« Trust », un projet de Falk Richter et Anouk Van Dijk, cour du lycée Saint‑Joseph à Avignon

Trust © Christophe Raynaud de Lage

Falk Richter : êtres sans gravité

Par Fabrice Chêne
Les Trois Coups

Falk Richter est à l’honneur cette année à Avignon : après « My Secret Garden » à la salle de Montfavet, voici, dans la cour du lycée Saint-Joseph, « Trust », fruit d’une collaboration avec la chorégraphe Anouk Van Dijk. Ce spectacle ambitieux a été créé en octobre 2009 par la Schaubühne de Berlin, dont l’écrivain allemand est aussi le metteur en scène associé.

Falk Richter n’est pas inconnu du public avignonnais. Les festivaliers se souviendront que Stanislas Nordey avait proposé en 2008 une création à partir de l’œuvre au long cours Das System. Trust, présenté cette année, est typique de la démarche de l’auteur allemand, qui aime en effet s’entourer d’artistes amis pour des créations collectives faisant intervenir danse, musique ou vidéo. Il retrouve pour l’occasion Anouk Van Dijk, avec qui il a déjà créé Nothing Hurts en 2000.

De ce point de vue, Trust est une vraie réussite. Entre les comédiens de la Schaubühne de Berlin et les danseurs de la compagnie d’Anouk Van Dijk, l’osmose est parfaite. Les danseurs jouent, les comédiens dansent, sans qu’aucune démarcation ne soit perceptible. S’appuyant sur la scénographie très sobre de Katrin Hoffmann, les deux metteurs en scène créent un espace dans lequel vont pouvoir s’exprimer les artistes exceptionnels qu’ils ont réunis (au premier rang desquels, à défaut de pouvoir les citer tous, signalons Anouk Van Dijk elle-même, ainsi que Judith Rosmair). Fluidité aérienne des mouvements, rythme impeccable des enchaînements : élégance et légèreté sont les deux mots qui viennent à l’esprit pour qualifier un spectacle qui est un vrai plaisir pour les sens.

« Les flux financiers et le moi qui se noie. »

L’écriture de Richter est une écriture de l’urgence qui se tient à l’écoute du monde. Trust est né d’une interrogation : que deviennent les rapports humains dans notre contexte de crise ? Quel effet la crise a-t-elle sur nous, sur les rapports entre les sexes, plus généralement entre les êtres ? Qu’est-ce qui se perd quand la confiance (« trust ») n’est plus là ? « Les flux financiers et le moi qui se noie » : lorsque l’économie vacille, ce sont toutes les relations humaines qui sont fragilisées, nous dit Richter. Si la thèse d’un lien entre libéralisme et désengagement amoureux n’est pas neuve, s’y ajoute l’idée d’une perte de sens liée à la déréalisation des échanges, qu’ils soient financiers ou sentimentaux. Comme si le virtuel désormais omniprésent fragilisait encore un peu plus les relations humaines.

C’est sur un mode ludique que se développe le texte, par sa forme éclatée qui ne dessine nulle narration : succession discontinue de monologues, parfois de courts dialogues (la plupart du temps en allemand, parfois en anglais), qui disent la solitude des êtres, le dérèglement des conduites, l’incompréhension généralisée, l’impossibilité de construire sur le long terme. « Je suis comme l’argent, répète une des comédiennes, tous veulent m’avoir et beaucoup, mais je n’arrive tout simplement pas à rendre quelqu’un heureux. » Ces êtres inconséquents au comportement imprévisible ont des vies légères comme des bulles de savon : ils se croisent, se téléphonent, passent d’un avion à l’autre, s’adonnent en toute insouciance au consumérisme. En même temps, ils s’excusent beaucoup d’être ce qu’ils sont, et oscillent entre révolte et humour, comme cet homme et cette femme qui s’interrogent de façon récurrente, incapables de se souvenir combien de temps ils ont vécu ensemble.

« Je crois que je suis en train de m’effondrer »

La chorégraphie épouse le texte au plus près, en parfaite symbiose avec lui : les mots traversent les corps, qui vivent les mots et les traduisent dans leur propre langage. Les danseurs, privés d’assise, tombent constamment des fauteuils montés sur roulettes qui encombrent le plateau. Debout, ils ne tiennent pas non plus sur leurs jambes, comme si le sol se dérobait sous leurs pieds. « Je crois que je suis en train de m’effondrer, tout simplement », constate un personnage, qui semble vivre dans sa chair la menace qui pèse sur le système financier capitaliste. À d’autres moments, les corps, au comble de l’instabilité, se cherchent, se frôlent, s’évitent, ou s’enlacent brièvement sans parvenir à se retenir plus de quelques secondes…

Ces corps égarés sont aussi des corps épuisés, des corps sans force n’ayant rien à quoi se raccrocher. Trop épuisés pour changer les choses ? S’il s’en tenait au diagnostic de l’insoutenable futilité de notre époque, le texte semblerait un peu trop univoque. Le final en forme de choral est plus optimiste et semble faire signe vers une solidarité possible, par-delà la fatigue et la résignation. 

Fabrice Chêne


Trust, un projet de Falk Richter et Anouk Van Dijk

Texte publié chez L’Arche éditeur

Schaubühne Berlin • Lehniner Platz – Kurfürstendamm 153 • D ‑ 10709 Berlin

www.schaubuehne.de

Mise en scène et chorégraphie : Falk Richter et Anouk Van Dijk

Avec : Peter Cseri, Anouk Van Dijk, Lea Draeger, Jack Gallagher, Vincent Redetzki, Judith Rosmair, Kay Bartholomäus Schulze, Stefan Stern, Nina Wollny et Malte Beckenbach (musique)

Scénographie : Katrin Hoffmann

Costumes : Daniela Selig

Dramaturgie : Jens Hillje

Lumière : Carsten Sander

Photo : © Christophe Raynaud de Lage

Cour du lycée Saint-Joseph • rue des Lices • 84000 Avignon

Réservations : 04 90 14 14 14

www.festival-avignon.com

Du 17 au 19 juillet 2010 à 22 heures

Durée : 1 h 45

27 € | 21 € | 13 €

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