Saison estivale 2020 à la Maison Maria Casarès, à Alloue

Maison-Maria-Casares © Christophe-Raynaud-de-Lage

Alloue, ou l’art de se réinventer 

Par Laura Plas
Les Trois Coups

Visite contée, goûter, apéro ou dîner-spectacle : la Maison Maria Casarès a ouvert ses portes pour la cinquième année, déjà. Gardienne de l’esprit des lieux, mais défricheuse de sentes insoupçonnées, la compagnie du Veilleur nous y lance une insolite et gourmande invitation au partage.

La beauté et le calme d’un lieu peuvent-ils consoler des plus grandes peines ? Maria Casarès fit en tout cas l’acquisition du domaine d’Alloue à la mort de Camus. C’est dans ce lieu retiré de Charente où les chevreuils osent s’aventurer si près des hommes, où des arbres centenaires semblent se pencher pour nous protéger de la touffeur estivale, qu’elle se retirait. Sa belle âme semble aujourd’hui encore murmurer dans le domaine et faire écho au chant de la Charente. Elle rassérène. Le pas lent des visiteurs qui, absorbés, arpentent le domaine, en témoigne.

En charge du lieu depuis 2017, la compagnie du Veilleur a su entendre cette petite musique fantomatique. Ses aménagements du domaine en ont respecté les mystères, l’aspect buissonnier et folâtre. Les propositions artistiques cultivent, de même, clins d’œil et références à la grande comédienne. Mais le lieu n’est heureusement pas un mausolée confit en dévotion et immobilité. Comment en aurait-il pu être ainsi quand on songe à la liberté, à la marginalité de Maria Casarès ?

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« Les Noces », de Samira Sedira © Christophe Raynaud de Lage

Si Matthieu Roy et Johanna Silberstein ont cultivé un art de vivre et de recevoir, ils ont su aussi faire dialoguer la mémoire du lieu avec notre présent. Ainsi, cette année, toutes les activités (spectacles, dégustations, visite) sont proposées en extérieur. Pas de risque de contamination dans ce vaste domaine, pas de contrainte non plus d’étouffer sempiternellement sous un masque. Les tables sont organisées sous les ramages des arbres par îlots et un plan est dressé pour que nos proches soient nos seuls commensaux. Ainsi, dans ce cadre idyllique, pouvons-nous, peut-être, trouver, comme Maria Casarès, une forme de consolation, mêlée à la joie de retrouver le chemin des lieux de spectacle.

Un jardin aux sentiers qui bifurquent

La programmation a, elle aussi, changé. Si, comme les années passées, elle se déroule bien sur toute la journée de 15 heures à 19 h 30, elle est cette fois entièrement tout public, et renouvelée. Même la visite contée, dont le texte de Remi de Vos avait déjà été proposé en 2017 a fait peau neuve. On la suit désormais comme une confidence chuchotée à l’oreille : sous un casque. Elle fait déambuler dans des paysages bucoliques et d’étranges espaces scénographiés. La contrainte sanitaire a en effet conduit à recomposer des pièces imaginaires à l’aide des meubles de la maison. Or, ce déplacement induit à son tour une sorte de dépaysement du spectateur, apporte un certain trouble, à l’instar du texte de la visite qui associe de manière déconcertante didactisme et facétie.

On éprouve un étonnement analogue face à la proposition jeune public Deux Rien. Pour la première fois, Alloue fait la part belle à l’expression corporelle. Pas un mot ! Tout passe par les mimiques des deux très bons interprètes : leurs belles mains transmettent toute une palette de sentiments comme elles font naître le vol d’un oiseau, ou l’éveil d’un émoi. Le spectacle trouve dans un théâtre de verdure un bel écrin, car les bruits de la nature font percevoir la qualité du silence des spectateurs. Certes, la proposition n’est pas toujours évidente. On a l’impression que son cœur balance : chorégraphie ou histoire ? Clodos beckettiens ou gamins facétieux ? Chaque spectateur en décidera. Et si le tempo est parfois un peu alangui, c’est le moment où les petits se blottiront dans des bras de leurs parents ou grands-parents. Dans un spectacle poétique qui flotte entre rêverie et prosaïsme, cette douceur a ses charmes.

