Théâtre, ma plus belle histoire d’amour
Par Laura Plas
Les Trois Coups
Entrer dans une salle obscure, y découvrir des comédiens : notre cœur a battu de ces retrouvailles. Deux spectacles que nous avons vus : « Tchaïka », aux Doms, et « Le Cabaret des absents », au Théâtre 11, magnifient cet amour si mystérieux et si puissant pour le théâtre.
Au crépuscule de sa vie, une vieille actrice s’apprête à quitter les planches. Elle a été reine d’Elseneur dans Hamlet, la voilà déchue. Dans la Mouette qu’elle s’apprête à jouer comme un adieu, elle ne sera plus Macha, ni Nina, mais Arkadina, cette actrice déjà âgée que son amant délaisse pour une jeune-fille. La voilà esseulée dans un théâtre, dont le fin travail sur les lumières et une scénographie dépouillée font déjà une sorte de caveau.
Seule ? Il nous faut rectifier. De l’obscure profondeur de la scène surgissent comme des spectres les rôles que la comédienne a joués. Par ailleurs, de son maigre bagage Tchaïka, exhume quelques objets : livre ou peluche qui prennent vie pour lui donner la réplique. Ils sont de pauvres Trigorine ou Konstantin de substitution. Mais le ridicule de ces accessoires démontre a contrario la richesse de la manipulation. Par ailleurs, ils créent des contrepoints comiques à la tonalité nostalgique du spectacle.
Enfin, et c’est surtout de là, nous semble-t-il, que le spectacle puise sa force, Tchaïka est poursuivie par une ombre : sa servante fidèle et son double. Des jupons de la vieille femme émerge ainsi un corps juvénile, celui sans doute de l’actrice quand elle était jeune. Elle a le beau visage régulier de Tita Iacobelli, dont la manipulation est assez impressionnante. La marionnettiste nous fait entendre la douleur de vieillir et un amour entêté pour le théâtre. Coûte que coûte, il faut jouer la Mouette et surtout cet étrange monologue écrit par Konstantin sur l’anéantissement du monde. Celui de Tchaïka ?
« Tchaïka » est « la mouette » (en russe). Non, elle est une actrice et la pièce de Natacha Belova et Tita Iacobelli une ode au théâtre autant qu’un lamento mis en valeur par le travail sur l’ombre et la lumière.
Un théâtre en partage, pour ceux qui ne poussent pas ses portes
On retrouve cet amour du théâtre dans le joyau poétique que François Cervantès a conçu à partir de l’histoire incroyable mais vraie du Théâtre du Gymnase. Condamné en 1980, le théâtre est, en effet, sauvé par un milliardaire que les parents avaient conçu dans le ventre chaud du bâtiment un soir d’orage. Une ouvreuse leur avait offert asile. Il est ensuite dirigé par un homme passionné, jusqu’à être menacé une nouvelle fois. Il faut résister à la fatigue, à la nuit, pour aller voir ce que François Cervantes fait de cette histoire d’amour merveilleuse : une composition chorale et fantaisiste pour cinq interprètes, un texte-monde troué par des numéros fabuleux.
Sous sa plume, émerge une cité des bords de mer. On y croisera mille et un personnages. On les quittera pour les retrouver, parfois, comme dans un poème de Prévert. Il faut redoubler d’attention pour ne pas perdre le fil et certains, sans doute, abdiqueront… à tort. Car à qui lui donne sa chance, le spectacle donne des récompenses au centuple. Les cinq comédiens, tous touchants par leur singularité, suffisent à peupler un plateau nu. C’est la magie du théâtre que tout advienne par des mots et leur simple présence.
Au cœur de cette épiphanie se trouve un théâtre, justement. Des personnages y dorment, l’un y trouve sa vocation, un autre trouve refuge dans les étoffes de ses malles, un désopilant couple clownesque y mange. En fait, François Cervantes convie dans son texte le peuple de ceux qui ne vont jamais voir de spectacle. Mais les comédiens, qu’il met en scène dans des numéros souvent muets, semblent leur donnent des raisons de changer d’avis. Car leur cabaret, poétique et souvent drôle, abonde en numéros aussi beaux que ceux que Joël Pommerat a pu nous offrir : ceux par exemple, d’une chanteuse géante, d’un slameur étrange ou d’un chanteur serti de paillettes. François Cervantes retrouve aussi ses clowns géniaux : Catherine Germain, en tête, et puis un oiseleur enchanteur, un magicien des liens, un réfugié magnifique.
Allez donc les découvrir pour retrouver cet émoi qui fait la beauté rare du théâtre. Pour rire, rêver, fêter la poésie. ¶
Laura Plas
Tchaïka, librement inspiré de la Mouette d’Anton Tchekhov
Mise en scène : Natacha Belova et Tita Iacobelli
Avec : Tita Iacobelli
Durée : 1 heure
À partir de 12 ans
Théâtre des Doms • 1bis, rue des Escaliers Saint-Anne • 84000 Avignon
Du 5 au 27 juillet 2021 à 21 heures (relâches les 8, 15, et 22 juillet)
Dans le cadre du festival Off d’Avignon
De 7 € à 10 €
Réservations : 04 90 14 07 99
Le Cabaret des absents, de François Cervantes
Écriture et mise en scène : François Cervantes
Avec : Théo Chédeville, Louise Chevillotte, Emmanuel Dariès, Catherine Germain, Sipan Mouradian, Sélim Zahrani
Durée : 1 h 45
À partir de 12 ans
Théâtre 11• 11, boulevard Raspail • 84000 Avignon
Du 7 au 29 juillet 2021 à 22 h 30 (relâches les 12, 19, et 26 juillet)
Dans le cadre du festival Off d’Avignon
De 8 € à 20 €
Réservations : 04 84 51 20 10
À découvrir sur Les Trois Coups :
☛ L’École des ventriloques, d’Alejandro Jodorowski, festival mondial des théâtres de marionnettes, à Charleville-Mézières, par Olivier Pradel
☛ Les Clowns, de François Cervantes, Théâtre Jean Arp à Clamart, par Lena Martinelli
☛ Derniers coups de cœur, festival Off à Avignon, par Laura Plas