« Sens Dessus Dessous », André Dussollier, théâtre des Bouffes Parisiens, Paris

Sens-Dessus-Dessous-André-Dussollier © Pauline- Maillet

Un voyage enchanteur au pays des mots

Par Florence Douroux
Les Trois Coups

Dans son nouveau seul-en-scène, « Sens Dessus Dessous », André Dussollier met sous les feux de la rampe des textes de tous horizons, petits chefs d’œuvre à qui il redonne vie, cohérence, importance. Une pépite à découvrir au théâtre des Bouffes Parisiens.

Tout commence par une projection en fond de scène. Fureur de la ville, toute époque confondue, ses calèches, ses métros, son agitation. Puis un couloir d’étage, une porte d’appartement. Voici notre homme chez lui, dans le refuge d’une solitude retrouvée avec bonheur. André Dussollier déboule sur scène, comme on se précipite au but : « tout seul enfin ! », jubile-t-il face au public.

C’est le début de la pièce Un soir quand on est seul, jouée par Sacha Guitry en juin 1917 dans ce même théâtre. Cet hymne à la liberté, « cette exquise liberté » est le fil conducteur du spectacle. Il en donne l’humeur et en révèle l’humour. « Quelqu’un qui n’a pas d’humour est un type qui ne va pas bien », déclarait Raymond Devos, à qui le comédien emprunte le titre d’un recueil et celui d’un sketch, Sens Dessus Dessous.

« Donner vie et cohésion »

Après Monstres sacrés, sacrés monstres (Roland Dubillard), les Athlètes dans leur tête (Paul Fournel), et Novecento (Alessandro Baricco), c’est le quatrième seul en scène d’André Dussollier. Il livre cette fois une anthologie personnelle, un recueil de textes choisis d’horizons épars. « Certains de ces textes sont en moi depuis toujours, j’en ai découvert d’autres au fil de mes rencontres, c’est un voyage inattendu au pays des mots accompagnés d’images projetées, d’une ambiance sonore et lumineuse » explique-t-il.

Un voyage au pays des mots, en effet. Le comédien vole d’un texte à l’autre, le joue, le mime, le sculpte de sa voix familière et de ses intonations toujours justes, totalement habité, l’intelligence et la malice chevillées au corps. Il passe d’une époque et d’une écriture à l’autre, égrenant les mots qu’il aime, à l’aise, comme d’habitude, dans chaque registre. Son vœu : assembler ces textes, sans les nommer, les expliquer ; simplement « leur donner vie et cohésion ».

Un dispositif vidéo avec hologrammes, conçu par Sébastien Mizermont, séquence le spectacle avec beaucoup d’élégance. Il permet au comédien de converser avec la reine d’Espagne (voix de Sarah Bernhardt !) en Ruy Blas éperdu, de se livrer à sa propre interview, avec L’Écrivain souterrain, de Dubillard, ou encore de s’assoir sur le banc des sportifs, au milieu d’un stade immense, pour interpréter le merveilleux Lanceur de marteau d’André Fournel.

Chaque texte est enveloppé comme un bijou : décors projetés permettant à l’imaginaire de s’évader ailleurs, tout de suite, sans effort, musique souvent inattendue (d’un prélude de Bach au générique d’Apostrophes), ni trop discrète, ni trop présente, magnifique travail aux lumières de Laurent Castaingt…Non, rien n’est à redire.

Les uns et les autres : une réunion au sommet !

Ainsi, Devos, Dubillard, Hugo, Baudelaire ou encore Paul Fournel, André Frédéric et Paul Vilbert sont-ils, ensemble, conviés à cette réunion au sommet. Des mots surgissent dans la lumière. « Quand on les dit, quand on les vit, ils prennent tout leur relief, ils acquièrent toute leur ampleur » raconte le comédien.

Comme toujours, sa façon de faire est agile. Pas d’insistance, pas de fioriture, pas d’effets de prétoire. Le trait n’est jamais forcé. Mais qu’il est persuasif ! Sa conviction – intime et sincère- nous fait, immanquablement, entrer dans sa chapelle. « Le fond est encore plus important que la forme », raconte-t-il, « il y a la musique des mots, mais elle vient presque après le sens ». Ce n’est pas qu’une formule : le comédien nous livre des histoires, nous incite, avec lui, à entrer dans le vif. Au-delà de la beauté formelle de ces textes, il en cherche le cœur. Là est peut-être l’une des clés de réussite du spectacle.

