Tout est à vendre
Par Laura Plas
Les Trois Coups
Tableau féroce et farcesque de l’Europe marchandisée, « Solitaritate » interpelle (et dérange) par sa pertinence. Un beau travail que l’on ne peut malheureusement apprécier qu’à moitié si l’on veut suivre les surtitres.
Ancien directeur du Théâtre de l’Odéon, Olivier Py a su cette année ouvrir le festival vers la jeunesse, le Grand Avignon mais aussi l’Europe. Il programme ainsi un auteur et metteuse en scène roumaine qui n’a pas attendu le nombre des années pour être publiée aux éditions Actes Sud et jouée sur les grandes scènes européennes : Gianina Cărbonariu.
C’est cependant la première fois que sa dernière création, Solitaritate, est jouée en France. Elle y traite de la désintégration de l’espace public sous les coups de butoir des intérêts privés, des mirages du modèle européen et, plus généralement, de désespoir, de cupidité… avec une acuité et une férocité remarquables. Il y a de la farce dans ce théâtre qui fait se relever les morts bouffis d’orgueil, qui fait rire de la noirceur de politiciens véreux, de fils vénaux. Gianina Cărbonariu sait forcer le trait pour toucher dans le mille.
Miroir, terrible miroir, dis-moi…
Et si son théâtre se nourrit d’une matière documentaire récoltée en Roumanie, c’est un miroir cruel qu’elle nous tend. Nous sommes tous des Roms roumains. Nous sommes tous des futurs exclus, les créanciers de nos proches appauvris, des gueux bientôt incapables de payer les soins de nos enfants. Car tout est à vendre. La grande braderie a commencé (et se trame dans notre dos avec le traité Transatlantique).
D’ailleurs, le public est sans cesse pris à partie, invité à sortir de son apathie consentante. Cela commence par une incursion des acteurs dans le public, mais cela se poursuit avec des adresses au public constantes, un jeu de face et en avant-scène. Entre la scène et la salle, pas de quatrième mur : la scène est l’image de la salle. Il y a d’ailleurs quelque chose de baroque dans une pièce qui file à l’envi la métaphore du monde comme théâtre. Baroques le sont aussi l’esthétique de la discontinuité, la scénographie souvent monumentale, le goût de l’excès.
Si seulement on pouvait vraiment en profiter, jouir du beau travail de troupe de comédiens au jeu précis ! Mais il faut choisir… En effet, pour des raisons scénographiques, les traductions en anglais et en français se trouvent sur les côtés de la scène. Or, le texte de Solitaritate est extrêmement riche, on a du mal à tout lire. Quant à déchiffrer et regarder ce qui se passe au centre de la scène, cela relève parfois de la prouesse. Ce n’est sans doute pas une raison pour quitter sa place au moment où les comédiens viennent saluer et pour se comporter comme les pires consommateurs de culture ! Certains se sentiraient-ils visés ? En tout cas, à l’Est, il y a bien quelque chose de nouveau. ¶
Laura Plas
Solitaritate, de Gianina Cărbonariu
Éditions Actes Sud-Papiers et L’Espace d’un instant
Écriture et direction : Gianina Cărbunariu
Scénographie et vidéo : Andu Dumitrescu
Costumes : Andrei Dinu
Musique : Bogdan Burlăcianu
Chorégraphie : Florin Fieroiu
Avec : Florin Coşuleţ, Ali Deac, Diana Fufezan, Adrian Matioc, Mariana Mihu, Ofelia Popii, Cristina Ragos, Ciprian Scurtea, Marius Turdeanu
Photo de Gianina Cărbonariu : © D.R.
Gymnase du lycée Mistral • 80, boulevard Raspail • 84000 Avignon
Réservations : 04 90 14 14 14
Site du festival : http://www.festival-avignon.com
Du 19 au 27 juillet 2014, à 14 heures, relâche le 23 juillet
Durée : 1 h 55
28 € | 22 € | 14 €
Spectacle en roumain surtitré en français et en anglais