marathonien ! Au-delà de la performance, que ressort-il de cette plongée ô combien vertigineuse dans Shakespeare ? Lui et son équipe galvanisent le public, composé en grande partie de jeunes, sous le choc. Quel est donc leur secret ?
Tout d’abord, ce trentenaire à la tête de la Piccola Familia, a l’art et la manière de raconter les histoires avec des images fortes qui happent d’emblée. Drôle de créature que ce punk emplumé surgissant des entrailles de la terre ! Difforme et cruel, Richard III incarne le chaos, figure solitaire d’un royaume au bord de l’implosion. On assiste alors à son accession au trône, mais aussi à sa chute brutale. En effet, sa folie va le précipiter au bord du gouffre, puis dans les abîmes de l’Histoire. Allégorie du mal, Richard III apparaît ici comme un pervers qui se réjouit de trahir, terroriser, assassiner tous ceux qui se mettent en travers de sa route (son frère, ses neveux, sa femme…).
Ensuite, Thomas Jolly et son équipe maîtrisent bien la dramaturgie du grand Will qu’ils commencent à connaître, forcément. Leur analyse des enjeux de la pièce et leurs partis pris sont tout à fait convaincants. Cet ange exterminateur semble tout droit sorti d’un jeu vidéo ou d’un film fantastique, avec les effets spéciaux qui vont avec, bien sûr. En même temps, ce Richard III est aussi bien ancré dans la réalité. Pour Thomas Jolly, cet antihéros est le fruit d’une société à bout de souffle, le châtiment de cette course effrénée au pouvoir qui a opposé, pendant un siècle, les Lancastre et les York dans la fameuse guerre des Deux-Roses. Transposé à notre époque, Richard III apparaît donc comme un manipulateur politique qui use des ficelles du show-business pour parvenir à ses fins. Un oiseau de proie sous des allures de rock star… Tiens, tiens ! Cela nous ferait presque penser à un possible candidat aux prochaines présidentielles : « Il me semble urgent de mettre en scène un monstre politique à l’horizon de ce qui nous attend en 2017 », explique d’ailleurs Thomas Jolly. Après avoir plumé son entourage, l’oiseau de proie finit donc par voir ses rêves de gloire partir en fumée. Il s’est brûlé les ailes.
Performance
Si ce règne est marqué par des complots, des meurtres, Thomas Jolly lui donne, ici, les moyens de le mettre en scène : concert, costumes d’apparat, paillettes et tout le tintouin. Provocante en diable, la première partie s’achève sur l’interprétation d’un titre électro-punk tonitruant et les ovations du public qui légitiment ainsi le couronnement. Ni vu ni connu, je t’embrouille ! Comme en politique, Richard III profite d’un moment de stupéfaction générale, pour atteindre ses buts. Et, du même coup, la Piccola Familia piège les spectateurs. Démoniaque !
Surtout, c’est un bon show. Même si c’est très lent à démarrer, le spectacle tient le rythme grâce à des enchaînements bien maîtrisés. Grand amateur de Games of Thrones et de Star Wars, Thomas Jolly sait ménager des moments de suspens et distiller l’humour, plutôt sur le mode ironique. Les plages d’intensité dramatique alternent avec les divertissements et scènes épiques. Dommage que l’on n’entende pas toujours le texte, à cause de la musique, trop forte. Pour autant, la poésie ne passe pas à la trappe, grâce à de bonnes idées de mise en scène, ainsi qu’une scénographie inventive : les praticables transforment le plateau en deux temps deux mouvements, les costumes sont une grande réussite, les accessoires bien choisis, les effets sonores très efficaces, l’éclairage exceptionnel. Faisceaux lumineux et rayons laser sculptent littéralement l’espace et jamais de façon gratuite. Éblouissant !
Ainsi, Thomas Jolly parvient à mettre en lumière, comme pour Henry VI, une œuvre complexe, la rendant accessible sans la dénaturer. Rodé à un théâtre sur le vif et qui saisit l’air du temps, il soigne le plus infime détail et sait prendre des risques. Il fonce, quitte à se planter. Il ne fait pas vraiment dans la dentelle. Néanmoins, il assume ses choix, et ça tient la route. Les comédiens braillent, ils déclament même, comme jadis. Pourtant, à aucun moment, ils ne lâchent le morceau. Et celui-ci (le texte) est de taille ! Voilà donc un théâtre populaire de haute tenue qui contribue à renouveler le public des salles de spectacle, ce qui n’est pas le moindre de ses mérites. ¶
Léna Martinelli
Lire aussi « Richard III », de William Shakespeare, Opéra Grand-Avignon (critique no 2), mise en scène de Thomas Ostermeier.
