Focus écologie : « Y a plus qu’à », cie Scena Nostra, « Nous étions la forêt », Théâtre du Train Bleu, critiques, Festival Off Avignon 2025

Y-a-plus-qu-à- Julien-Guyomard © Christel-Laur1

Écolocomédies

Laura Plas
Les Trois Coups

Atteints de solastalgie ? Deux spectacles programmés au Train Bleu vous attendent. « Nous étions la forêt », sorte de tragicomédie musicale, s’impose quand il se fait lyrique. «Y a plus qu’à » parodie la conférence de manière parfois truculente tout en proposant de vraies pistes de réflexion.

Après avoir écrit sur le genre, Agathe Charnet ouvre, avec Nous étions la forêt, un nouveau cycle nommé « habiter le monde ». En l’occurrence, ce monde est celui du bois de la fermette menacé de devenir un champ de panneaux photovoltaïques et il est bien peuplé. On y décompte hormis les animaux non humains, une ornithologue, un forestier, sa mère, deux néoruraux et une élagueuse révoltée, plus une galerie de journalistes.

Or, c’est assez évident dans l’énumération précédente, chacun a un rapport différent au lieu. On n’a même un peu l’impression que la création des personnages répond au désir d’embrasser le plus de facettes du sujet écologique… au risque de l’artificialité. Pour autant, l’intention est louable : comme l’œuvre est nourrie d’une collecte de témoignages, il ne s’agirait pas de les négliger. Et puis, en effet, la thématique est vaste. Elle affleurait déjà dans Nuits de juin, pièce primée cette année par le prix Sony Labou Tansi des lycéens et portée par son engagement et son lyrisme.

Le chant du monde

Dans une forme plus traditionnelle (on a cette fois des personnages, une intrigue). Nous étions la forêt présente ces mêmes qualités. De fait, l’autrice ose des envolées sur le beau risque d’aimer, la forêt ou la mémoire. Le lyrisme est même parfois musical, puisque les comédiens sont chanteurs. Leurs chants font écho au ramage des oiseaux, comme une alternative au langage publicitaire, journalistique. Enfin un certain chant : la chanson de variété et les arias semblent, en effet, s’opposer à des songs satiriques sur les néoruraux ou les thuriféraires de la croissance verte. Résultat : on suit une tragicomédie musicale. Il faut donc être sensible à ce genre qui a, du moins, le mérite d’être populaire.

Généralement, le spectacle est accessible : la langue a une remarquable fluidité, l’intrigue se suit facilement. On est plongé en territoire de fiction (choix peut-être discutable mais tenu), on s’attache à des figures croquées comme des personnages de Sempé, avec humour et tendresse. Celles-ci ont presque tous leur fêlure comique ou tragique : Pauline sort d’un burn-out en suivant une formation sur les énergies ; Boris, le forestier, n’en est jamais sorti ; sa mère développe une maladie l’Alzheimer ; etc. Malgré tout, le texte est souvent comique. Agathe Charnet mélange les registres et offre une belle partition de jeu aux comédiens.

Misère et grandeur du plein air

Ils l’exécutent très bien, en particulier Maxime Gleizes, Virgile L. Leclerc et Giulia de Sia. Cependant, les interprètes sont desservis par le plein air : pourtant soutenues par des micros HF, leurs voix se perdent. Ils ne sont pas mis en lumière. Par contre cette scénographie naturelle fait évidemment sens. Sa profondeur de champ permet apparitions et disparitions. Elle exprime la magie d’une forêt d’où peuvent surgir, par exemple, un sylvain, ou une mésange humaine, où s’effacent les personnages, comme en résonnance avec La Ballade de Nayarama.

« Nous étions la forêt », d’Agathe Charnet © Virginie Meigne

Il est ainsi l’écrin d’un magnifique final redonnant sens à un puzzle, en apparence seulement composite. Nous ne sauverons peut-être pas le monde de l’incendie, mais nous en conserverons des visages, des paysages aimés dans nos mémoires. Comme dans Farenheit 451, où des humains regagnent la forêt pour apprendre par cœur des textes et les sauver de la fournaise. Nous emporterons la forêt, les oiseaux en nos souvenirs.

