« Tout entière », Guillaume Poix, Entretien, Réjane Bajard, L’Entrepôt, Festival Off Avignon 2023

Réjane-Bajard-Tout-entière-Guillaume-Poix

En négatif

Par Juliette Nadal
Les Trois Coups

Jeu trouble entre une photographe de légende et une comédienne, « Tout entière » de Guillaume Poix est un double autoportrait. Le metteur en scène Olivier Maurin fait jouer Réjane Bajard avec le fantôme de Vivian Maier. Entretien avec l’interprète.

Comment est né le désir de cette pièce ?

Au départ, la pièce a été écrite pour une comédienne, à partir de son histoire et de celle de la photographe Vivian Maier. L’idée est de faire se superposer deux intimités, de voir comment on fantasme nos propres vies, comment on s’invente et se représente, surtout aujourd’hui, dans notre monde de médias. Est-ce que je contrôle mon image ?

Pour aller jusqu’au bout de la démarche, on a demandé à l’auteur s’il voulait adapter le texte à mon histoire. Il a accepté de le changer, pour aller au bout de l’enquête et des questions que je me posais en tant que mère, artiste, femme. Au-delà de toutes les représentations et de tous les modèles que l’on accumule : quelle femme je suis, là, aujourd’hui ?

La pièce n’est donc pas, à proprement parler, une pièce biographique sur Vivian Maier ?

Non, ce n’est pas un biopic. C’est un jeu. L’histoire d’une comédienne qui enquête sur Vivian Maier pour l’interpréter. Vivian Maier est une femme extraordinaire, bizarre. On en sait ce que l’on en dit, à travers notamment le documentaire de John Maloof, À la recherche de Vivian Maier, et de la biographie d’Ann Marks. Elle souffrait de syllogomanie, un trouble qui fait que les personnes ont des difficultés à jeter les objets. Son appartement était rempli à cause de cette manie de conserver.

Cela rejoint sa façon de photographier. Mais elle n’est pas une artiste d’art brut. Elle était très consciente de son art et savait développer les photos. Elle en a tiré certaines, mais la plupart l’ont été après sa mort, quand on a découvert les pellicules accumulées.

N’y a-t-il pas un paradoxe à vouloir mettre en scène celle qui a voulu rester cachée ?

Dans la seconde partie de la pièce, la comédienne joue à interpréter Maier qui garde des enfants. L’actrice s’amuse avec cette personnalité marginale. Et là, il se passe un véritable coup de théâtre auquel on ne s’attend pas et que vous découvrirez si vous venez voir le spectacle.

La pièce est une mise en abyme qui pose la question de l’acteur, de la fiction, de ce qu’un comédien utilise du personnage pour se raconter lui-même. Le texte de Guillaume Poix est très fort, toujours à double ou triple entrée. Il utilise mon histoire pour poser la question de la fiction ; il va loin dans ce qu’il dit et ça vient me heurter en tant que personne.

© Laurent Nembrini

Voyez-vous des similitudes dans votre démarche artistique et celle de Vivian Maier ?

Pour prendre ses photos, Vivian Maier était obligée de rentrer dans l’espace vital des gens, pour ses portraits notamment. C’est assez gonflé, surtout pour l’époque, et elle va assez loin. Parfois c’est même assez trash. Mais ce que la pièce raconte, avec Guillaume Poix et Olivier Maurin, c’est la relation avec les gens; on arrive à entrer dans l’intimité des gens.

Comment s’est passé le travail avec le metteur en scène, Olivier Maurin ?

On a d’abord beaucoup travaillé sur le texte, qui est dense. On n’a pas trouvé tout de suite la forme du spectacle. C’est une construction lente. Olivier n’impose rien. Il laisse à l’actrice le temps de trouver son chemin et la forme se trouve au fur et à mesure, par la nécessité. On se parle beaucoup, il raconte des histoires et l’ensemble sédimente. Mais le centre, c’est l’acteur.

Dans le texte, Guillaume Poix légende les photos de Vivian Maier, il les interprète. On n’a pas besoin de les présenter, cette illustration serait redondante. C’est le principe énoncé par Bob Wilson :  « Si vous posez un chandelier baroque sur une table baroque, les deux disparaissent. On ne voit ni l’un ni l’autre. Si vous posez un chandelier sur un rocher dans la mer, vous commencez à voir ce que c’est. »

Tout entière ne raconte pas tellement Vivian Maier, mais le personnage mystérieux, ce qu’on veut en faire, ce qu’on dit d’elle et de son œuvre. Car on ne peut pas s’empêcher de raconter des choses. Cela fait écho avec notre monde d’aujourd’hui, où on se raconte et on raconte tout le temps les autres. On entre dans la question de la fiction et de l’authenticité. 🔴

Juliette Nadal


Tout entière, de Guillaume Poix

Le texte est édité chez Editions Théâtrales
Site de la Plateforme Locus Solus
Conception et jeu : Réjane Bajard
Mise en scène : Olivier Maurin
Scénographie : Andréa Warzee
Son : Mathilde Billaud
Dès 14 ans

L’Entrepôt • 1, ter Boulevard Champfleury • 84000 Avignon
Du 7 au 29 juillet 2023 (relâche le 10, 17, 24) à 18 h 35
De 12 € à 19 €
Réservations : 04 90 86 30 37 ou en ligne

Dans le cadre du Festival Off Avignon, du 7 au 29 juillet 2023
Plus d’infos ici

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