© Christophe Raynaud de Lage

Sens Dessus Dessous, on attendait ce sketch vedette du grand Devos. André Dussollier s’y lance joyeusement, nous entraînant dans son sillage à bride abattue, pour nous conter l’aventure : drôle sans en rajouter, simplement parce que le sketch l’est. Quel formidable hommage !

Puis il se glisse dans les dialogues de sourd des Diablogues avec un naturel déconcertant, visiblement ravi de jouer la partition de deux clowns perdus dans leur univers poétique de l’absurde. Avec la même délectation contagieuse, il nous livre sa version pleine de charme de « la Chose et le mot », de l’abbé Gabriel Charles de l’Attaignant. Réjouissant !

Séquences émotions

Peut-être est-ce dans les moments graves que le spectacle atteint son Éverest ? Une grève, un ciel qui se fait menaçant, les pas d’un homme sur le sable. Nous voici projetés dans Les Misérables. L’homme s’enlise. « La bouche crie, le sable l’emplit ; silence. Les yeux regardent encore, le sable les ferme ; nuit. Puis le front décroit, un peu de chevelure frissonne au-dessus du sable ; une main sort, troue la surface de la grève, remue et s’agite, et disparaît. Sinistre effacement d’un homme ». La magie hugolienne surgit, et, d’un mot d’un seul, chope le public, encore dans les cocasseries du texte précédent (La pénitence est douce, d’André Vilbert).

© Pauline Maillet

Le poème sublime, le Crapaud (Victor Hugo encore), certainement l’un des sommets du spectacle, a trouvé comédien à sa hauteur. Tout l’art Dussollien est à l’œuvre. Nous y sommes : le crapaud torturé, ce « noir martyr » ; l’ornière boueuse ; le baudet « harassé, boiteux et lamentable ». La lumière du couchant. L’âne va-t-il faire le pas de côté pour épargner le crapaud ? Le temps s’est arrêté sur cette question. En cet instant, tout est là. Nous sommes saisis, captifs de ce récit, suspendus à chaque mot. « Le crapaud se traînait au fond du chemin creux / C’était l’heure où des champs les profondeurs s’azurent ».

Accrocher l’attention du public avec une telle intensité est rare. André Dussollier a cette magie. Il n’est qu’à se rappeler ce monologue culte du d’une dizaine de minutes qu’il jouait dans le film Mélo d’Alain Resnais. Sans doute était-il filmé de façon magistrale, mais il fascinait. Ici, pas de caméra amoureuse de son comédien : Il n’y a que lui et nous. Et c’est un enchantement. 🔴

Florence Douroux


Sens Dessus Dessous, d’André Dussollier

Conception, réalisation et interprétation : André Dussollier
Collaboration artistique : Catherine d’At
Scénographie et vidéo : Sébastien Mizermont-VLB
Lumières : Laurent Castaingt
Assistant lumières : Thomas Giubergia
Illustration sonore : Cyril Giroux
Accessoires : Pauline Stern
Costume, chef habilleur : Hervé Delachambre
Assistant mise en scène : Arthur Giusi Périer
Régisseur général : Laurent Rabourdin
Régie son et vidéo : Aurélien Raimbault et Tanguy Le Hir
Régie lumière : Maxime Lecoq
Poursuite : Jacques Jacquemin
Durée : 1 h 30

Théâtre Des Bouffes Parisiens • 4, rue Monsigny • 75002 Paris
Du 18 janvier au 25 mars 2023, du mardi au samedi à 20 heures, dimanche à 15 heures
De 10 € à 60 €
Réservations : 01 86 47 72 43 ou en ligne

À découvrir sur Les Trois Coups :
Novecento, d’Alessandro Barrico, interprété par André Dussollier, par Trina Mounier
J’ai des doutes, de François Morel, par Léna Martinelli

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