Confidences acrobatiques
Par Florence Douroux
Les Trois Coups
Au croisement de l’art acrobatique et de la pédagogie, Matthieu Gary et Sidney Pin, de la compagnie Volte-Cirque, nous entraînent dans le cercle intime d’une conversation virtuose, où il est question de risque et de confiance, de peur et de dépassement de soi. « De bonnes raisons » : une jolie rencontre entre rires et frissons, au Monfort.
Il faut traverser la grande salle du Monfort, monter, tout au fond, ces marches qui nous mènent à un lieu caché. Trois rangées de gradin se penchent sur une piste de 6,50 m. C’est ici que cela va se passer. Matthieu Gary et Sidney Pin arrivent tranquillement. « C’est donc ça ? », demande Matthieu. « C’est ça », répond Sidney, mine de rien. Rires dans le public. Le « ça » est une perche posée sur le sol au milieu de la piste. À l’instant même, on comprend : acrobatie. Intimité. Dialogue. Humour. Une introduction simplissime très éloquente.
Il est vrai que ces deux-là ne sont pas des amateurs. Sidney s’est formé à l’école de cirque de Stockolm (DOCH) et a co-fondé la Compagnie La Meute ; Matthieu, diplômé du CNAC, affiche lui aussi de belles collaborations (Kitzou Dubois, Guy Alloucherie ou encore les Colporteurs) et co-fonde le Collectif Porte 27. Ensemble, ils créent le formidable spectacle Chute ! qui dissèque, sous tous ses aspects, cette notion inhérente au cirque. Deux ans après, ils fondent la compagnie Volte-Cirque.
Crée en janvier 2022, le spectacle De bonnes raisons « philosophe joyeusement sur la notion de prise de risque ». « Notre compagnie est basée sur le savoir autour de l’acrobatie, et sur le principe du partage des émotions, y compris de manière textuelle. C’est son totem (…). L’idée est de chercher ce que nos élans racontent de nous-même, du monde, et de faire philosopher l’acrobate. Nous passons par l’analyse de nos pratiques », expliquent-ils.
« Aller plus haut ! »
Dans cette nouvelle histoire, nous voici donc avec celui qui cale la perche sur l’épaule droite, et celui qui monte. Apprécions, au passage, la revisite d’une discipline traditionnelle que l’on ne voit quasiment plus. Une traversée verticale qu’ils explorent et expliquent avec minutie. Quelques mètres, oui, mais une grande épopée, qui ne cesse de trouver sur sa route bien des personnages, invisibles, en principe, du public : parmi eux, le doute et la peur, convoqués avec beaucoup d’intelligence, sans crainte du premier degré, tellement précieux ici.
D’un bout à l’autre du tube, deux acrobates dépendent étroitement l’un de l’autre, des informations données par le corps, jusqu’au plus infime ressenti. Matthieu Gary et Sidney Pin sont formidables de pédagogie, en plus d’être merveilleux acrobates. Ils parlent aussi bien qu’ils performent, dans une efficace simplicité. Le public voit et entend ce qui ne lui est généralement pas destiné : Il fait ainsi partie du cercle des intimes. C’est dire que tout le touche : les mots, les gestes, les émotions.
Pas de fioritures, le spectacle, dépouillé jusqu’à l’os, est direct et cash. « Pourquoi bouges-tu autant ? » demande Matthieu à son porteur. « Pour t’éviter de tomber ». « Tomber », le mot est dit. Examiné, détaillé, redouté, rejeté. Entrent en jeu évidemment les notions de solidarité, de responsabilité, de confiance. « Je te rattraperai toujours » est la phrase clef, le pivot du lien. En témoigne encore une magnifique séquence au sol : ils se jettent l’un sur l’autre, se rattrapent, se retiennent, dans une chorégraphie de plus en plus rapide et sophistiquée, qui les laissent, essoufflés, au tapis. Le public est sonné par le bruit brut des corps à terre. Démonstration est faite : se laisser tomber n’est pas une option. L’un des plus beaux moments du spectacle.
« On ne peut pas parler du risque sans questionner notre rapport à la mort. Prendre un risque, c’est s’interroger sur ce que l’on est prêt à mettre en jeu, quitte à le perdre, mais pour cela, il faut avoir de bonnes raisons ». Debout sur des tréteaux empilés, Sidney Pin évoque « cette seconde où tout peut basculer ». Il raconte, enflammé, inarrêtable semble-t-il, le désir de puissance, de vie, et d’aventures de l’acrobate. « Une fois qu’on a posé les fondations, on peut s’élever ! elle a raison, Tina Arena, de chanter « Aller plus haut ! » clame-t-il, en faisant tanguer les tables de plus en plus fortement, tandis que s’accélère notre peur. « Tu crois qu’il a fait ça, Christophe (Colomb), une petite balade paysagère sur la Loire ? » : éclats de rire, la tension de la crainte se relâche. La légèreté adoucit soudainement la gravité. C’est bien vu, bien dit, bien écrit. On ne peut tout dévoiler. Gardons le mystère sur la scène du cadre coréen, les mille et une hésitations de Matthieu et la virtuosité de ses sauts dans le vide. Totalement revisitée, la bascule apporte une belle surprise finale. Un saut magnifique vient clore le débat. Les promesses sont tenues : il n’est que « de bonnes raisons » d’applaudir la compagnie Volte-Cirque. 🔴
Florence Douroux
De bonnes raisons, de la cie Volte-Cirque
Compagnie La Volte-Cirque
Écriture et jeu : Matthieu Gary et Sidney Pin
Regard extérieur : Marc Vittecoq
Conception construction : Maxime Héraud et Étienne Charles
Création lumières : Étienne Charles
Costumes : Léa Gadbois Lamer
Durée : 1 h 10
Dès 8 ans
Le Monfort • 106, rue Brancion • 70015 Paris
Du 8 au 19 novembre 2022, à 19 h 30
De 5 € à 25 €
Réservations : 01 56 08 33 88 ou en ligne
Tournée :
• Du 10 au 13 janvier, au Grand R à la Roche-Sur-Yon (85)
• Du 22 au 24 février, au Domaine d’O, à Montpellier (34)
• Du 18 au 24 mars, au festival Spring
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