Esprits du lieu, esprits facétieux

Et l’on n’est pas au bout de ses surprises. Voici d’abord, pour faire bonne bouche à l’heure de l’apéro, Prodiges ® : un texte délicieux de Mariette Navarro, dont la verve acide rafraîchit, mais qui, comme un bon vin, révèle d’autres saveurs plus sombres et subtiles. Nous voici conviés à l’initiation d’une jeune femme moderne par deux pimpantes démonstratrices chevronnées dans l’art de vendre des boîtes en plastique. L’écriture de Mariette Navarro crée tout un monde vintage et coloré dont elle se rie. Les trois actrices, superbes d’ironie et d’intelligence, en mettent en évidence les nuances. Matthieu Roy sait, quant à lui, revisiter sa mise en scène en fonction du lieu et de l’ère post-covid. Un petit festin doux amer.

Prodiges-Mariette-Navarro-Compagnie-du-Veilleur © Christophe Raynaud de Lage.jpg
« Prodiges », de Mariette Navarro © Christophe Raynaud de Lage

Si Mariette Navarro ou Rémi de Vos ont fait leur chemin dans le petit royaume des auteurs dramatiques, il n’en est pas tout à fait de même de Samira Sedira, plutôt connue pour ses récits. Et, justement, ce n’est pas la moindre des qualités de la compagnie du Veilleur que de faire entendre sa voix, portée par une jeune compagnie prometteuse : Maurice et les autres.

Cette jeune pousse cultivée en terre d’Alloue toute l’année porte de magnifiques fruits. Les Noces, désopilant texte écrit pour Alloue, bruisse des rumeurs du temps présent. Il mêle satire et sentiments. Comme chez Tchekhov, la noce est en effet l’occasion de péripéties et d’excès, d’aventures abracadabrantes, que portent avec talent les trois interprètes. Changeant de rôles, comme de défroques, jouant ou cassant les codes du jeu grâce à la malicieuse mise en scène de Jeanne Desoubeaux, les comédiens sont aussi chanteurs et le musicien se révèle un excellent acteur.

La valeur n’attend décidément pas le nombre des années ! C’est donc en beauté et en musique que se termine la soirée à Alloue. Il ne reste plus qu’à partager sa joie autour d’une table en dégustant les mets préparés par Romain Portelli : tout un art aussi. 

Laura Plas


Deux Rien ?, de Clément Belhache et Caroline Maydat

Mise en scène et interprétation : Clément Belhache et Caroline Maydat

Création sonore : Michael Bugdahn

Durée : 50 minutes

À partir de 3 ans

Compagnie Comme Si

Du 27 juillet au 20 août 2020, du lundi au vendredi à 16 h 30 (ouverture exceptionnelle le 15 août)

5 € (goûter compris dans les jardins du domaine)

Teaser

Prodiges ®, de Mariette Navarro

Le texte est paru aux Éditions Quartett

Mise en scène : Matthieu Roy

Avec : Aurore Déon, Caroline Maydat, Johanna Silberstein

Costume : Marine Roussel

Durée : 50 minutes

Tout public

Du 27 juillet au 20 août 2020, du lundi au vendredi à 18 h 30

5 € (apéro inclus dans les jardins du domaine)

Présentation du texte par l’auteur

Les Noces, de Samira Sedira

Mise en scène : Jeanne Desoubeaux

Avec : Arthur Daniel et Cloé Lastère et, à la musique : Jérémie Arcache (en alternance avec Martial Pauliat)

Costumes : Marion Duvinage

Durée : 1 heure

Tout public

Du 27 juillet au 20 août 2020, du lundi au vendredi à 19 h 30

25 € (dîner inclus concocté par Romain Portelli) / tarif enfant jusqu’à 12 ans : 10 €

Site de la compagnie

Les Fantômes d’Alloue : visite contée de la maison Maria Casarès par Rémi de Vos

(disponible aussi en version anglaise dans une traduction de Katherine Mendelsohn)

Mise en voix : Matthieu Roy

Avec la voix de Johanna Silberstein

Durée : 45 minutes environ

Du 27 juillet au 20 août 2020, du lundi au vendredi de 15 heures à 18 heures en continu (ouverture exceptionnelle le 15 août)

5 €

Maison Maria Casarès • Domaine de la Vergne • 16490 Alloue

Site de la maison

Site de la compagnie du Veilleur

Réservations : 05 45 31 81 22

Courriel de réservation de la maison Maria Casarès

Toutes les distances de sécurité sont respectées et les spectacles ont lieu en plein air


À découvrir sur Les Trois Coups :

Martyr, de Marius von Mayenburg, Théâtre de l’Idéal à  Tourcoing, par Sarah Elghazi

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Saison estivale 2017 à la Maison Maria Casares à Alloue, par Léna Martinelli

Un soir d’été à la Maison Maria Casarès, par Laura Plas 

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