Que sacrifions-nous ?
Par Juliette Nadal
Les Trois Coups
Lors de sa quatrième semaine, le festival Impulstanz à Vienne propose deux spectacles faisant réfléchir sur nos sacrifices. Akram Khan et Dada Masilo retravaillent tous deux des œuvres célèbres, à la recherche de ce que nous abîmons ou abandonnons dans nos vies.
Avec Jungle book reimagined, Akram Khan revisite l’une de ses œuvres de prédilection. Le Livre de la jungle de Rudyard Kipling est transposé dans un futur proche (à moins qu’il ne soit déjà en route) : Mowgli est une réfugiée climatique, une enfant de l’Asie du Sud Est contrainte de fuir son pays enseveli par les eaux. Elle échoue dans une grande ville abandonnée des humains, mais occupée par les animaux qui les ont divertis ou servis. Bagheera, panthère albinos ayant grandi dans un palace, Baloo, vieil ours de foire, les Bandar-log, bande de singes déglingués par les expériences de laboratoire, et tous les autres (loups, girafes, éléphants) échappés de leur captivité dans les zoos, recomposent une nouvelle jungle. Pour Mowgli, le défi est celui des enfants de demain : comment trouver une place dans ce monde dévasté par les hommes ?
Akram Khan et sa talentueuse équipe interprètent ce conte moderne dans un fabuleux écrin. Les images d’animation projetées sur des écrans de tulle (œuvre d’Adam Smith de YeastCulture) jouent de différentes profondeurs de champ et d’effets de transparence, créant une remarquable osmose avec la performance des danseurs. Et quelle performance ! Leurs corps animent avec une incroyable expressivité toute la faune qui joue cette histoire, sur une bande son composée de textes et de musique originale (incrustant des extraits tristement célèbres des discours de Greta Thunberg).
Formidable dualité
À l’instar de tout mythe, le Livre de la jungle s’interroge sur des aspects essentiels de l’humanité. Les singes de laboratoire, qui ont pris possession des sièges de l’Assemblée, nous tendent un miroir terrifiant. Elevés parmi les hommes, ils régurgitent ce qu’ils ont appris, jingles publicitaires ou divagations politiques. Ils n’aspirent plus qu’à devenir complètement humains en parvenant à maîtriser le feu. Perspective inquiétante et moment de jeu formidable où danseurs / acteurs et film d’animation dialoguent avec fluidité. Est-ce cela devenir humain, comme ce chasseur qui rôde et qui tue ? La métamorphose des corps sur la scène nous interroge sur notre propre sauvagerie latente.
Russie versus Afrique
Dada Masilo, de son côté, cherche, dans The Sacrifice, à développer l’intrigue du Sacre du printemps pour « raconter une histoire plus importante ». « Que sacrifions-nous dans nos vies quotidiennes ? », s’est-elle demandée au début du travail. Cela donne finalement une pièce à part entière, mêlant danse contemporaine et danses africaines. C’est ainsi qu’elle avait déjà revu de grands ballets classiques, comme le Lac des Cygnes ou Giselle.La chorégraphe sud-africaine travaille cette fois à partir des danses du Botswana, utilisées traditionnellement pour la narration et la guérison, sur une musique originale jouée en direct.
Stravinsky et Nijinski sacrifiés ? Malgré la qualité des danses et de la musique, La première partie du spectacle peine à nous emmener. Effet de l’éloignement culturel du spectateur européen avec les danses du sud de l’Afrique ? Difficile de trancher. En revanche, l’émotion éclot et nous submerge dans la seconde partie. La jeune fille est choisie se débat. Danses rituelles, jupes blanches sur corps noirs, immense et sublime voix d’Ann Masina. Plus que cela, même. La superbe chanteuse au corps plantureux vient prendre la jeune sacrifiée dans ses bras, la tient fermement. Prêtresse ou divinité, elle achève les dernières résistances du petit corps frêle en chantant sa douleur. Arrachement sublime. Grâce mystérieuse du rituel, qu’il soit russe ou africain. 🔴
Juliette Nadal
Jungle book reimagined, d’Akram Khan Company
Site de la compagnie
Mise en scène / Chorégraphie : Akram Khan
Scénariste : Tariq Jordan
Scénographie : Miriam Buether
Direction artistique et direction de l’animation : Adam Smith (YeastCulture)
Concepteur lumière : Mickael Hulls
Compositeur : Jocelyn Pook
Concepteur sonore : Gareth Fry
Avec : Lucia Chocarro, Tom Davis Dunn, Harry Theadora Foster, Thomasin Gülgeç, Max Revell, Matthew Sandiford, Pui Yung Shum, Fukiko Takase, Holly Vallis, Vanessa Vince-Pang, Luke Watson, Jan Mikaela Villanueva
Voix des acteurs : Tian-Lan Chaudhry, Joy Elias-Rilwan, Pushkala Gopal, Dana Haqjoo, Nicky Henshall, Su-Man Hsu, Kathryn Hunter, Emmanuel Imani, Divya Kasturi, Jeffery Kissoon, Mavin Khoo, Yasmin Paige, Max Revell, Christopher Simpson, Pui Yung Shum, Holly Vallis, Jan Mikaela Villanueva, Luke Watson, 3rd year students of Rambert School
Durée : 130 min
Dès 10 ans
Burgtheater, Vienne (Autriche)
Du 23 au 26 juillet 2022
Dans le cadre du Festival Impulstanz
Tournée ici
• Du 15 au 17 décembre, Théâtre de Caen
• Le 15 mars 2023, Espace des Arts, à Châlon-sur-Saône
À découvrir sur Les Trois Coups :
☛ Xenos, d’Akram Khan, par Léna Martinelli
☛ Outwitting the Devil, d’Akram Khan, par Lorène de Bonnay
The Sacrifice, de Dada Masilo / The Dance Factory
Site de la compagnie
Chorégraphie : Dada Masilo
Composition et musique :Tlale Makhene, Ann Masina, Leroy Mapholo, Nathi Shongwe
Avec : Dada Masilo, Sinazo Bokolo, Refiloe Mogoje, Thandiwe Mqokeli, Lwando Dutyulwa, Thuso Lobeko, Steven Mokone, Lebo Seodigeng, Tshepo Zasekhaya, Songezo Mcilizeli
Costumes : David Hutt
Extraits du spectacle
Burgtheater, Vienne (Autriche)
Du 23 au 26 juillet 2022
Dans le cadre du Festival Impulstanz
Tournée ici :
• Le 5 novembre, Théâtre des Salins, à Martigues
• Du 15 au 17 novembre, Bonlieu Scène Nationale, à Annecy
• Les 1er et 2 décembre, Points communs, à Cergy-Pontoise
• Du 7 au 10 décembre, Théâtre de la Villette, à Paris
• Le 13 décembre, Théâtre de Suresnes Jean Vilar
• Les 15 et 16 décembre, Théâtre de Saint Quentin en Yvelines
• Du 25 au 28 janvier 2023, Théâtre de Caen