« 23 Fragments de ces derniers jours », Maroussia Diaz Verbèke, Collectif Instrumento de Ver, le Monfort, Paris

23-fragments-de-ces-derniers-jours-Maroussia-Diaz-Verbèke © João- Saenger

Une lumineuse mosaïque de cirque

Par Florence Douroux
Les Trois Coups

Voici un spectacle de cirque franco-brésilien qui ne laissera pas indifférent. Derrière une évocation fractionnée de l’histoire récente du Brésil, Maroussia Diaz Verbèke et le collectif Instrumento de Ver font affleurer les notions universelles de fragilité, d’espoir et de fraternité.

Autour d’une piste de cirque cernée en demi-lune par quatre petits gradins sur scène, (les autres places étant celles de la salle), sont disposés jouets en caoutchouc, branches de céleri, briquettes de lego, bouteilles, ballons gonflés, ampoules, paillassons et autres. Une voix off expose le contexte politique des années sombres du régime Bolsonaro. Un bric à brac sur fond de catastrophe ? Le paradoxe s’annonce saisissant. Comme d’habitude, Maroussia Diaz Verbèke propose une exploration de cirque différente, originale, à la fois grave et festive, empreinte d’une intelligence curieuse d’auteure et d’une vision artistique séduisante.

Funambule, jongleuse, acrobate, Maroussia s’intéresse déjà à l’écriture fragmentaire avec De nos jours (Notes on the Circus), co-écrit avec Erwann Ha Kyoon Larcher, Vimala Pons et Tsirihaka Harrivel : une déclinaison de 80 vignettes dans lesquelles le quatuor construisait et déconstruisait à vue les mécaniques de l’action scénique. Elle approfondit ici le principe d’une pièce morcelée, langage qui lui permet merveilleusement bien de faire entendre cette autre voie / voix du cirque, revendiquée par sa compagnie Le Troisième Cirque et son solo Circus Remix.

« Dates historiques, poétiques ou personnelles »

23 fragments de ces derniers jours est le fruit de sa rencontre avec le collectif Intrumento de Ver (Maïra Moraes, Béatrice Martins et Julia Hennings). Initiés en 2018, les premiers échanges prennent une autre tournure avec l’année 2019 et la destruction quotidienne des valeurs du Brésil et ses institutions, entre autres culturelles. Stoppé dans son élan par le régime, puis ralenti en raison de la pandémie, ce spectacle, finalement crée en mars 2022, est un heureux résistant ! Une des raisons, sans doute, de cette vitalité et de cet enthousiasme hors du commun.

© João Saenger

Avec les trois femmes du collectif, acrobates ou fakirs d’un genre nouveau, trois brésiliens issus d’autres horizons entrent dans la danse, avec sambas, forros, capoeira (Lucas Cabral Maciel, André Oliveira DB et Marco Motta). Chacun participe de près ou de loin à l’un des 36 fragments (et non 23) d’un même puzzle, évoquant des dates historiques (comme celles de la dernière constitution, des incendies amazoniens, ou encore de l’avènement au pouvoir de Bolsonaro), ou des dates « poétiques et personnelles ». Ce mélange même en dit long sur la volonté de l’auteure de mêler l’universel à l’intime, le réel à l’imaginaire, l’individuel au collectif.

Les fragments sont joués dans le désordre, sans fil conducteur, n’offrant d’autres repères que l’énoncé de leur titre et de leur numéro, et la brève narration relayée par chacun. Mais nul besoin d’avoir un fil d’Ariane pour nous accrocher, ni de réviser l’histoire brésilienne récente. De l’exubérance de cette grande mosaïque chatoyante, « une lettre d’amour au Brésil », surgissent avec évidence les notions universelles de fragilité et de déconstruction, mais aussi d’espoir résolument optimiste et de chaleur humaine.

