« Orgon » de Molière
Par Olivier Pansieri
Les Trois Coups
Et de Braunschweig pourrait-on dire, comme on le fit pour Planchon, Mnouchkine ou Gotscheff. Pierres blanches que ces architectes de l’imaginaire ont apportées à ce monument d’intelligence qu’est « Tartuffe ». Divergeant des précédents, celui de Stéphane Braunschweig fait, on va le voir, d’Orgon le personnage principal. Et Molière dans tout ça ? Mais il est là, ne vous déplaise, et même un peu là ! Veuillez nous suivre à l’Odéon, théâtre national de l’inquiétude… et de l’Europe.
Quelle joie déjà de retrouver pour la deuxième saison cette salle refaite à neuf de fond en comble. Notamment la scène, avec son invisible machinerie, ici magistralement utilisée. Pour une fois qu’on comprend à quoi servent nos impôts !…
Orgon est en voyage, et pendant son absence il s’en passe de belles ! Ça boit, ça flirte, ça regarde un film porno « et c’est tout justement la cour du roi Pétaut », comme le dira bientôt Madame Pernelle. Cette première image dure si peu qu’on croit l’avoir rêvée. Ensuite, elle se dissipe, et tout se passe « comme si de rien n’était ». N’empêche, le décor est planté. Sa blancheur, son dépouillement, ses fenêtres haut perchées, tout évoque Port-Royal, le sexe comme affaire d’État.
Je me débarrasse tout de suite de ce qui m’a moins plu. Christophe Brault qui fait de son Cléante un moulin à paroles un peu lénifiant et Pauline Lorillard qui « retient » beaucoup son Elmire. On a fort bien compris qu’elle voulait nous montrer le feu sous la glace. Tout de même, on aurait aimé un peu plus de feu et un peu moins de glace. Ces deux restrictions faites, quel grand Tartuffe !
Rarement Mariane fut aussi vraie, touchante, exaspérante. Julie Lesgages l’a construite avec un art consommé. Même chose pour Claire Wauthion (Madame Pernelle), Clément Bresson (Tartuffe), Thomas Condemine (Valère), Sébastien Pouderoux (Damis), qui tous donnent à leur rôle profondeur et subtilité. Annie Mercier, quant à elle, campe une Dorine impériale. Quelle grande idée d’en avoir fait cette nounou qui, au fil des ans, a pris ses aises dans cette famille étrangement actuelle !
En face de sa rondeur débraillée, l’ascétisme d’Orgon n’en paraît que plus malsain, risible et, paradoxalement, celui d’un vilain jouisseur. À la fois patient et médecin, ce psychanalyste de lui-même a trouvé en Claude Duparfait son interprète idéal. De ses colères de faible à ses trépignements de puceau de la vie, il est prodigieux.
Je crois même que c’est la première fois que je crois vraiment à cette tocade d’un homme par ailleurs avisé pour une petite frappe. Ce n’est ni Dieu ni (seulement) ce troublant jeune homme qu’il a rencontrés, mais l’autohédonisme pour rester poli. Pour la première fois de sa vie, Orgon « jouit » de son pouvoir. Que cela fasse le malheur de toute sa famille, il s’en branle. Littéralement.
Comme d’habitude avec Braunschweig, décor et mise en scène sont indissociables. Saluons-en la rigueur et la force. À titre d’exemple, cette croix rapportée comme cadeau à son protégé, qui sera l’unique accessoire (et témoin) de leur chute. Ou ce fauteuil de psychanalyste, où vont s’asseoir à tour de rôle les deux vrais adversaires de cette relecture : Dorine la metteuse en scène de l’harmonie perdue, Orgon le spectateur néronien de son propre désastre.
Mention spéciale à ce propos pour ce soudain et stupéfiant affaissement du décor, tandis que Tartuffe se prépare à recevoir Elmire. Le bruit de ses talons claquant sur les marches restera à jamais dans nos mémoires. De même cette Mariane, du coup réellement au bord du gouffre. Ou le cauchemar d’Orgon descendu, c’est le cas de le dire, au tréfonds de lui-même. Du très grand théâtre à ne manquer sous aucun prétexte. ¶
Olivier Pansieri
Tartuffe, de Molière
Théâtre national de Strasbourg
Mise en scène et scénographie : Stéphane Braunschweig
Avec : Jean‑Pierre Bagot, Christophe Brault, Clément Bresson, Thomas Condemine, Claude Duparfait, Julie Lesgages, Pauline Lorillard, Annie Mercier, Sébastien Pouderoux, Claire Wauthion, et la participation de François Loriquet, Odile Lauria Padilla, Daniel Masson
Assistantes à la mise en scène : Célie Pauthe, Leslie Six
Costumes : Thibault Vancraenenbroeck
Équipe technique du T.N.S. : Bruno Bléger, Daniel Masson
Création lumières : Marion Hewlett
Son : Xavier Jacquot
Collaboration artistique : Anne‑Françoise Benhamou
Collaboration à la scénographie : Alexandre de Dardel
Maquillages et coiffures : Émilie Vuez
Photo : © Élisabeth Carecchio
Odéon, Théâtre de l’Europe • place de l’Odéon • 75006 Paris
Métro : Odéon
Réservations : 01 44 85 40 40
Du 17 septembre au 25 octobre 2008, du mardi au samedi à 20 heures, dimanche à 15 heures, relâche lundi
Durée : 2 heures
30 € | 15 € | 7,50 €
Tournée :
- Du 6 au 16 novembre 2008 à Lille
- Du 22 au 26 novembre 2008 à Annecy
- Du 4 au 10 décembre 2008 au T.N.T. de Toulouse