Aux sources obscures du conte
Par Laura Plas
Les Trois Coups
Avec « Félix », Christophe Laluque nous offre un conte à l’opposé d’une « disniaiserie » : une histoire à voir dans un envoûtement, à écouter pour la beauté du verbe et de la partition sonore, et à interroger en famille pour tenter d’appréhender les troubles qu’elle engendre.
Vous cherchez un spectacle « Macdo », où tout finit bien, où rien ne questionne : beaucoup de bruit, de chansons, de couleurs pour pas grand-chose, un spectacle sucré bien vite oublié ? Dans ce cas n’allez pas voir la nouvelle création jeune public de l’Amin Compagnie Théâtrale. Car Félix est un spectacle dont on sort hanté. À coup sûr, il donnera même lieu à des discussions, notamment sur la famille.
En effet, avec ces deux textes qui sont mêlés dans le spectacle, Robert Walser est remonté à la source des contes, avant que Perrault ou Disney ne viennent les revisiter. Avec lui, on retrouve le temps passionnant et horrifique des croque-mitaines, des forêts profondes, des maisons emplies de despotes et de pas si belles mères que ça !
La scénographie et la mise en scène distinguent bien les lieux archétypaux : la maison est figurée sur scène par le simple jeu des acteurs, tandis que l’ailleurs, tout à la fois délicieux et dangereux, surgit par la magie de projections. Mais on retrouve aussi des personnages traditionnels de conte : figures d’oppression ordinaire et enfant extraordinaire.
Félix, petit cousin de Don Quichotte et du Vilain petit canard est bien de cette engeance. Trop grand pour son corps d’enfant, il ne trouve sa place ni dans une cour de récréation, ni en classe, ni chez lui. Il apparaît autant comme un monstre que comme un héros. De toute façon, si Félix était un héros, ce serait un héros trop discret, incapable de parler avec les autres. S’il était un héros, ce serait au sens où il teste les limites (les siennes mais aussi celles des autres), quitte à jouer à des jeux fort dangereux.
La clé des songes de Félix
La force du texte et de la mise en scène est de nous offrir la clé des songes et pensées de ce petit monstre, ce qui nous oblige, en quelque sorte, à adopter un temps son regard sur le monde. Il devient notre protagoniste, à moins que nous ne devenions Félix, dans une troublante identification. Ce jeu est rendu possible par la qualité de l’interprétation de Remi Fortin. Sa finesse et sa présence sont d’ailleurs magnifiées par le travail de la lumière, presque expressionniste de Jacques Duvergé. Mais l’ensemble des comédiens compose une partition très maîtrisée où la diction et les déplacements nous amènent, après quelques scènes un peu excessives sur la représentation de l’enfance, en territoire d’étrangeté. Car le petit monde de Félix est loin d’une verte prairie : on y croise la délation, les châtiments corporels, l’autoritarisme.
À l’écoute d’une langue poétique souvent corsetée, comme le monde qu’elle dépeint, parfois lardée d’expressions violentes qui sourdent, la mise en scène cultive, elle aussi, la poésie. Les projections font écho à la richesse des rêveries métaphysiques ou poétiques de Félix. Le sol les reflète et les fait parvenir jusqu’aux pieds des spectateurs, comme des vagues noires. Mais surtout, la création sonore de Nicolas Guadagno nous entraîne en territoire de fiction et d’effroi. À elle seule, elle vaut le détour.
Félix est un enfant sans âge (comme on en trouve au cinéma), qui de sa prunelle sagace fait vaciller le monde des adultes Il en est, en définitive, à l’image du spectacle : inclassable. Pas évident, sans doute, pour un trop jeune public, il parlera à cet âge trouble qu’est l’adolescence. En effet, on en sort plein de questions sur la famille, l’autorité, l’amour, la poésie et les mots. Car s’il fallait vraiment trouver une leçon à ce conte, ce serait que la parole, seule, retient au bord du gouffre. ¶
Laura Plas
Félix, d’après Félix, et le Lac, de Robert Walser
Le texte est publié aux éditions Zoé
Mise en scène : Christophe Laluque
Création sonore : Nicolas Guadagno
Création lumière : Jacques Duvergé
Création vidéo : Medhi Izza (Trafikandars)
Avec : Rémi Fortin, Antoine Michaelis, Laura Zauner, Irina Solano et Jeanne Peylet-Frisch (en alternance)
Durée : 65 minutes
À partir de 12 ans
Théâtre Dunois-Scène pour la jeunesse • 7, rue Louise Weiss • 75013 Paris
Du 2 au 14 novembre 2021 à
De 8 € à 16 €
Réservations : 01 45 84 72 00
À découvrir sur Les Trois Coups :
☛ Inauguration du Théâtre du Parc, à l’initiative du Théâtre Dunois, Parc Floral
☛ Mirad, un garçon de Bosnie, d’Ad de Bont, Théâtre Dunois, à Paris