Une émotion attendue
Par Alicia Dorey
Les Trois Coups
Dans cette pièce phare du grand dramaturge Wajdi Mouawad, l’immense talent de Grégori Baquet résiste difficilement à l’écueil de la facilité.
Un obus dans le cœur est l’histoire d’un drame auquel chaque homme se voit un jour confronté : la mort de sa mère. Les appels nocturnes sont rarement bon signe : lorsque Wahab est réveillé en pleine nuit par ce son qu’il connaît bien, il devine que sa maman agonisante est en train de vivre ses dernières heures. Il se lève mécaniquement, s’habille, et sort affronter le froid et la neige pour rejoindre l’hôpital. Sur le trajet, Wahab nous rapporte pêle-mêle des souvenirs de sa jeunesse : la guerre, le visage maternel qui un jour lui est devenu étranger, la peur, et le poids étouffant d’une famille dont il supporte mal les épanchements de douleur quelque peu mélodramatiques. Arrivé sur place, il dépeint avec humour ce lieu aseptisé et faussement accueillant, aux murs recouverts de dérisoires décorations de Noël.
Comme toujours, le texte du Libano-Québécois Wajdi Mouawad fait écho à tous les autres. Les inconditionnels y retrouveront des motifs devenus incontournables, tels que la tempête de neige ou le bus incendié. Et toujours ces thèmes de la filiation et de l’exil, si chers à l’auteur, ici rendus moins violents que dans le roman dont la pièce est issue, Visage retrouvé. Publié chez Actes Sud Junior, et donc destiné à un lectorat adolescent, Un obus dans le cœur n’a pas la densité tragique des autres écrits de Wajdi Mouawad. On se heurte cette fois à un registre pathétique et à une émotion facile dont le texte ne sort que trop rarement. Qu’à cela ne tienne, il reste difficile de ne pas être remué aux larmes en entendant les souvenirs de petit garçon de Wahab. L’innocence avec laquelle est décrite l’horreur de la guerre, dans un Liban dont le nom n’est jamais cité, est absolument bouleversante, et confère aux mots une portée universelle.
Un ton parfois larmoyant
On peut saluer le superbe travail de lumières de Philippe Lacombe, qui parvient à abolir toute distance entre nous et la scène en nous offrant une immersion dans l’univers étouffant du personnage. Grâce à un subtil jeu d’éclairage, on sentirait presque le froid de l’hiver québécois, la chaleur du bus enflammé, l’odeur de la chair qui brûle et celle de la salle d’attente.
Ceux qui connaissent et aiment les textes de Wajdi Mouawad ne pourront que reconnaître le talent de Grégori Baquet, extrêmement convaincant dans le rôle du fils hanté par les fantômes du passé. Cependant, comme face à toutes les pièces unanimement encensées par la critique, il est difficile de ne pas se montrer intransigeant. Un obus dans le cœur ne fait pas exception, et l’on est quelque peu déçu par l’absence de complexité du protagoniste, qui use et abuse d’un ton parfois larmoyant et nous sert du pathos sur un plateau. Le panel des émotions ressenties est extrêmement riche, et pourtant l’ensemble manque de nuance. On sait d’avance que l’on va voir se succéder la tristesse, la colère puis la rédemption sur le visage du personnage, et nous attendons patiemment que l’une arrive pour chasser l’autre. En somme, nous ressortons de la représentation avec le sentiment de s’être retrouvé face à une machine un peu trop bien huilée. ¶
Alicia Dorey
Un obus dans le cœur, de Wajdi Mouawad
Mise en scène : Catherine Cohen
Avec : Grégori Baquet
Lumières : Philippe Lacombe
Scénographie et vidéo : Huma Rosentalski
Son : Sylvain Jacques
Photo : © Ifou pour le Pôle média
Vingtième Théâtre • 7, rue des Plâtrières • 75020 Paris
Réservations : 01 48 65 97 90
Site du théâtre : www.vingtièmetheatre.fr
Métro : ligne 2, arrêt Ménilmontant
Les 16, 23 et 30 septembre 2015 à 20 heures
Durée : 1 h 10
25 € | 20 € | 13 €