King Kong, c’est
la femme virile
qui dénonce le « système d’émasculation des filles »
Par Fabrice Chêne
Les Trois Coups
Projet assez original que celui de Cécile Backès : adapter pour la scène le pamphlet féministe de Virginie Despentes, « King Kong théorie ». Paru en 2006, le livre avait fait sensation en raison de ses positions assez provocatrices sur l’homosexualité féminine, la prostitution ou la pornographie. Transformée en performance pour une actrice, l’œuvre perd une partie de sa virulence, mais interpelle sur la situation des femmes aujourd’hui.
« D’où parlez-vous ? » demandait-on dans les années soixante-dix, époque bénie du féminisme. Virginie Despentes y fait écho dans son style plutôt direct : « Je parle de chez les moches pour les moches, les vieilles, les camionneuses, les frigides… toutes les exclues du grand marché à la bonne meuf. ». C’est une femme qui s’est « toujours sentie moche » qui s’exprime, et qui entend parler au nom de toutes les exilées de la séduction, les « prolottes » de la féminité. En des termes crus, elle montre comment les femmes sont toujours victimes des mêmes stéréotypes, et comment leur sexualité est plus que jamais soumise au désir masculin, en particulier à travers la pornographie.
Le texte, assez inclassable, sorte d’essai autobiographique, mêle réflexion et récit d’expériences vécues. Statut ambigu que le dispositif scénique imaginé par Cécile Backès s’efforce de traduire, en alternant discours au micro face public et confidences plus intimes sur un canapé. Le passage autobiographique sur le viol est particulièrement saisissant. On y découvre la destinée d’une fille aventureuse qui a passé son adolescence à se déplacer en stop et à dormir dans les gares, assumant les risques qu’elle prenait. S’y trouve mise en cause une société qui « victimise » les femmes au lieu de leur apprendre à se défendre contre les hommes, y compris de façon violente (thèse soutenue par certaines féministes américaines comme Camille Paglia).
Et King Kong là-dedans ? me direz-vous. Dans cette version moderne de la Belle et la Bête, c’est à l’animal que s’identifie la narratrice. La figure du monstre représente ici le refus de correspondre au désir masculin, d’incarner une féminité vue comme simple « apprentissage de la servilité ». King Kong, c’est la femme virile qui dénonce le « système d’émasculation des filles ». La comédienne Salima Boutebal s’emploie avec conviction, et non sans une certaine poésie, à figurer cet être hybride, mi-femme, mi-monstre gentil. Au cours du spectacle, elle se dépouille de ses oripeaux féminins : manteau en plumes, robe bleue, chaussures à talons, perruque blonde, pour finir en déshabillé.
Le propos de la metteuse en scène et sa comédienne est ainsi de travailler visuellement sur l’image de la femme, donnant corps aux mots de Virginie Despentes. Cet aspect-là du spectacle est plutôt réussi. On retiendra aussi l’utilisation de la musique et l’évocation de Courtney Love. Pour le reste, on peut regretter une scénographie vraiment très réduite, et des séquences parfois un peu décousues. Un spectacle finalement assez consensuel, où l’on ne retrouve qu’en partie la violence provocatrice du texte, dont les passages les plus trash ou les plus polémiques (par exemple sur l’expérience de la prostitution volontaire) ont été écartés. ¶
Fabrice Chêne
King Kong théorie, de Virginie Despentes
Texte publié aux éditions Grasset et en Livre de poche
Cie Les Piétons de la place des Fêtes
Version scénique : Salima Boutebal et Cécile Backès
Mise en scène : Cécile Backès
Avec : Salima Boutebal et la voix de Félicien Juttner
Conception sonore : Benoît Faivre
Lumière : Jean-Yves Courcoux
Costumes : Élise Baldi
La Manufacture • 2, rue des Écoles • 84000 Avignon
Réservations : 04 90 85 12 71
Du 7 au 27 juillet 2010 à 21 h 5, relâche le 19 juillet 2010
Durée : 1 heure
16 € | 11 €