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« Circus incognitus », de Jamie Adkins, Théâtre de la Cité‐Internationale à Paris

« Circus incognitus » © Amanda Russell

Jamie Adkins, rateur d’élite

Par Olivier Pansieri
Les Trois Coups

Le Théâtre de la Cité-Internationale accueille jusqu’à la fin du mois « Circus incognitus » de et par Jamie Adkins. Le clown qui rate ses numéros à la perfection. Un très grand artiste.

Entré comme par effraction dans le noir, il commence par chercher où s’allume la scène ! Tout Adkins est là, dans cette feinte découverte des choses les plus simples. Une chaise, un grand carton, une valise, un pied de micro (sans micro), une échelle, un tambour, retrouvent, à son contact, leur véritable fonction, qui est de brimer l’homme. Les nombreux bambins de la salle (jusqu’à 12 ans, les veinards ne paient que 5 euros !) ne s’y trompent pas. Avec ce sens très sûr de la métaphysique, ils ont compris que Jamie Adkins parle d’eux, c’est-à-dire de nous. Il faut entendre une petite voix s’écrier, toute joyeuse : « Il est bloqué ! », quand Jamie découvre qu’il s’est lui-même enfermé dans le grand carton où est tombé le texte qu’il voulait nous lire.

Inutile d’ajouter qu’on ne l’entendra jamais, ce beau discours. C’est tout juste si notre empoté émet, à chaque catastrophe, un petit rire gêné, comme pour dire « Ne vous inquiétez pas, je vais y arriver ». Adkins, c’est la vaillance, un personnage à la Beckett, qui garderait espoir. Même quand les choses se compliquent, ici constamment. Feuille de papier, balles, chapeau, vêtements, accessoires, tout lui échappe et se met à rebondir, rouler, pencher, glisser, ou tenir tout seul, dès qu’il s’en saisit. Une petite fille a beau lui crier : « Il est là ! », en lui montrant le micro, qui effectivement gît au jardin. Lorsque Jamie le ramasse et tire sur le fil, c’est pour découvrir qu’il n’est pas branché. Et quand il a trouvé l’autre bout, et qu’enfin le son fonctionne, voilà qu’une balle de ping-pong se coince en sortant de sa bouche. Un pet, c’est tout ce qu’on entend.

S’ensuit un désopilant numéro de jonglage involontaire, au cours duquel notre pince-sans-rire enfourne, puis fait sauter jusqu’à cinq balles au-dessus de sa tête. On rit autant qu’on s’extasie. Reste la question de la veste, que Jamie se demande à quel clou suspendre, puisque le plateau est vide. Justement, il y a deux poteaux, plantés au fond de la scène. Le plus simple, se dit Jamie, est de tendre une corde entre eux, d’y grimper, et là, d’accrocher sa veste au poteau le plus proche. Belle occasion pour lui de revisiter l’inusable gag de l’échelle, auquel il donne un coup de jeune, en la disloquant. On ne va pas vous décortiquer l’implacable logique par laquelle il finit par se retrouver, en équilibre instable, sur le fil, en chemise, et jonglant avec des anneaux. C’est faramineux.

Le plaisir de le voir « louper » son exploit

Rompu, dès son plus jeune âge, aux techniques du théâtre de rue, puis de la piste (il a notamment fait ses classes avec le légendaire Cirque du Soleil canadien), ce fan de dessins animés possède la grâce, et la classe, d’un Buster Keaton. Qu’il fasse l’oiseau ou la brute, du hula-hoop avec sa chaise ou un cache-sexe de son chapeau, reçoive des spectateurs des oranges, qu’il leur a distribuées (rassurez-vous, il se protège, et c’est tordant), ou essaie de grimper à l’échelle de corde, qu’il tient à deux mains devant lui, c’est chaque fois un plaisir de le voir « louper » son exploit, tant celui-ci est absurde. La palme revient à cet instant où il voudrait monter vite à l’échelle avant qu’elle ne retombe, et, en même temps, créer le suspense, au moyen de ce roulement de tambour dont le cirque raffole. Si, comme moi, vous aviez horreur de ce procédé un rien roublard, vous voilà vengé !

Quelle bonne idée Pascale Henrot a eu de programmer ce quasi-inconnu en France dans sa grande salle, bourrée à craquer de petits et de grands, tous hilares. Je sais que vous préférez aller au spectacle, par critique interposé, douillettement installés derrière vos écrans. Je vous conjure cependant de faire une exception pour cette fois, parce qu’un spectacle comme celui-là, au fond, ne se raconte pas. Il se vit, et pour cela, il faut mettre vos écharpes, rafler tous les mioches que vous pourrez, et aller vous émerveiller, eux comme vous, à cette féerie sans strass ni paillettes. Celle d’un grand clown, doublé d’un magicien et d’un poète. 

Olivier Pansieri


Circus incognitus, de Jamie Adkins

Mise en scène : Jamie Adkins

Avec : Jamie Adkins

Lumière : Nicolas Descoteaux

Costume : Katrin Leblond

Musique : Lucie Cauchon

Musicienne : Anne-Marie Levasseur

Photo : © Amanda Russell

Théâtre de la Cité-Internationale • 17, boulevard Jourdan • 75014 Paris

Réservations : 01 43 13 50 50

www.theatredelacite.com

Du 5 au 29 janvier 2012, mercredi et jeudi à 19 heures, vendredi et samedi à 20 heures, dimanche à 16 heures

Durée : 1 h 10

21 € | 14 € | 10 € | moins de 12 ans 5 €

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