Lire aussi « Richard III », de William Shakespeare, la Comédie de Saint-Étienne, mise en scène de Laurent Fréchuret.
Lire aussi « Richard III », de William Shakespeare, Opéra Grand-Avignon à Avignon, mise en scène de Thomas Ostermeier.
Lire aussi « Richard III », d’après William Shakespeare, Théâtre de Belleville à Paris, mise en scène de Margaux Eskenazi.
Lire aussi « Richard III », de William Shakespeare, Théâtre 13/Seine à Paris, mise en scène de Jérémie Le Louët.
Lire aussi « Richard III », de William Shakespeare, espace Sarah‑Bernhardt à Goussainville, mise en scène de David Gauchard.
Lire aussi « Richard III », de William Shakespeare, Théâtre des Treize‑Vents à Montpellier, mise en scène de Jean‑Claude Fall
Lire aussi « les Trois Richard », d’après « Richard III » de William Shakespeare, Printemps des comédiens à Montpellier, mise en scène de Dan Jemmett.
Lire aussi « les Reines », de Normand Chaurette, d’après « Richard III » de William Shakespeare, Théâtre Douze à Paris, mise en scène d’Aude Ollier.
Richard III, de William Shakespeare
Texte français : Jean‑Michel Déprats
Adaptation : Thomas Jolly et Julie Lerat‑Gersant
La Piccola Familia • 20, rue Alasace-Lorraine • 76000 Rouen
Contact : Dorothée de Lauzanne
Tél. 07 63 10 45 53
Courriel : contact@lapiccolafamilia.fr
Site : http://www.lapiccolafamilia.fr/
Avec : Damien Avice, Mohand Azzoug, Étienne Baret, Bruno Bayeux, Nathan Bernat, Alexandre Dain, Flora Diguet, Anne Dupuis, Émeline Frémont, Damien Gabriac, Thomas Germaine, Thomas Jolly, François‑Xavier Phan, Charline Porrone, Fabienne Rivier et en alternance Jean Aviat, Bilal Foot, Maya Colombani, Lucie Cormier, Jeanne Daffix, Blaise Desailly, Garance Hamon, Gaspard Martin Laprade, Yoko Moy, Basile Thévenin
Création lumière : François Maillot, Antoine Travert et Thomas Jolly
Musiques originales et création son : Clément Mirguet
Création costumes : Sylvette Dequest, assistée de Fabienne Rivier
Création vidéo : Julien Condemine, assisté d’Anouk Bonaldi
Photo : © Nicolas Joubard
Odéon – Théâtre de l’Europe • place de l’Odéon • 75006 Paris
Réservations : 01 44 85 40 73
Site du théâtre : http://www.theatre-odeon.eu
Du 6 janvier au 13 février 2016, du mardi au samedi à 19 h 30, dimanche à 15 heures, relâche les lundi, dimanche 10 et 24 janvier
Durée : 4 h 30 (avec entracte)
De 6 € à 40 € (séries 1, 2, 3, 4)
https://www.youtube.com/watch?v=BSvaHiC071U
https://www.youtube.com/watch?v=2pl7md8uVV8
https://www.youtube.com/watch?v=Mq6Va_YtIPc
Tournée :
- Le 26 février 2016, Scène nationale d’Évreux, à Louviers
- Les 18 et 19 mars 2016, l’Onde à Vélizy-Villacoublay
- Les 24 et 25 mars 2016, Comédie de Caen-centre dramatique national de Normandie
- Les 31 mars et 1er avril 2016, Théâtre Liberté, à Toulon
- Du 6 au 10 avril, Théâtre national de Toulouse – Midi-Pyrénées
- Du 17 au 20 mai 2016, les Célestins à Lyon
- Les 25 et 26 mai, Théâtre de Cornouaille à Quimper
Reprise
Le Grand T à Nantes
Mercredi 15 mars 2017 à 19 heures, jeudi 16 mars à 19 heures, vendredi 17 mars à 19 heures, samedi 18 mars à 19 heures, lundi 20 mars à 19 heures, mardi 21 mars à 19 heures
http://www.legrandt.fr/spectacles/richard-iii
02 51 88 25 25