Des variations sur le dépassement de soi

Avec des objets détournés de leur usage quotidien, transformés en agrès inédits, les six interprètes proposent mille et un couloirs d’émotions, de surprise et d’émerveillement. Béatrice surgit de l’ombre d’un immense papier bulle et danse ; Marco se contorsionne aux sangles, noué puis dénoué, corps replié, déployé, tourmenté mais délié ; Lucas, solaire, se lance dans une trajectoire dansée, joyeuse et presque aérienne, les pieds pourtant retenus par une entrave de lacets. Maïra, elle, marche sur des morceaux de verre et des bougies chauffe-plat, tandis qu’André électrise le public avec ses danses urbaines afro-brésiliennes.

© João Saenger

Toutes les trajectoires, semées d’embûches, appellent au dépassement de soi et à une prise de risque, éléments fondamentaux du cirque aimé et défendu par la circographe (le néologisme « circographie », créé par Maroussia Diaz Verbèke, désigne une mise en scène adaptée au cirque), comme ces grandes diagonales de bouteilles, sur lesquelles marche Julia, en talon. Le verre n’est d’ailleurs pas choisi par hasard, qu’il soit en morceaux, en bouteilles, ou qu’il soit barre de trapèze : « C’est une matière risquée, menaçante, qui va casser. Elle est à la fois forte et fragile, un vrai duo entre l’artiste et elle », explique Maroussia.

Un vrai duo, en effet, avec des configurations de plus en plus hasardeuses. Au sommet d’un fragile édifice de bouteilles et de tabourets compilés, Julia poursuit l’ascension sur deux cordes jalonnées de bouteilles. Quelle image ! La lumière scintille sur le verre, l’élévation est belle, symbolique. Arrivée au sommet sur cet équipage merveilleux, Julia dépose une fleur dans la bouteille la plus élevée. Tandis que la canopée bruisse d’oiseaux. Ceux, en tout cas, qui n’ont pas été sacrifiés. Il faut un talent fou pour montrer que des morceaux choisis de vie et d’histoire, évoqués pêle-mêle, font partie d’un grand tout. Maroussia Diaz Verbèke a réussi ce pari en nous permettant d’avoir la vision d’un puzzle reconstitué. Son cirque est décidément un ovni à contempler. 🔴

Florence Douroux


23 Fragments de ces derniers jours, cie Le Troisième Cirque-Maroussia Diaz Verbèke & Collectif Instrumento de Ver

Site de la compagnie Le Troisième Cirque
Site du collectif Instrumento de Ver
Circographie : Maroussia Diaz Verbèke
Assistante à la circographie : Élodie Royer
Interpètes créateurs : Lucas Cabral Maciel, Julia Henning, Béatrice Martins, Maîra Moraes, Marco Motta, André Oliveira DB
Régie générale : Thomas Roussel
Conception technologique : Bruno Trachsler
Création lumière : Diego Bresani et Thomas Trachsler
Recherche musicale : Loïc Diaz Ronda et Cicero Fraga
Recherche scénographie : Charlotte Masami Lavault
Scénographie : Émilie Roy
Costumes : Sarah Dupont
Durée : 1 h 35
Dès 8 ans
Le Monfort • 106, rue Brancion • 75015 Paris
Du 8 au 18 février 2023, à 20 h 30
De 5 € à 25 €
Réservations : 01 56 08 33 88 ou en ligne

Tournée :
• Le 2 mars, Cirque Jules Verne, à Amiens
• Du 3 juin au 21 juin,  Maison des Métallos, à Paris
• Du 9 août au 19 août, Festival Multi-pistes, Le Sirque, à Nexon

À découvrir sur Les Trois Coups :
FIQ ! (réveille-toi), du Groupe Acrobatique de Tanger, de Maroussia Diaz Verbèke par Léna Martinelli
Entretien avec Sanae El Kamouni, sur FIQ ! (réveille-toi !), par Florence Douroux
Le Vide, essai de cirque, de Fragan Gehlker, Alexis Auffray et Maroussia Diaz Verbèke

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