« Soudain la nuit », d’Olivier Saccomano, gymnase du lycée Mistral à Avignon

« Soudain la nuit » © Christophe Raynaud de Lage / Festival d’Avignon

Contemporain,
dans tous les sens du terme

Par Céline Doukhan
Les Trois Coups

Troisième partie du cycle « Spectres de l’Europe » entamé par la compagnie du Zieu, « Soudain la nuit » déconcerte et laisse un peu perplexe.

Le plateau présente un aspect plutôt insolite : il est en grande partie occupé par des rangées de chaises pliantes, tournées dos au public. L’ambiance est anxiogène, plombée par un glacial camaïeu de gris, option métallisé, qui recouvre les chaises, les grands panneaux sur lesquels apparaissent des images de ville en noir et blanc et même les vêtements des protagonistes. Les lumières aussi sont froides : rien ne vient réchauffer cet endroit qu’on comprend être une salle d’« observation » dans un aéroport. Que font les personnages ? Ils arrivent, se déshabillent et puis ils attendent (et nous avec…). Pendant dix minutes de silence et d’immobilité très progressivement perturbée par quelques infimes mouvements, ceux de l’impatience, de l’interrogation. Ils sont en fait en présence d’un médecin et de ses deux assistants, employés par l’aéroport : un passager de leur vol est décédé peu après l’atterrissage et tous sont confinés dans ce lieu. « Bienvenue en Europe ! », leur lance alors, ironique, le praticien (Cédric Michel, qui rugit tout le temps).

La pièce est fortement ancrée dans l’actualité, avec une séquence très forte dans laquelle une jeune femme en sous-vêtements (interprétée par Laurence Claoué, très bien) se livre, sur un ton hystérique, à un exposé en règle sur la décollation. L’ombre de la mort et surtout des terroristes de tout poil plane ainsi sans cesse. Dans une note, Nathalie Garraud et Olivier Saccomano expliquent qu’au moment de l’écriture, le présent était dominé par le virus Ebola et l’émergence de l’État islamique : les deux thèmes se retrouvent en effet, à peine voilés, dans la pièce. Un personnage réclame une aspirine, et le voici qui doit subir un véritable interrogatoire sur sa santé. Mais le doute finit par s’insinuer dans l’esprit du spectateur. Et cette toux persistante chez ce jeune homme, ne serait-ce pas le signe de… ? Sans compter le « Je suis Chahine » répété par le médecin, on ne peut plus évocateur.

Un monde hanté par des peurs

L’ambiance est donc au constat négatif d’un monde hanté par des peurs parfois irrationnelles. Le contexte de l’aéroport, à la fois lieu d’ouverture et d’enfermement, est propice à l’exacerbation de ces terreurs.

La tonalité sombre du texte est cependant émaillée de traits d’humour noir. Une jeune femme se porte volontaire pour être mangée en cas de décès. Chacun est invité à réserver le morceau de son choix. « C’est très gênant, elle est encore en vie », souligne une de ses collègues, qui finit par opter pour les abats.

De même, la fin est bizarrement lyrique. Les personnages, ayant enfin revêtu des habits colorés, forment un tableau vivant évoquant le Radeau de la Méduse, au son de la Symphonie no 5 de Mahler. Ils rhabillent le docteur, qui s’était dévêtu et allongé par terre. Quel est le sens de tout ceci ? En tout cas, ainsi se termine Soudain la nuit, objet théâtral éminemment contemporain par sa forme et son propos. 

Céline Doukhan


Soudain la nuit, d’Olivier Saccomano

Cie du Zieu

www.duzieu.net

Conception : Nathalie Garraud et Olivier Saccomano

Mise en scène : Nathalie Garraud

Avec : Julien Bonnet, Laurence Claoué, Mitsou Doudeau, Laure Giappiconi, Cédric Michel, Florian Onnein, Conchita Paz, Charly Totterwitz

Scénographie : Jean-François Garraud

Lumières : Guillaume Tesson

Costumes : Sarah Leterrier, assistée de Sabrina Noiraux

Vidéo : Camille Lorin

Son : Hugues Laniesse

Assistanat : Steven Cayrasso

Photo : © Christophe Raunaud de Lage / Festival d’Avignon

Gymnase du lycée Mistral • 84000 Avignon

www.festival-avignon.com

Réservations : 04 90 14 14 14

Du 5 au 12 juillet 2015 à 15 heures, relâche le 8 juillet

Durée : 1 h 30

28 € | 22 € | 14 € | 10 €

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