Y a plus qu’à s’inscrit dans un tout autre genre. Lequel ? Difficile de le formuler en mots, tant le spectacle brouille très ingénieusement les cartes. Prenez les deux formes très en vogue de la conférence théâtrale et du spectacle de genèse de spectacle. Mélangez les deux. Ajoutez une scène d’anticipation optimiste, une ou deux engueulades bien vues et rigolotes. Vous aurez une vague idée de ce qui vous attend.

Tu t’es vu quand tu causes écologie ?

Mais, non content de faire avec du déjà vu un objet original, Julien Guyomard épingle nos questionnements et atermoiements écologiques. Il y a un côté franchement cathartique à voir nos bons sentiments empreints de lâcheté campés sur scène. Qui a participé à des collectifs militants, polémiqué sur le devenir de la planète en famille ou avec des ami.es (presque tout le monde, donc) reconnaîtra avec délectation des situations grossies à la loupe d’humour.

De plus, les comédiens sont excellents et l’écriture très, très maline leur taille la part du lion. En effet, le comique de situation laisse le plus souvent la place au comique de caractère : Magalie Godemaire s’amuse à interpréter la bonne élève de l’écologie, Julien Cigana s’impose en scientifique blasé. Damien Houssier surgit de sa boîte comme une incarnation diabolique de l’emmerdeur pertinent. Quant à Renaud Triffault, il est formidable tout autant en acteur looser qu’en fourmi ou en militant velléitaire. Il lui suffit d’apparaître sur scène, d’ouvrir la bouche pour faire naître un rire tendre.

Les pistes animales (et végétales, et humaines)

Il faut donc laisser à la pièce le temps de prendre, passer les premières minutes un peu convenues. On connaît l’effet exponentiel du comique. Y a plus qu’à regorge d’incartades, de ruptures bien orchestrées.

Et puis, avec le temps, aussi, on finit par entendre de vraies propositions. Ouf ! Le spectacle vulgarise en effet les réflexions, menées notamment par Olivier Hamant sur la robustesse du vivant opposée à la performance. Il présente une scène d’anticipation amusante mais vivifiante, aussi, car elle expose des pistes que nous pourrions suivre dès aujourd’hui et de manière très concrète. Rétrospectivement, on se rend compte que même les débuts de la pièce opposant « développement vert », solution techniciste et radicalité faisaient sens.

Au sortir de la salle, vous avez donc de quoi dégommer votre cousin climatosceptique au prochain réveillon sans vous farcir trois mois de lectures et de podcasts. Et en prime vous risquez de vous amuser.

Laura Plas


Nous étions la forêt, d’Agathe Charnet
Site de la cie La Vie Grande
Texte, dramaturgie et mise en scène : Agathe Charnet
Avec : Léonard Bourgeois-Tacquet, Giulia De Sia, Hélène Francisci, Maxime Gleizes, Virgile L. Leclerc et Catherine Otayek
Durée : 1 h 45
Dès 12 ans
Théâtre du Train Bleu • Jardin du Carmel, 3, rue de l’Observance • 84000 Avignon
Du 15 au 17 juillet 2025 à 14 h 45
De 14 € à 20 €
Réservations ; : en ligne
Dans le cadre du Festival Off Avignon, 59édition du 5 au 26 juillet 2025
Plus d’infos ici

Y a plus qu’à, de Julien Guyomard
Site de Scena Nostra
Texte et mise en scène : Julien Guyomard
Avec : Julien Cigana, Magaly Godenaire, Damien Houssier, Renaud Triffault, Elodie Vom Hofe
Durée : 1 h 10
Dès 12 ans
Théâtre du Train Bleu • 40, rue Paul Saïn • 84000 Avignon
Du 5 au 24 juillet 2025 à 18 h 45
De 14 € à 20 €
Réservations : en ligne
Dans le cadre du Festival Off Avignon, 59édition du 5 au 26 juillet 2025
Plus d’infos ici

À découvrir sur Les Trois Coups :
 ☛ Triptyque masculin féminin, cie Avant l’aube, par Anne Cassou-Noguès

Photo ou de une : « Y a plus qu’à », Julien Guyomard © Christel Laur

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